Alain Modot : « En Europe, nos cinémas devraient s'ouvrir aux films africains »

Alain Modot : « En Europe, nos cinémas devraient s'ouvrir aux films africains »

Alain Modot, patron de la société internationale de distribution de films et de fictions en Afrique (Diffa)


Après avoir racheté les parts de Lagardère Studio – actionnaire majoritaire – la société de Distribution internationale de films et de fictions en Afrique (Diffa) repose désormais sur les épaules d’Alain Modot. Cet économiste du 7ème art regrette que les producteurs africains aient encore du mal à rentabiliser leurs investissements.

Propos recueillis par Clément YAO

Directeur de Diffa, vous avez eu le nez creux en implantant une filiale en Afrique avec votre ancien partenaire Lagardère Studio, car cette expérience n'est-elle pas  couronnée d’un franc succès ?

Alain Modot 

Je me réjouis de cette belle expérience en Afrique qui n’a pas été facile dès le départ. Mon histoire avec la Côte d’Ivoire a commencé en 2010 où j’étais le chef d’équipe d’une étude sur la libéralisation du paysage audiovisuel ivoirien financée par l’Union européenne, et commandée par le ministre ivoirien de la Communication d’alors, M. Ibrahim Sy Savané. J’y ai passé plusieurs mois avec une équipe d’experts pour travailler sur la transition de la chaîne publique d’Etat vers un modèle économique de télévision de service public, ouvert sur le monde.

Après cette première expérience très enrichissante, je me suis attaché à ce pays à fort potentiel économique et culturel. En partenariat avec la société Martika Production du Franco-camerounais Jean Hubert Nankam en Côte d’Ivoire, j’ai lancé Diffa en 2011. C’est effectivement le premier catalogue 100 % africain de films et de fictions qui s’impose progressivement comme une marque de référence pour la promotion et la vente de fictions et de films africains produits en Afrique et par les diasporas sur le marché régional international.

Concrètement, quel a été l’impact de l’implantation de Diffa dans l’écosystème du cinéma en Afrique ?

En quelques années, nous avons beaucoup travaillé et je l’espère, beaucoup apporté. Je dirai que notre présence a inspiré plusieurs modèles économiques dans l’écosystème du cinéma africain. Notre objectif est d’aider les producteurs africains à être plus présents sur le marché international, à vendre leurs programmes et leurs films. En un mot, à gagner de l’argent. L’objectif de Diffa est aussi de permettre aux Africains de tisser un certain nombre de liens sur le marché international avec des clients et des diffuseurs de tout horizon. Notre filiale Diffa Ouest Africa est bien installée à Abidjan avec des bureaux et un personnel recruté localement. J’envisage d’ailleurs de délocaliser le siège principal de Paris à Abidjan pour que Diffa Ouest Africa devienne la tête du réseau et prenne le nom de Diffa Africa car nous travaillons sur tout le Continent.

A quoi obéit le choix de la capitale économique ivoirienne ?  

Cela fait dix ans que j’ai commencé à prospecter en Afrique. Au nombre des pays les plus ouverts, la Côte d’Ivoire m’a paru comme le pays le plus intéressant pour lancer ce projet. Entre temps, il y a eu en 2010, la crise post-électorale. Je suis parti pour des raisons de sécurité et, lorsque la situation s’est normalisée, je suis naturellement revenu parce que je tenais à créer cet outil de distribution au service de la création africaine. Je n’ai pas lâché prise comme beaucoup d’opérateurs l’ont fait en délocalisant leurs activités dans d’autres pays africains.

L’objectif de Diffa, c’est aussi de former des Ivoiriens et des Africains au commerce international des droits audiovisuels. Notre bureau à Abidjan me permet de rayonner partout en Afrique. Diffa représente aujourd’hui quelque 140 producteurs originaires de 35  pays africains, dont une quinzaine d’Ivoiriens. Nous nous occupons également de la promotion des séries africaines de façon générale.

Qu’est-ce que Diffa a pu apporter dans le paysage du cinéma ivoirien ?

J’ai aidé la Côte d’Ivoire à devenir un des partenaires importants du projet européen Afrique Caraïbes Pacifique, avec l’Organisation Internationale de la Francophonie. Aujourd’hui, le ministère ivoirien de la Culture gère - via le Fonsic présidé par Diakité Coulibaly - un fonds européen destiné au soutien des coproductions panafricaines et Afrique /Europe à l’audiovisuel et au cinéma. Ceci a été réalisé du temps où le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, Maurice Kouakou Bandaman, était à ce poste et a soutenu nos efforts. Je peux vous dire que la Côte d’Ivoire était, à cette époque, le seul pays de la sous-région Ouest africaine à avoir eu le courage et la clairvoyance d’investir dans des films non ivoiriens, comme les films d’Apolline Traoré par exemple, remplissant ainsi valablement les conditions pour candidater à ce fonds.

