Irénée Bienvenu Zevounou (ambassadeur du Bénin à l'Unesco) : «Le Prix Mondiapress doit devenir un événement pérenne pour faire connaître les cultures africaines »

Irénée Bienvenu Zevounou (ambassadeur du Bénin à l'Unesco) : «Le Prix Mondiapress doit devenir un événement pérenne pour faire connaître les cultures africaines »

Photo : Fu Kazy@


Délégué permanent du Bénin auprès de l'UNESCO, l'ambassadeur Irénée Bienvenu Zevounou présidera le 3 mai prochain la 4ème Edition du Prix Mondiapress récompensant les journalistes et animateurs qui s'engagent pour mieux faire connaître et valoriser l'Afrique, ses  cultures et ses diasporas. Il revient aussi sur la récente visite du Président Patrice Talon à Paris et la délicate question de la restitution des œuvres d'art promise par la président Emmanuel Macron. Entretien.

Propos recueillis par Bruno Fanucchi

Initié par Annick N'Guessan et parrainé cette année notamment par Rama Yade, le Prix Mondiapress récompense les journalistes et animateurs qui font connaître les cultures africaines en France. Quel sens donnez-vous à ce Prix remis à l'Unesco ?

Irénée Bienvenu Zevounou

Avec Mme Rama Yade, qui fut ambassadeur de France auprès de l'Unesco en 2011 et qui parraine cette année le Prix Mondiapress, ce sont toujours des échanges très positifs, toniques et excitants pour la réflexion. Je saisi cette occasion pour lui dire toute l'admiration que nous avons pour elle, en tant que jeune femme africaine qui s'assume parfaitement et se projette également dans un futur utile pour les nouvelles générations africaines. Car lorsque Rama Yade était au gouvernement, elle n'était pas seulement pour nous une ministre française, mais une Africaine. Un leader africain s'étant déjà distingué au Sénégal, où je fus précedemment en poste pendant plusieurs années pour l'UNICEF. Et l'une des stratégies pour soutenir l'éducation des jeunes filles c'était déjà de leur montrer des modèles, dont elle faisait partie. C'est donc à la fois un plaisir et un honneur de la voir embarquée dans cette aventure de Mondiapress que j'ai personnellement découvert il y a un an lors de la 3ème édition du Prix à l'Unesco.

Ce qui a soulevé mon adhésion et mon enthousiasme pour ce Prix, c'est d'abord cette question du leadership féminin africain. Qu'une journaliste et spécialiste de la communication, d'origine ivoirienne comme Mme Annick N'Guessan, ait eu cette idée et ce cran de se lancer dans une entreprise aussi noble et ambitieuse que le Prix Mondiapress m'a beaucoup frappé.

La seconde chose qui m'a séduit dans ce Prix, c'est l'ouverture qu'il y avait en termes de provenances avec des partenaires du Nord comme du Sud car tout ceci – pour nous à l'Unesco - construit la diversité culturelle. Enfin, ce sont tous ces idéaux que portaient ces titres et organes de presse : des idéaux de paix, de dialogue entre les cultures.

Pourquoi le Bénin a-t-il accepté de présider l'édition 2018 ?

Toutes ces valeurs que nous avons retrouvées et cette diversité de la presse (la presse écrite, la presse parlée et audiovisuelle, le net et la photographie) rencontrée lors du Prix en tant qu'art de communication nous a convaincu que cette belle initiative allait se transformer à terme en un mouvement culturel pour révéler la culture africaine au monde. Toutes ces raisons justifient que nous ayons accepté cette année d'accompagner le Prix Mondiapress 2018 qui sera un grand cru. Et je voudrai en profiter pour féliciter tous les professionnels des médias et de la communication ainsi que tous les partenaires qui seront à nos côtés pour cette 4ème édition, pour en faire un événement pérenne qui puisse marquer les jeunes générations africaines. Et bien sûr toutes les diasporas africaines qui sont, ici, en France et se sont déjà illustrées lors de la précédente édition. Mon rêve, c'est de voir, non seulement le groupe africain mais la direction  générale de l'Unesco s'intéressait de plus en plus au Prix Mondiapress.

