Aurore Garnier, Directrice associée d'ISAO : « Notre mission est de créer une sûreté africaine »
Aurore Garnier, Directrice associée d'ISAO
La sûreté des entreprises est certainement un des domaines où l’Afrique est le moins avancée. Pour y remédier, la société ISAO (spécialisée dans le domaine de l’intelligence d’affaires, la sûreté et la gestion des risques) exporte son expertise grâce à un capital humain local. Sa directrice associée, Aurore Garnier, explique pourquoi le Continent devenu très attractif, doit se prémunir des nouvelles menaces.
Propos recueillis à Abidjan par Clément Yao
Le colloque que vous deviez organiser à Abidjan le 19 mars dernier a été reporté à une date ultérieure en raison de la pandémie du Coronavirus. Quel en était les enjeux ?
« La sûreté : vecteur de croissance pour l’entreprise ». Tel était effectivement le thème du colloque organisé par ISAO (Intelligence Security Analysis Operations) qui vient d'être reporté en raison du Coronavirus. Il avait pour objectifs de sensibiliser non seulement les dirigeants d’entreprises ivoiriennes, mais également ceux des entreprises internationales déjà présentes ou qui souhaitent s’implanter en Côte d’Ivoire, sur la nécessité d’instaurer une culture sûreté dans l’entreprise. Aujourd’hui, il est déterminant pour toutes les entreprises de pouvoir identifier les risques et menaces auxquels elles sont confrontées et réduire leur exposition à ceux-ci. Le but est de protéger leur patrimoine, qu’il soit humain ou matériel, pour une implantation durable.
De nombreuses personnalités étaient pourtant annoncées à cette importante rencontre ?
Tout à fait. Ce rendez-vous était tout d’abord une rencontre entre le secteur privé et le secteur public préoccupés par ces questions de sécurité et de sûreté. Le préfet Bernard Squarcini, qui est l’ancien directeur de la DCRI (Direction Centrale des Renseignements Intérieurs) de la République française, était attendu. Tout comme l’ancien ministre de la Défense du Mali, Hubert Tieman Coulibaly, le Préfet d’Abidjan, le Coordinateur des renseignements de Côte d’Ivoire. Tous ces acteurs publics devaient intervenir sur la réalité des menaces pour les entreprises, mais également sur les actions qui sont menées par les forces de défense et de sécurité dans leurs pays respectifs.
Ce colloque devait aussi accueillir des experts dont la compétence est avérée dans bien d'autres domaines. C’est le cas de Stéphane Volant, président du Club des directeurs de sûreté et de sécurité des entreprises (CDSE) et Secrétaire général de la SNCF de 2008 à 2019, du directeur de la sûreté du Fonds d’investissement MERIDIAM, des avocats et des chefs d’entreprises. Toutes ces personnalités étaient conviées à partager leur expérience et à expliquer comment elles mettent en œuvre leurs projets en matière de sûreté, ici, en Afrique de l’Ouest.
"L’Afrique de l’Ouest est une terre
d’opportunité pour le business"
Quel est votre diagnostic de la situation ?
Je pense qu’aujourd’hui le continent africain en général, et l’Afrique de l’Ouest en particulier, est une grande terre d’opportunités. Beaucoup d’acteurs économiques viennent s’y implanter pour se développer. C’est en revanche une zone qui présente aussi un certain nombre de risques et de menaces. Chaque territoire dans le monde a son propre niveau de risques. Toutefois, il y a des risques qui sont globaux, tel que le terrorisme, présent désormais dans le monde entier et non seulement en Afrique de l’ouest, et d’autres qui sont spécifiques à la zone géographique.
Face à ces menaces qui sont protéiformes et évolutives, il est crucial que les entreprises implantées en Afrique de l’ouest se structurent. Les grands groupes internationaux savent se prémunir face à de tels risques et organisent leur sûreté. Ce qui n’est pas forcément le cas des entreprises implantées en Afrique de l’ouest et notamment en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il y a une obligation légale fondée sur des jurisprudences qui datent des années 1990. Mais au-delà de cette obligation légale, il y a une obligation morale. On ne peut plus avoir deux poids deux mesures dans la protection de son personnel ou négliger la sécurité de son patrimoine si on veut permettre à son activité de perdurer.
Quelle est, selon vous, la nature de ces menaces ?
Je pense évidemment à la menace terroriste, mais aussi la menace cyber qui a beaucoup évolué en Afrique ces dernières années. Nous pouvons parler également des menaces qui nous concernent au quotidien tels que les vols, les intrusions, les sabotages ou la contrefaçon, qui relèvent la sûreté, puisqu’elles sont liées à des actes malveillants dont les entreprises et industries implantées ici sont fréquemment des cibles.
Les sociétés de sécurité locales ne sont-elles pas compétentes pour pallier ces risques ?
Ce n’est pas tout à fait le même métier. Vous avez ici, et dans toute la sous-région, des sociétés de gardiennage. Vous avez également des entreprises qui font de la vidéo-surveillance, etc. Nous proposons des solutions pour lesquelles on agrège les compétences et on apporte de la plus-value à travers notre expertise et la formation du nos personnels. Car on a aujourd'hui un déficit de formation dans ces entreprises de sécurité et de gardiennage. J'entends trop souvent des opérateurs économiques qui disent avoir déployé de nombreux moyens, mais qui baissent les bras parce que cela n’a servi à rien. Il faut lutter contre cette fatalité et, pour cela, nous nous attachons à former notre personnel de manière à ce qu’avec leur connaissance et leur ccompréhension de l’environnement, il puisse délivrer des prestations correspondant aux standards internationaux.