Le Burkina Faso avec son Fespaco, un des rendez-vous incontournables du cinéma en Afrique subsaharienne, n’était-il pas éligible à ce fonds ?

Non. La Côte d’Ivoire a deux ou trois festivals qui n’ont certes pas l’aura du Fespaco. Cependant, comprenez que le Burkina Faso voire même le Sénégal ou encore le Cameroun organisent certes des rendez-vous cinématographiques importants, mais le seul pays qui a une vraie vision panafricaine de soutien au cinéma, c’est incontestablement la Côte d’Ivoire. En effet, vous pouvez être originaire d’un autre pays et bénéficier du soutien des partenaires ivoiriens.

Apolline Traoré par exemple, la réalisatrice bien connue du Burkina Faso, a fait ses films avec le soutien de la Côte d’Ivoire et des prestataires en Côte d’Ivoire. Ce pays a également aidé des films du Sénégal et d‘autres pays africains. C’est le seul pays, à ce jour, qui a toujours su s’ouvrir à tout le Continent. Pour la Commission de ce fonds, ce panafricanisme ivoirien a beaucoup compté dans les critères de choix, et c’est justement ce que nous avons mis en valeur. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est le seul pays partenaire de l’OIF dans la gestion de ce fonds de soutien au cinéma panafricain. C’est ce qui la rend incontournable dans la sous-région.

On observe que l’argent se fait de plus en plus rare pour financer le cinéma et les fictions ?

C’est tout à fait juste. Le marché est effectivement devenu extrêmement difficile, mais il est solidement ancré en Côte d’Ivoire. Ce pays a eu l’intelligence de mettre en place un mécanisme de soutien dénommé Fonsic, le Fonds de soutien à l’industrie cinématographique. Un fonds qui aide certes majoritairement les Ivoiriens, mais est ouvert à d’autres pays comme le Burkina Faso, le Cameroun et le Sénégal. Je pense que c’est le bon exemple. La Côte d’Ivoire a su montrer qu’en étant ouvert, on peut devenir plus fort. Surtout dans un contexte où de nombreux pays se plaignent de ne pas disposer de beaucoup de moyens financiers pour aider les nationaux et à plus forte raison les étrangers. Et il faut ajouter la présence de la RTI qui est un exemple pour les chaînes africaines dans le domaine de l’investissement dans les programmes nouveaux, mais aussi de A+ et des nouvelles chaines de la TNT comme NCI et Life ou des plateformes comme Orange Côte d’Ivoire, qui offrent de nouveaux débouchés pour les contenus.

"Il existe très peu de salles

en Afrique francophone"

L’industrie du cinéma et des téléfilms semble mieux organisée dans les pays anglophones que francophones. Comment expliquez-vous cette disparité ?

En Afrique anglophone, les deux pays qui ont les plus grosses productions, ce sont l’Afrique du sud et le Nigeria. Sur le plan de la production, l’Afrique du sud n’est comparable à aucun autre pays du Continent. Le succès du Nigeria, qui reste le pays de référence en la matière, repose incontestablement sur des programmes de qualité, et plus encore sur la promotion et la bonne organisation de ce secteur. Le cinéma nigérian n’est certes pas très riche, mais force est de reconnaître qu’il est bien fait et surtout porté par une foi entrepreneuriale à toute épreuve.

A l’inverse, en Afrique francophone, on est marqué par une approche extrêmement culturelle, sophistiquée du cinéma. On oublie souvent que le cinéma, c’est d’abord des entrées en salle. Malheureusement, il en existe très peu. Dans une grande métropole comme Abidjan qui est peuplée de 4,7 millions d’habitants, il n’y a que quatre salles de cinéma. Le Burkina Faso en dispose de trois ou quatre et le Cameroun, je crois, n'a que deux salles. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y avait beaucoup plus de salles de cinéma par le passé. Face à ce désert de salles, un des grands défis en Afrique francophone, c’est de regagner le public et le marché. Là-dessus, le Nigeria a su exploiter ce marché important. En revanche, le cinéma nigérian circule beaucoup plus aux Etats-Unis, aux Royaume Uni qu’en Afrique. Tant mieux pour eux.

Avec le développement de salles et la mise en place de fonds d’aide, tout cela va permettre eux producteurs de réaliser des programmes de qualité qui soient vus partout en Afrique et dans le reste du monde.

Sur quels projets travaille Diffa aujourd’hui ?

Lagardère, mon partenaire initial avec lequel j’ai fondé Diffa, s’étant retiré de l'Afrique, nous avons maintenu l’activité sur le Continent. J’ai une équipe à Abidjan dirigée par une jeune femme remarquable, Seina Touré, et je projette de faire de la filiale Diffa locale, le centre de nos activités. J’ai quelques partenaires assez importants comme Orange studio, et l’idée est de pouvoir mobiliser de l’argent pour soutenir et renforcer la production cinématographique et les séries télé sur le Continent avec l’appui de fonds européens et bien d’autres aides. Je pense par exemple à la fondation Bill et Melinda Gates, et d’autres encore, qui peuvent soutenir la production de contenus comme la série « C’est la Vie ».  Il faut en contrepartie de ces soutiens, que ce secteur gagne en professionnalisme, en bonne organisation et en réseaux.

