Cardinal Jean Zerbo, archevêque de Bamako : "C'est le pardon qui va sauver le Mali"

Cardinal Jean Zerbo, archevêque de Bamako :

Premier cardinal de l'histoire du Mali depuis le consistoire de juin dernier, Mgr Jean Zerbo, qui a fait ses études à la Faculté catholique de Lyon (1975-1977) et à l'Institut biblique de Rome (1977-1981) est archevêque de Bamako. Il rend hommage aux Pères Blancs, qui ont évangélisé le Mali, et fait des 5 « P » ses priorités pastorales : Parole de Dieu, Partage, Pardon, Prière et Paraclet. Tout un programme pour la jeunesse africaine.

Propos recueillis à Bamako par Bruno FANUCCHI

Vous êtes la fierté aujourd'hui de tous les Maliens... C'est un honneur, mais aussi peut-être une lourde charge ?

Mgr Jean Zerbo : C'est vrai, j'ai personnellement ressenti une explosion de joie. Beaucoup sont venus ici manifester leur sympathie, m'assurer de leurs prières et partager cette joie qui rejaillit sur tout le Mali. A un moment où le pays est mal vu en raison de la situation dans laquelle nous sommes, le Pape se dit qu'il y a au Mali des gens qui peuvent participer à sa mission. C'est une fierté pour le Mali. La dimension nationale donnée à cet événement me fait peur car l'attente est forte. Je me mets sous la protection de Marie et compte sur la grâce de Dieu, sans oublier les prières et conseils de mes frères et soeurs !

C'est une lourde charge alors que je me préparais à prendre ma retraite d'ici deux ans. Maintenant, il va falloir jouer les prolongations, acheter de nouveaux crampons et une nouvelle tenue pour jouer le match. J'espère que l'arbitre sera indulgent, que les spectateurs ne seront pas trop exigeants.

Comme beaucoup de Maliens, vous êtes un passionné de foot ?

J'aime beaucoup le foot, non seulement comme spectateur, mais comme joueur. C'est une passion depuis mon plus jeune âge. Et, aujourd'hui encore, quand il y a un match avec les Aigles, il faut faire silence...

Quelle a été votre première réaction à l'annonce par le Pape de votre élévation à la pourpre cardinalice 

Le dernier dimanche de mai où le Pape a annoncé la nouvelle de ce consistoire, tout le monde était au courant sauf moi. Je me trouvais alors à une centaine de kilomètres d'ici pour des confirmations dans une paroisse. Le secrétaire général de la Conférence épiscopale m'a téléphoné pour me dire : « Le nonce, qui n'arrive pas à te joindre, m'a annoncé que le Pape venait de te nommer cardinal ». En mon for intérieur, je me suis alors dit : « Le Pape aurait dû au moins me demander mon avis alors que je me prépare à la retraite». Les gens autour de moi étaient contents, mais je me demandais ce qui m'arrivait. Je suis alors revenu dans l'église pour prier sur la tombe de Mgr Molin, qui fut le premier évêque de Bamako. Je me suis mis à genoux : « Pour poursuivre la mission qui vous a conduit ici, je me mets sous votre protection ».

A Bamako, tous s'attendaient à ce que je revienne tout de suite. Mais j'ai dit non, moi je fais mon programme jusqu'au bout, à Notre-Dame de Fourvières, à Faladié. Sur le retour, je me suis arrêté à Kati, et me suis rendu au cimetière sur la tombe des premiers missionnaires. « Je viens me mettre sous votre protection pour poursuivre la mission qui vous a amenés au Mali. Vous n'êtes pas venus ici chercher de l'or, du bois ou du fer, mais vous êtes venus pour nous annoncer Jésus Christ. Je vais poursuivre la mission ! ». Puis je suis rentré à Bamako, la nuit tombée.

Dans votre cathédrale du Sacré Coeur de Bamako, une plaque rappelle le souvenir du cardinal Charles Lavigerie, premier admistrateur apostolique du diocèse de Bamako et fondateur des Pères Blancs...

Quand je vais à Rome, où il y a la maison généraliste des Pères Blancs, via Aurelia, je leur dis toujours : « Que vous le vouliez ou pas, moi, je descends chez vous ». Car nous sommes en quelque sorte les fruits de l'audace missionnaire du cardinal Lavigerie. Je vais dire la messe là-bas chaque fois que je vais à Rome.

