1ère édition du Forum des diasporas africaines : L’espoir est permis... même si le bilan est mitigé

1ère édition du Forum des diasporas africaines : L’espoir est permis... même si le bilan est mitigé

Le Forum des diasporas africaines tenu le 22 juin dernier à Paris a certes connu un succès du point de vue de la qualité des participants, mais le bilan, quant à lui, est jugé mitigé aux yeux de beaucoup d’observateurs.

Par Clément Yao  

L’initiative du Collectif des associations franco-africaines et de l’Institut de Prospective Economique du monde méditerranéen (Ipemed), que préside Jean-Louis Guigou, de réunir en journée dans la capitale française les membres des diasporas africaines et des décideurs économiques et politiques pour partager les expériences, est à saluer à tout point de vue.

Cette rencontre est un vœu pieux des associations des diasporas africaines qui s’exhauce enfin sous l’ère d’Emmanuel Macron qui n’a pas hésité à accepter que la première édition soit placée sous son haut patronage. Il était certainement temps que cette diaspora forte de 3,5 millions de femmes et d’hommes établis en France, et 8,5 millions dans toute l’Europe, se réunisse pour réfléchir sur son avenir et fédérer, pourquoi pas, les idées.

Ce forum devrait aussi mettre fin à certaines idées préconçues qui tentent à classer la diaspora africaine au rang des derniers de la classe, loin derrière les diasporas asiatiques et indo-pakistanaises. 

Loin s’en faut, la qualité des invité(es) qui ont répondu présents à la première édition de ce forum témoigne de l’importance accordée à cette rencontre inédite. La première édition a, en effet, enregistré la présence des personnalités les plus influentes de cette communauté. Il y avait entre autres, Lionel Zinsou, Managing Partner de SouthBrige, ancien Premier ministre du Bénin et candidat malheureux à la présidentielle, Noureddine Hajji, Directeur général associé de EY Tunisie et président d’Ipemed Tunisie, Aïssata Seck, maire adjointe à Bondy, Dawala, Pdg de Label Wati B, Amal-Amélia Lakrafi, Députée à l’Assemblée nationale française (…) pour ne citer que ceux-là.

Au menu de cette rencontre, des conférences animées par des panélistes sur des thématiques très actuelles. « Quelles initiatives pour faciliter l’implication de la diaspora en Afrique », « quels nouveaux outils de financement pour vos projets en lien avec l’Afrique », « Diaspora 4.0 : innovation et nouvelles formes d’engagement » ou encore « construire un projet professionnel avec l’Afrique, quelles opportunités pour la diaspora ? » Des sujets qui ont eu un très bon écho auprès des participants pour la simple raison que les réflexions ont conduit à faire un diagnostic des difficultés rencontrées par les candidats au retour dans les pays d’origine mais également de définir un cadre pour fédérer les idées. 

La sixième région de l’Union Africaine ?

Faut-il le rappeler ? Ce n’est pas la première fois que des tentatives du genre ou du moins des initiatives sont prises pour rassembler les diasporas africaines en France et même ailleurs. En 2007, l’Afrique du Sud, sous l’ère du président Thabo Mbeki, avait financé une telle rencontre dans le but de « rassembler toutes les énergies positives et de proposer, dans chacune des tables rondes, des recommandations collectives, concrètes et constructives. »

Cette rencontre s’était tenue dans un contexte particulier et favorable. En effet en 2006, l’Union Africaine avait décidé de faire de la diaspora africaine la sixième région du continent au même titre que l’Afrique du Nord, du Centre, de l’Ouest, de l’Est et de l'Afrique Australe. Le Sud-africain Thabo Mbéki et le Sénégalais Abdoulaye Wade s’étaient d’ailleurs fait les avocats de ce beau projet qui en avait fait rêver plus d’un. Sauf qu’in fine, il a été étouffé quasiment dans l’œuf. Car certains dirigeants voyaient d’un mauvais œil ce projet, considéré à tort ou à raison comme une aubaine pour légitimer une diaspora perçue comme « un nid d’opposants ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les farouches opposants à ce projet étaient majoritairement constitué par le club des chefs d’Etat qui avaient pourtant passé de nombreuses années d’exil à l’étranger et notamment en France. Douze années sont passées, force est de constater que la sixième région africaine n’a toujours pas vu le jour.

