80ème anniversaire du Manifeste de Brazzaville : Sassou N'Guesso appelle à une « nouvelle solidarité » entre la France et l'Afrique

80ème anniversaire du Manifeste de Brazzaville : Sassou N'Guesso appelle à une « nouvelle solidarité » entre la France et l'Afrique

Le ministre français de l'Europe et des Affaires Etrangères Jean-Yves Le Drian représente le Président français Emmanuel Macron au 80ème anniversaire du Manifeste de Brazzaville. 


Le temps d'un mini « Sommet africain » réuni à l'occasion d'un Colloque historique, le Président congolais a fait revivre l'épopée du général de Gaulle et Brazzaville capitale de la France libre. Reportage.

De notre envoyé spécial à Brazzaville (Congo), Bruno Fanucchi

« Suite à l'appel du 18 juin, lancé depuis Londres, Brazzaville est devenue – selon les propres mots du général de Gaulle - « le refuge de l'honneur et de l'indépendance de la France », souligne d'emblée le Président congolais Denis Sassou N'Guesso en ouvrant le Colloque commémorant le 80ème anniversaire du Manifeste de Brazzaville lancé le 27 octobre 1940. Une page d'histoire souvent méconnue car, observe-t-il, « l'Afrique reste oubliée de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. D'où ce Colloque historique organisé à son initiative – avec le concours de l'ambassade de France et la Fondation Charles de Gaulle – pour « rétablir cette mémorable épopée » en rendant hommage à « cette contribution africaine » qui s'écrivit en lettres de sang, grâce au sacrifice de tant de « tirailleurs sénégalais » (terme générique qui recouvre depuis 1900 toutes les troupes levées en Afrique sub-saharienne) participant à la libération de la France !

« Leur souvenir est d'autant plus vivace ici que Brazzaville se ralliera très tôt à la cause de la France libre dans le sillage du général de Gaulle et du Gouverneur Félix Eboué », rappelle le chef de l'Etat en ouvrant au Palais des Congrès les travaux du Colloque. Hôte de ce mini-Sommet africain, auquel participent trois autres chefs d'Etat (Centrafrique, RDC etTchad) et deux Premiers ministres d'Afrique centrale représentants les Présidents du Cameroun et du Gabon, le Président congolais en profite pour lancer à son tour un appel.

« Le passé a scellé notre communauté de destin », insiste Denis Sassou N'Guesso, en appelant à une « relecture dépassionnée de cette histoire que nous avons en partage » et à une « nouvelle solidarité » entre la France et le Continent noir. « L'Afrique ne peut se satisfaire d'être marginalisée (…) Les pays africains doivent être entendus », ajoute le Président congolais en invitant les grandes puissances sorties victorieuses de cette dernière guerre à « leur faire de la place au sein du Conseil de sécurité, avec droit de veto, car ce ne serait que justice devant l'Histoire ».

Le ton est ainsi donné : l'Afrique noire se rappelle ainsi au bon souvenir de la France, qui oublie bien souvent les liens historiques, culturels et presque charnels avec une bonne partie du Continent, et au reste de la Communauté internationale. Même si – comme le rappelle le Président Sassou N'Guesso - « la lutte contre le terrorisme place aujourd'hui côte-à-côte, au Sahel notamment, soldats français et soldats africains, de la même manière exposés au danger ».

« Merci pour toujours à l'Afrique ! »

Président de la Fondation Charles de Gaulle, l'ancien ministre Hervé Gaymard se plait à rappeler que « c'est sur terre d'Afrique que Charles de Gaulle devient l'homme du destin » qui va « redonner leurs honneurs aux armes de la France ». C'est à Brazzaville, où survit toujours la « case de Gaulle », que le général mis sur pied en effet le Conseil de Défense de l'Empire, puis que fut créé l'Ordre de la Libération. Et M Gaymard de conclure : «Si la France est restée la France il y a 80 ans, c'est grâce aux Africains (…) Merci pour toujours à l'Afrique ». 