Devoir de reconnaissance oblige, c'est un retour aux sources. Il y a cette phrase, que j'aime beaucoup, inscrite sur sa tombe  : « Tout aimer de cette Afrique ». Cela veut dire quoi ? Ce qu'il y a de positif, il l'aime, mais ce qui n'est pas bien, il l'aime aussi pour le transformer car il ne vient pas nous condamner. Il nous prend tel que nous sommes. Comme principe d'engagement apostolique, je pense que c'était la meilleure manière de se conformer à l'image du Christ, venu appeler les précheurs et non les justes.

Cette Afrique, dont je suis le fils, malgré tout ce qui se voit de négatif, je dois apprendre à l'aimer, admirer ce qui est admirable, m'émerveiller devant cela, et ce qui est négatif aussi. Condamné par les pharisiens et les publicains, Jésus se rapproche de nos misères et de nos faiblesses pour les transformer en grâces. Toute la pastorale du Pape François va dans ce sens.

L'histoire de l'Eglise du Mali a commencé par Kita, désormais lieu du Pèlerinage national, et son pèlerinage, où les Pères du Saint Esprit sont arrivés de Guinée les 19 et 20 novembre 1888, ce qui fera 130 ans en 2018. Les Pères Blancs sont arrivés sept ans après, en 1895, à Ségou (dont je suis originaire), capitale du Royaume bambara, puis Tombouctou la même année. Mais Tombouctou leur est restée fermée, puis ils sont partis vers l'actuel Burkina Faso, à Koupela. C'était déjà la colonisation et les missionnaires étaient là.

"Nous refusons d'abdiquer

sous prétexte que le monde a changé"

Quelles sont vos priorités à la tête de l'Eglise catholique du Mali ?

Nous avons six diocèses au Mali et l'orientation apostolique que nous venons de prendre à l'occasion du centenaire de notre Eglise porte ses fruits : c'est une Eglise, famille de Dieu et communion fraternelle, au service de l'Evangile. La priorité, pour moi, ce sont les cinq « P » : Parole de Dieu, Partage, Pardon, Prière et Paraclet sous la protection de Marie ; Mère et Reine des Apôtres.

La priorité, c'est d'abord la formation des chrétiens car on ne peut pas avoir une Eglise vivante avec des chrétiens qui ne connaissent rien sur la foi. La priorité, c'est la parole de Dieu car un chrétien qui ne connaît pas et ne se nourrit pas de la parole de Dieu vit dans l'imaginaire... La parole de Dieu lui permet de connaître l'histoire du Salut dans l'Ancien Testament et de voir aussi que beaucoup de choses se retrouvent dans nos traditions locales. Moi, j'ai une formation biblique et je tiens beaucoup à la Parole de Dieu, c'est le premier « P ». On ne peut annoncer l'Evangile que dans la mesure où on le connaît et on essaie de le vivre. Notre vie doit être évangélique. C'est l'imitation de Jésus : vivre, c'est le Christ.

Le deuxième « P », c'est le Partage. L'incarnation est le signe du partage. Dieu a voulu être proche de nous et si proche de nous que son Fils s'est fait homme. C'est le mystère de l'incarnation et toute la joie de la nuit de Noël. Il nous parle par son Fils, né de la Vierge Marie. Le partage va jusqu'à s'incarner. Et ce partage trouve son point le plus fort dans l'eucharistie. Et Il s'est fait homme et cet homme nous nourrit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Quand le prêtre dit cela, il désire être transformé. « Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi ». Même si, chaque jour, nous nous rendons compte des limites et de la distance profonde qu'il y a entre ce que nous prononçons et ce que nous sommes. Cela, c'est la grande humilité.

Le troisième « P », c'est le Pardon, c'est être capable de partager avec tout le monde, y compris ses ennemis. Là encore, le Christ nous donne l'exemple avec le Bon Larron, auquel il pardonne sur la Croix. « Ce soir, tu seras avec moi en Paradis ». C'est cela toute la force de l'Evangile. S'il y a quelque chose de difficile, c'est la petite phrase du Notre Père : « Pardonne nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Le pardon et la miséricorde, c'est l'extraordinaire actualité de notre foi. Ce qui va sauver le Mali, avec tous les conflits qu'il y a, toutes ces injustices commises, toutes ces veuves, ces orphelins... c'est le pardon.