Le taux d’échec de la diaspora de retour sur le continent jugé trop élevé

Selon les experts, les échecs de la diaspora africaine sur le continent s’expliquent et sont de plusieurs ordres. Il y a la catégorie de ceux qui retournent soit pour travailler soit pour entreprendre leurs propres activités économiques. Ceux-là représentent la majorité. Même s’il est difficile de disposer de chiffres fiables, le taux d’échec est jugé beaucoup trop élevé par rapport à la pertinence des projets et des profils des personnes qui les portent. Les explications sont diverses. Selon un recoupage d’informations sur la base des retours d’expérience, ce taux d’échec serait en partie lié à la mauvaise préparation avant le retour en Afrique. Les tracasseries et les lourdeurs administratives, le manque d’informations et de structures d’accompagnement à la création d’entreprise, la faible bancarisation des projets, les idées préconçues, le dépaysement, sont les arguments avancés pour justifier ces échecs. D’aucuns ne manquent pas de dire que la diaspora n’est pas forcément la bienvenue en Afrique. C’est ce qui expliquerait les méfiances décriées.

Heureusement qu’il n’y a pas que des échecs et des retours d’expérience regrettables. Ce premier forum a permis de mettre en lumière les quelques promoteurs et promotrices qui ont réellement réussi leur retour sur le continent. C’est le cas de la Franco-malienne, Aïssata Diakité qui a lancé une start-up dans l’agro-alimentaire. Zabbaan holding, son label, s’est spécialisé dans la fabrication de jus de fruit. Ces produits exotiques estampillés « Bio » fabriqués à base de gingembre, d’hibiscus, de mangues connaissent un succès commercial. En 2017, Zabbaan Holding avait conclu un accord commercial avec le groupe hôtelier Azalaï. Dans la même année, Aïssata Diakité s’est lancée dans l’exportation de ses produits en Europe. Son entreprise a désormais une filiale en France, et l’aventure de cette startup continue de plus belle.

« Pour arriver à ce succès, que de sacrifices consentis », avait rappelé la jeune cheffe d’entreprise de 29 ans. C’est à force de persévérance et de courage sur six longues années parsemées d’embuches que cette startup a pu évoluer de la petite entreprise artisanale à une véritable unité industrielle répondant aux normes internationales.     

Autre modèle de réussite, la startup African Aéronautics et Space organisation (AASO) fondée par l’ingénieur burkinabè Sékou Ouédraogo. Diplômé de l’Ecole d’ingénieurs polytechniques de Nantes, titulaire d’un Master à l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris, le patron de AASO espère bien mettre l’aéronautique et les sciences spatiales au service du développement durable du continent. Son entreprise développe de nombreuses applications dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la surveillance des frontières, de la sécurité, de la défense (…) Des services indispensables dans le contexte actuel des menaces terroristes qui pèsent sur tout le continent comme le démontrent ces derniers temps l’actualité très brûlantes sur les attentats meurtriers au Mali, au Niger et au Nigéria. D’ailleurs, les questions de sécurité étaient au cœur des préoccupations du 31ème sommet ordinaire de l’Union Africaine qui s’est tenu le 2 juillet dernier à Nouakchott, en Mauritanie.

Dans le domaine de la cybercriminalité, impossible de ne pas citer le Franco-marocain Mohammed Boumediane, patron de la startup Ziwit créée à Montpellier en 2011. Cette jeune entreprise est devenue en quelques années le leader européen de le cybersécurité. Ses principaux clients sont les patrons du CAC les plus cotés en bourse en France. Il est d’ailleurs cité en exemple de modèle de réussite par de grands magazines du monde dont The Financial Times. 

La diaspora, vache à lait des proches au pays ?

La diaspora est-elle la vache à lait des proches restés au pays ? Vrai ou faux ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une étude sérieuse réalisée par le Fonds international de développement agricole (Fida) de 2007 à 2016, « les montants des transferts de fonds des expatriés vers leur pays d’origine ont bondi de 51% − passant de 296 milliards de dollars en 2007 à 445 milliards en 2016 − soit une hausse moyenne annuelle de 4,2%. Parmi ces 445 milliards de dollars, 13% ont été envoyés à destination de l’Afrique. »

Une autre étude assez révélatrice réalisée par la Banque africaine de développement (BAD) vient confirmer ces chiffres. « En 2012, les Africains ont transféré vers leur pays d’origine près de 62,43 milliards de dollars (58,21 milliards d’euros), soit bien plus que l’Aide publique au développement en faveur du continent estimée, elle, à près de 56 milliards de dollars, et même mieux que les investissements directs étrangers chiffrés à 50 milliards de dollars », observe la BAD.

C’est pour toutes ces raisons que d’aucuns vivent cette ambiguïté comme une frustration de trop. En effet, tant que la diaspora se contente de jouer le rôle de bailleurs de fonds pour la réalisation de projets socio-éducatifs (la construction d’écoles, de dispensaires, de centres de santé), et de transférer de l’argent frais aux proches pour assurer le quotidien, elle est la bienvenue et appréciée par tous.

C’est, du moins, à toutes ces problématiques que devraient répondre la prochaine édition du Forum des diasporas africaines.

Article publié dans le N°98 de Diasporas News de juillet-août 2018

Clément Yao

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