"L'Unesco va organiser un grand débat

sur la restitution des œuvres

d'art aux pays africains"

Dans l’attente de la restitution au Bénin des œuvres d’art africaines se trouvant en France, le Président Emmanuel Macron a désigné deux experts culturels, l'historienne d'art Bénédicte Savoy, membre du Collège de France, et l'écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr. Que pensez-vous de son geste ?

Cette question intéresse aujourd'hui beaucoup de pays africains, même si c'est le Bénin qui a  l'a soulevé en premier il y a deux ans et a en quelque sorte ouvert la voie. Les premières discussions ont commencé entre les présidents Patrice Talon et François Hollande et l'on doit se réjouir qu'avec le président Emmanuel Macron les choses se soient un peu accélérées depuis son discours de Ouagadougou en novembre denier. Lors de la dernière rencontre à l'Elysée entre les présidents Talon et Macron, le président français s'est engagé que d'ici la fin de cette année, ces deux spécialistes de très haut niveau – en coopération avec les équipes techniques nationales – donnent aux deux chefs d'Etat une vision de ce que pourrait être cette opération de restitution. Car cette restitution des biens soulève des questions de droit, de conservation, de conditions de déplacement des objets...  autant d'aspects que devront éclairer Mme Savoy et M. Sarr.

 

En tant que Délégué permanent auprès de l’Unesco, avez-vous été saisi de ce sujet ?

Je suis bien entendu impliqué dans cette problématique en qualité d'ambassadeur du Bénin à l'Unesco, mais je dois vous dire que lorsque le chef de l'Etat béninois a soulevé cette question et l'intérêt du Bénin de rentrer en possession de ces biens culturels, nous avions approché l'Unesco pour savoir ce qu'il était possible de faire. C'était il y a déjà deux ans. La difficulté, c'était que la Convention de l'Unesco qui s'adaptait le mieux à cette réalité était celle de 1970. Or, nous parlons ici de biens et d'objets dont le « voyage » remonte à la fin du XIXème siècle, à l'ère coloniale, dans les années 1880/1890, et cette Convention de 1970 ne pouvait s'y appliquer.

N’est-ce pas à l’Unesco (Agence spécialisée des Nations Unies pour la préservation du patrimoine culturel mondial) de jouer ce rôle ?

L'Unesco va maintenant prendre le relais, mais la difficulté c'est qu'aucune convention existante ne s'adapte parfaitement à cette situation car la Convention la plus proche date de 1970 et ne peut pas avoir un effet rétroactif. Et elle ne s'applique donc pas à des biens enlevés en 1880 ou 1890. Une réflexion est néanmoins en train de se faire à l'Unesco et il est probable que l'Unesco s'en empare et organise un grand débat sur cette question d'ici le second semestre de 2018.

Votre pays, qui a eu un rôle de précurseur sur ce dossier, a-t-il déjà commencé à répertorier les œuvres d’art se trouvant en France et qui seraient à lui restituer ?

La question est un peu délicate car cet exercice pour répertorier les œuvres concernées ne peut se faire sans la partie française et ses équipes techniques, qu'elles soient institutionnelles comme les équipes des musées publics ou qu'elles relèvent de collectionneurs privés et parfois même des institutions confessionnelles comme la Société des Missions africaines de Lyon. Nous savons par des témoignages de première main que celles-ci détiennent plusieurs objets appartenant au fonds culturel béninois. En réalité, ce sont des objets que les néophytes confiaient aux Missions africaines de Lyon qui ont évangélisé le Bénin parce qu'ils étaient considérés comme des fétiches ou des attributs du démon. Quand on christianisait et on baptisait les fidèles de ce qui s'appelait à l'époque le Dahomey, on leur confisquait en même tous leurs attributs cultuels ou culturels vaudou.