La lutte contre toutes ces formes de menaces ne relève-t-elle pas du pouvoir régalien des Etats ?
Effectivement, les Etats déploient les forces de défense et de sécurité pour assurer la sécurité des citoyens. En revanche, l’Etat – qui ne peut pas pallier à tout - peut travailler avec le secteur privé pour protéger les acteurs économiques. La fonction sûreté doit être intégrée à l’entreprise et assurée par un expert, qui fera le lien et inscrira son travail dans un système de continuum avec les forces de défense et de sécurité, de manière à prolonger leurs actions et à rester toujours respectueux de leurs prérogatives. C’est vraiment un partenariat « gagnant-gagnant » qui se caractérise par un travail collaboratif, où chacun a sa place.
Toutes les entreprises sont-elles concernées par la question de la sûreté ?
Même si toutes les entreprises sont concernées par ces questions de sûreté, celles qui sont à même de déployer des dispositifs sûreté ont une taille relativement mature. Nous travaillons beaucoup plus avec les industries, les groupes miniers, les sociétés agro-alimentaires (...) Il faut avoir une masse critique pour intégrer ces questions et mettre en place un dispositif de sûreté. Pour les plus petites entreprises, c’est fait de manière empirique avec des moyens « artisanaux ».
N’est-ce pas le coût onéreux de la sûreté qui explique que de nombreuses entreprises ne l’intègrent pas dans leur plan de développement ?
Elle coûte chère justement parce que, pour l’heure, on s’est contentés de l’importer. Or, il existe aujourd’hui des entreprises locales. Chez ISAO, la question de la sûreté est aujourd’hui notre cœur de métier mais nous restons une entreprise ouest-africaine et c’est d’ailleurs ce qui motive nos équipes. Notre objectif est de créer une sûreté africaine et non une sûreté qui soit calquée sur des modèles étrangers.
"Prévenir les risques est un facteur
de croissance car la sûreté rapporte"
Mais une entreprise de petite taille n'aura-t-elle pas du mal à se payer les services d’une société de sûreté comme la vôtre ?
Contrairement à ce qu’on peut penser, figurez-vous que la sûreté rapporte. Elle rapporte parce que nous intervenons par exemple sur l’optimisation des dispositifs de sécurité. Vous avez des caméras, du gardiennage, et vous continuez à vous faire voler. Aujourd’hui à travers un audit et la mise en place de nouveaux dispositifs plus adapté à votre activité et plus intelligent en termes de technologie, vous pourrez optimiser vos coûts et réduire le nombre de vols. Je pense que prévenir les risques est également un facteur de croissance pour l’entreprise face aux actes malveillants de cyber, de terrorisme, de contrefaçon. Il est nécessaire, on le voit aujourd’hui, de se préparer à toutes les crises auxquelles on pourrait être confrontée. Si on n’est pas prémunis contre tout cela, on peut perdre beaucoup d'argent.
Comme vos clients sont essentiellement des entreprises occidentales, êtes-vous également sollicitée par les entreprises locales ?
A travers ce colloque et nos actions au quotidien, notre objectif premier est de pouvoir diffuser cette culture de la sûreté au sein des entreprises africaines. Ces obligations sont parfois imposées aux entreprises occidentales qui s’implantent ici, mais je pense qu'il est important – au vu des menaces - que chaque dirigeant prenne conscience de la nécessité d’avoir une culture de sûreté.
Le terrorisme gagne du terrain comme on l’observe au Mali, au Burkina et dans d’autres contrées africaines. Quelles solutions proposez-vous ?
ISAO ne pourra pas combattre le terrorisme. C’est le travail des forces de défense et de sécurité. En revanche, les services que propose ISAO, c’est de permettre aux entreprises de continuer de travailler en toute quiétude. Une entreprise de sûreté n’est pas là pour interdire de travailler dans un pays. Elle est là pour permettre justement de maintenir son activité dans un environnement le plus sécurisé possible.
ISAO travaille avec des expatriés ou des compétences locales ?
ISAO est un groupe ouest-africain implanté à Abidjan et à Dakar, qui emploie 700 personnes (des compétences africaines à 95 %), dont 30 % de femmes, déployées dans toute l’Afrique de l’Ouest francophone.
Dans une autre vie, vous avez servi en France au sein du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Défense ?
J’ai effectivement travaillé pendant 15 ans au sein des forces de défense et de sécurité. D’abord au sein de la Police nationale pendant 5 ans et ensuite avec le Commandement des Opérations Spéciales (COS) au ministère de la Défense pendant à peu près une dizaine d'années. Puis j’ai découvert l’Afrique de l’Ouest au travers de premières missions avec le déploiement de l’armée française en Côte d’Ivoire et au Mali. J’ai eu un coup de cœur pour cette région du Continent. J’ai donc décidé de quitter mes activités institutionnelles et de monter ici une entreprise ici.
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