Le quatrième « P », c'est la Prière. Car nous ne pouvons pardonner, comprendre la parole de Dieu et assumer le partage qu'à la lumière et à l'aide de la prière. Et de la prière quotidienne qui nous donne assez de lumière et de force pour pardonner. Je suis en train de copier St François d'Assise et le cantique de Daniel. C'est magnifique : le soleil, la lune, les étoiles... Nous sommes dans un monde où nous avons l'impression que l'homme est au centre de tout. C'est vrai, c'est le bourgeon final de la création, mais encore faut-il que nous admirions cette création et que nous ne la saccagions pas. Il faut être capable de s'émerveiller devant la fleur, devant une abeille qui fait son miel, devant les oiseaux qui sont dans cette cour... Cela vous met en harmonie avec la création.

C'est Dieu le maître de la création et, s'il a mis tout cela autour de vous, ce n'est pas pour que vous saccagiez tout, mais pour que vous preniez ce que vous devez prendre non seulement pour vivre, mais aussi pour alimenter votre vie sur le plan spirituel. Notre formation chrétienne doit nous apprendre à aimer, connaître et respecter la nature et notre environnement.

Pour comprendre tout cela, il y a le cinquième  « P » : le Paraclet, l'Esprit Saint qui nous éclaire et inspire nos prières. D'où l'importance de la confirmation, qui nous donne les sept dons du Saint Esprit, pour les chrétiens.

"Vous avez une dignité à défendre :

celle des enfants de Dieu"

Pour répondre aux préoccupations du Pape François, comment aller à la rencontre des gens de la périphérie ? Au Mali, y a-t-il de nouveaux moyens d'évangélisation ?

Il y a des moyens modernes de communication aujourd'hui comme la télévision ou le portable. Dieu est communicateur et nous sollicite à utiliser ces moyens modernes de communication pour le faire connaître et répandre la « bonne nouvelle ». S'il y a une émission à suivre aujourd'hui au Mali, je conseille de regarder KTO, la chaîne de télévision qui émet sur le canal 190. Les gens peuvent ainsi suivre les voyages du Pape, le consistoire à Rome, les moines qui chantent la prière du matin ou réciter le rosaire. Qu'il y ait ainsi au Mali dans chaque paroisse de chaque diocèse déjà une radio pour relayer la vie de l'Eglise, mais aussi pour toucher notre environnement. Grâce à la radio, on peut m'entendre le dimanche à 300 kms de Bamako, où se trouve ma dernière paroisse. C'est un moyen formidable d'évangélisation pour tous.

Les chrétiens peuvent-ils avoir une influence sur la société, la législation du pays, la politique ?

Il me semble que, d'une façon générale, les chrétiens ont ici plutôt bonne réputation. Ils inspirent la confiance et le respect à cause de l'éducation reçue : le chrétien ne vole pas, ne triche pas, il n'est pas paresseux, mais miséricordieux. Ce qui est déjà une grande grâce de Dieu. Et l'on dira couramment quand ce n'est pas bien fait : « Cela, ce n'est pas un acte de chrétien». Ce qui ne veut pas dire que nous sommes meilleurs que les autres. Mais notre éducation, c'est : « Tu aimeras ton prochain ». D'où cette réflexion populaire : « Celui là, il est chrétien, il est sérieux, va chez lui ».

"C'est aimer Dieu et aimer son prochain, celui qui prétend aimer Dieu et qui n'aime pas son prochain est un menteur"

Que représentent les chrétiens ici, au Mali ?

Les statistiques réelles n'existent pas, mais la communauté chrétienne est estimée à 570.000 âmes, soir environ 3 % d'une population de 18 millions d'habitants. Le plus grand nombre de chrétiens se trouve dans le diocèse de San, le plus ouvert à l'Evangile. Je m'y suis rendu début décembre pour deux bonnes raisons. L'ordination du benjamin de notre clergé, qui aura 30 ans cette année, et le jubilé (les 50 ans de sacerdoce) de celui que l'on considère comme le doyen des prêtres du Mali, l'abbé Joseph Dakoo, qui a plus de 80 ans. En 2017, il y aura ainsi eu six ordinations pour l'ensemble du Mali.

En 1990, Jean-Paul II est venu à Bamako. Quels souvenirs gardez-vous de cette visite ?