"Le Bénin prévoit la réhabilitation

ou la construction de quatre Musées"

La restitution de ces œuvres d’art d'une valeur inestimable est une chose, leur préservation en est une autre. Pensez-vous que le Bénin dispose de musées adaptés pour les garder en toute sécurité et à l'abri des trafiquants et prédateurs ?

Ce sont des questions critiques discutées en ce moment par la Commission mixte mise en place par les deux chefs d'Etat, composée de techniciens français comme béninois. Prenons d'abord la question de leur conservation dans des musées dignes de ce nom. L'une des priorités du président Talon – à travers le Programme d'action du gouvernement – c'est justement le développement du tourisme. Dans ce but, il est notamment prévu la réhabilitation ou la construction de musées modernes répondant aux normes internationales. La construction du Musée d'Abomey, qui va récupérer tous les sièges royaux et tous les bas-reliefs vaudou ici-même au Musée du Quai Branly, vient ainsi d'être lancée. Il y a également la construction du Musée d'Allada, la construction du Musée de Ouidah, dédié plutôt aux objets relatifs à la traite négrière, et enfin le Musée des Arts, Cultures et Civilisations Vaudou à Porto-Novo. Il y a donc quatre Musées dont les travaux viennent d'être lancés par le Conseil des ministres et confiés à quatre opérateurs différents ayant répondu aux appels d'offre. Il y a toute une préparation d'infrastructures solides, durables et répondant aux normes admises dans les pays du Nord pour mettre en valeur tous ces trésors.

Mais la conservation et la sécurité de ces oeuvres ne posent-elles pas quelques problèmes ?

S'agissant de la conservation, il faut savoir qu'un certain nombre de conservateurs béninois ont été formés en Europe, et notamment en France, et sont spécialistes de ces questions de consevration et de réparation. Sur le plan des ressources humaines, les capacités existent et sont là. La question de la sécurité est en discussion entre les deux équipes et même entre les deux chefs d'Etat. Lorsque le binôme (Mme Savoy et M. Sarr) rendra son rapport, nous espérons que toutes ces questions seront abordées clairement et mis dans un échéancier qui sera appliqué. Ce qui est important de noter – surtout pour la grand public – c'est qu'il ne s'agit pas de transférer l'intégralité de ces œuvres en un seul moment et en un seul lieu. Il y aura certainement des biens restitués et d'autres qui seront mis en circulation itinérante entre différents musées, y compris en France. Nos deux Etats en sont bien conscients.

Avez-vous d'autres événements culturels importants à votre agenda ?

Un grand concert du BIM (Bénin international musical) devait se dérouler ce 3 avril à la Maison de la Radio. C'est un groupe béninois emblématique qui – nous en sommes persuadés – va être au zénith ces dix prochaines années. C'est un groupe de musique ouvert sur le monde avec sept artistes qui proviennent de toutes les ères culturelles du Bénin et qui chantent aussi bien français que dans la plupart des grandes langues nationales de notre pays. Le BIM, qui fait à la fois du traditionnel, du moderne, du rapp, se produira pour la première fois en France au studio 105  de la Maison de la Radio, puis au festival de Nantes le 5 avril. Ce groupe ira loin.

Du 22 au 25 mai, il y aura bien sûr la Semaine africaine de l'Unesco, toujours très haute en couleurs, où nous faisons venir des artristes du Bénin qui exposent. A l'image de Mme Kossou Victorine (à la tête d'une importante Fondation) qui va exposer des pagnes tissés datant des XVIII et XIXème siècles et furent portés par les gens de la Cour royale.

Le 25 mai, on va également célébrer pour la toute première fois à l'Unesco la Journée mondiale du Patrimoine africain. Cet événement sera porté par les villes d'Albi et d'Abomey qui sont jumelées. Les Palais royaux d'Abomey sont classés « patrimoine mondial de l'Unesco » et, depuis quelques années, la ville d'Albi accompagne Abomey dans la conservation et la promotion de ces Palais royaux. On va donc célébrer cette coopération et montrer aux yeux du monde ce que peut donner une coopération de villes Nord-Sud autour d'un patrimoine historique.

Bruno Fanucchi

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