Mon rôle est d’aider les professionnels africains à mieux s’organiser pour gagner de l’argent, à créer des synergies panafricaines. Je travaille en ce moment sur des projets qui ont été déposés à l’OIF. Il s’agit de coproductions réunissant des acteurs, des réalisateurs et des techniciens venant de plusieurs pays et travaillant ensemble pour faire un programme inédit. En ce qui me concerne, avec mon partenaire ivoirien, Martika Production, l’idée est de travailler ensemble pour produire du contenu, et de créer un modèle économique qui puisse servir le secteur.

"Mon rôle est d’aider à la promotion du cinéma

africain, mais aussi à sa crédibilité économique"

Le cinéma africain n’a-t-il pas plus à gagner en se développant sur le Continent plutôt qu’à l’export ?

Encore une fois, je reviens sur l’épineux problème de l’insuffisance de salles de cinéma, notamment en Afrique francophone, et sur la faiblesse des investissements des chaînes africaines. Ce qui constitue un facteur limitant pour faire de ce secteur un vrai marché de consommation. Pour remédier à cette situation, il faut faire en sorte que le cinéma africain bénéficie du marché international. Il y a par exemple dans notre catalogue deux réalisatrices très connues. Il y a Apolline Traoré du Burkina Faso, qui a tourné « Frontières », et la jeune congolaise Machérie Ekwa Bahango de la RDC, qui a réalisé « Maki’la ». Ces deux films ont été aidés, soutenus et primés dans trente à quarante festivals dans le monde.

Si nous projetons par exemple ces films en Europe, il y aura, hélas, très peu d’entrées. C’est cela la dure réalité. Il y a un décalage entre la renommée qu’on peut avoir et la rentabilité économique. Mon rôle, c’est d’aider non seulement à la promotion du cinéma africain, mais aussi à sa crédibilité économique. Il s’agit de faire en sorte que le modèle économique du cinéma africain ne soit plus uniquement basé sur quelques subventions locales mais qu’il intègre véritablement le marché international. Aujourd’hui, Diffa soutient plusieurs films et des séries pour qu’ils pénètrent le marché international. Il faut que les producteurs africains arrivent à rentabiliser 10 % à 15 %, voire 20 %, de leurs investissements sur le marché international et amortir ainsi une partie de leurs coûts. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Le but est de faire en sorte que le cinéma et les séries africaines soient vus le plus possible sur tous les supports. Que ce soit la VOD, les salles de cinéma, les chaînes de télévision. Pour l’instant, les salles de cinéma en Europe sont relativement fermées aux films africains à quelques exceptions près. Même le marché français n’est pas très ouvert aux films africains.

Est-ce que ces séries africaines à succès sont-vraiment rentables ?

Pour l’heure, la rentabilité des séries africaines est encore assez faible. Diffa a par exemple réussi à vendre plusieurs fois les mêmes films. C’est le cas de « Frontières » ou encore « Last flight to Abuja » produit par le Nigérian Obi Emelonye. Nous avons vendu ce film au moins quinze fois à des prix qui sont de l’ordre de 70 à 1000 euros. Vous convenez avec moi que ces films ne sont pas des business modèles importants. A comparer aux films à succès de Disney, c’est vraiment le jour et la nuit.

On est désabusé face au succès des films produits et réalisés par des Européens ou Disney qui s’approprient des belles histoires africaines à l’instar de Kiriku ou Simba le roi lion ?

J'en conviens avec vous. En revanche, il faut que l’Afrique s’approprie des modèles économiques de ces films à succès comme ceux produits par Disney par exemple et bien d’autres. Le problème, c’est que l’argent retourne chez Disney, aux Etats-Unis,  et non en Afrique. Il faut arriver à inverser la tendance pour qu’une bonne partie des investissements restent en Afrique et à monter des partenariats gagnant-gagnant de sorte que ce ne soit plus les Occidentaux qui soient privilégiés et se taillent la part de lion.

Mon idée est d’aider les Africains à être présents sur le marché international, d’être compétitifs et respectés. A titre d’illustration, nous venons de déposer une série à l’OIF, Roses Ecarlates, réalisée par Franck Olivier Ndema, coproduits par deux producteurs camerounais, un producteur congolais de Goma et Diffa en Côte d’Ivoire. Nous pouvons ainsi réunir des talents et faire de la production de qualité internationale.

J’ai la ferme conviction qu’il y a de grands thèmes africains qui pourraient, sans problèmes, déboucher sur de grandes productions internationales. Je distribue en ce moment un documentaire coproduit par des Belges et des Congolais de la RDC intitulé « Bakolo Music International » sur la Rumba congolaise. Ce film devrait être diffusé partout en Europe. La culture africaine doit circuler.

Clément Yao

Par Pays

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