Représentant le Président Emmanuel Macron, qui n'a pu faire le déplacement de Brazzaville en raison des nouvelles mesures à prendre pour faire face en urgence à la seconde vague de la pandémie de Covid-19, Jean-Yves Le Drian – reçu dès son arrivée lundi soir par le Président Sassou N'Guesso - appelle d'ailleurs lui-aussi à « un nouveau partenariat entre la France et l'Afrique » alors que « la France vit de nouvelles épreuves bien sûr profondément différentes » de celles de l'occupation allemande. On n'en saura guère plus sur le contenu de ce « nouveau partenariat » car le chef de la diplomatie française repartira très vite pour poursuivre sa tournée africaine à Bamako, premier ministre français à se rendre au Mali depuis la chute du Président Ibrahim Boubacar Keita le 18 août dernier.

En visite officielle au Congo, la Secrétaire générale de l'Organisation Internationale de la Francophonie, la Rwandaise Louise Mushikiwabo a prolongé son séjour à Brazzaville pour participer à l'événement et fêter du même coup les 50 ans de la Francophonie. « Nous sommes tous fiers, non pas de la colonisation, mais de cet héritage qui nous reste : la langue française », observe-t-elle, en rappelant fort à propos le mot de Léopold Sedar Senghor : « La colonisation a charié de l'or et de la boue. Pourquoi retenir la boue et pas ces pépites ? ». Nombre d'historiens présents à ce Colloque emboîteront le pas au premier Président du Sénégal pour donner vie et de multiples exemples à cette réflexion de bon sens.

« C'est pour cette raison que les premières victoires militaires de la France libre sont tellement importantes : Koufra avec Leclerc en février 1941, Bir Hakeim avec Koenig en mai-juin 1942... On peut relever la tête et, en ce sens, les ralliements à de Gaulle ne témoignant pas seulement d'une action politique. Ils marquent aussi le début du redressement militaire alors que la France vient de subir la pire défaite de son histoire », souligne ainsi l'historien et cinéaste Eric Deroo, spécialiste de l'histoire coloniale. Actuel Directeur du Musée de l'Armée et ancien chef de corps du RMT (Régiment de Marche du Tchad), le général Henry de Medlege évoquera ainsi avec talent l'épopée décisive du général Leclerc en Afrique jusqu'à la libération de Paris et de l'Alsace.

« L'engagement inébranlable du Tchad

pour vaincre le terrorisme au Sahel »

Mais les leçons de l'histoire et du passé doivent aussi servir à éclairer les décisions à prendre pour faire face aux nouvelles guerres et crises que l'Afrique connait aujourd'hui. « La situation sécuritaire du pays du Sahel est plus que jamais préoccupante et ne cesse de prendre de l'ampleur », fait ainsi remarquer le Président tchadien Idriss Déby, devenu Maréchal lors de la fête nationale de son pays le 11 août dernier. « Cette lutte est un défi majeur à relever avec la France (…) Je renouvelle l'engagement inébranlable de mon pays pour vaincre le terrorisme », ajoute le Président tchadien, tout en soulignant qu'il ne faut « pas oublier un autre défi préoccupant : la pauvreté, qui alimente le terrorisme et la radicalisation violente », elle-même instrumentalisée par l'obscurantisme religieux.

« Convaincu que l'avenir de l'Afrique c'est aussi l'avenir de la France », Idriss Déby en appelle à son tour à « un véritable partenariat, mutuellement profitable, fondé sur le respect mutule et la solidarité » tant il est vrai que « le destin de la France et de l'Afrique francophone sont intimement liés ».

« 80 ans après le Manifeste de Brazzaville, le combat pour la liberté reste d'actualité », souligne pour sa parte le Président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, qui ajoute :

« Nos pays sont confrontés  à un terrorisme multiforme. La RDC est confrontée à un terrorisme aveugle, dont sont notamment victimes de jeunes filles, tantôt violées, enterrées vivantes ou décapitées ! » D' où notre engagement et la conjugaison de nos efforts « pour éradiquer ensemble ce fléau de notre siècle ». L'Afrique – on le voit – a encore bien des combats à mener pour soigner ses plaies et s'en sortir.

Bruno Fanucchi

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