Ce fut un voyage éclair, mais un grand événement auquel la Nation entière a participé. J'étais alors évêque auxiliaire de Bamako, mais la mobilisation fut générale et l'engagement du chef de l'Etat, le président Moussa Traoré, total. A ceux qui disaient que le Mali n'est pas un  pays chrétien et que le Pape n'a pas à y venir, le président a clairement répondu : « Cest moi le chef, j'ai été reçu au Vatican et je lui rends donc la monnaie. Celui qui ne veut pas venir à la fête, qu'il reste à la maison, mais je ne veux personne dans la rue pour dire qu'il ne veut pas la bénédiction du Pape ».

La rencontre avec les jeunes fut l'un des moments les plus forts de cette visite. Les jeunes ont étalé leur misère en lui ouvrant leurs coeurs : « Vous êtes notre Père, nous vous confions tous nos maux avec l'assurance que vous les présenterez à Dieu pour que nous nous en sortions.». Le pape leur a répondu simplement : « N'ayez pas peur! Ce que vous étalez c'est une réalité, mais ce n'est pas la drogue, l'alcool ou la prostitution qui sera pour vous un remède. Vous avez une dignité à défendre ! Celle des enfants de Dieu, créés à son image et à sa ressemblance ».

"Seigneur, faîtes de moi

un instrument de votre Paix"

Comment faire face aux maux de notre époque : islamisme radical, terrorisme, corruption généralisée, mafias et trafics en tout genre ? Le Mali est aux premières loges...

Il faut d'abord prendre conscience de cette réalité et ne pas fermer les yeux ou la nier. Mais il ne faut cependant pas paniquer. Nous refusons d'abdiquer sous prétexte que le monde a changé. Que ceux qui détiennent les vraies valeurs s'y cramponnent. Car il faut malheureusement constater aujourd'hui une inversion des valeurs. On dit ainsi, par exemple, d'une personne qui a réussi : « Il est devenu quelque chose ». La personne est ainsi chosifiée, mais la valeur d'une personne ne se mesure pas à l'argent qu'elle possède ou à la hauteur de sa maison - ce sont là les critères d'une société de consommation - mais à l'attention qu'elle porte aux autres. Même si tu as construit un immeuble de vingt étages, tu finiras sous terre car il est écrit « Tu es poussière et tu finiras en poussière ! ».

Un message d'espérance pour le Mali et la jeunesse d'Afrique...

Depuis 2012, nous sommes au Mali dans la tempête et, maintenant, celle-ci souffle partout. Le monde ne peut pas changer en bien avec cette violence. Que chacun porte en lui cette espérance forte, ancrée sur Dieu, qui nous sommes capables de nous sortir de là en changeant d'abord nos cœurs. C'est la nécessité de notre conversion intérieure.

Ma conviction la plus profonde : c'est dans le cœur de Dieu - dont l'image se réflète dans le cœur de Marie - que je peux puiser les ressources qui nous permettent de changer le visage négatif de ce monde qui nous fait tant souffrir. Tout est grâce et miséricorde. Sans la miséricorde, on ne peut rien. Je suis le premier bénéficiaire de cette miséricorde de Dieu.

Ma prière, c'est tout simplement celle de St François d'Assise : « Seigneur, faîtes de moi un instrument de votre Paix ». Même pour présenter mes vœux au chef de l'Etat, Ibrahim Boubacar Keita, je me fais accompagner de deux enfants – un garçon et une fille – et je demande le privilège de terminer en récitant avec eux cette prière pour la paix. Vous pensez que l'Année de la Miséricorde est finie et que l'on va mettre cette si belle prière au garage ? Elle fait désormais partie de nos bagages, de notre prière quotidienne.
Beaucoup de choses marchent mal dans l'Eglise en particluieur parce que nos convictions ne sont pas fermes. Si Dieu me prête vie, je compte partager cela avec les responsables pastoraux et mettre ma boussole sur l'Espérance.

Pour que le Seigneur change nos cœurs de pierre en cœurs de chair. Il nous faut le demander par la prière, avec l'aide de l'Esprit Saint, l'appliquer nous même par le pardon, pour accepter le partage et nous ressourcer à la parole de Dieu jusqu'au don total.

Cette interview exclusive est parue dans l'hebdomadaire « France catholique » le 19 janvier 2018

www.france-catholique.fr

Bruno Fanucchi

COMMENTAIRES

Géraud sevestre
Merci pour cet Article très intéressant où il est question de foi,de générosité et de pardon .quel vent de fraîcheur ...que notre vielle Europe en prenne de la graine!
14 Juin 2018 à 09:59