Anne Lauvergeon, Présidente-fondatrice du cabinet ALP et marraine du PassCare : "L’énergie nucléaire n’est pas réalisable actuellement dans la sous-région ouest-africaine"

Anne Lauvergeon, Présidente-fondatrice du cabinet ALP et marraine du PassCare :

Anne Lauvergeon Présidente-fondatrice du cabinet ALP

 


L’ex-présidente du directoire d’Areva, Présidente-fondatrice d’ALP, une société qui conseille les gouvernements et les grandes entreprises, se rend à Abidjan (Côte d’Ivoire) cette semaine, pour assister à la présentation officielle du PassCare dont elle est la marraine.

Propos recueillis par Clément Yao 

Pourquoi votre entreprise a choisi d’investir dans le projet du PassCare ?

Outre notre premier métier de conseiller les gouvernements et les grandes entreprises, nous investissons dans des entreprises innovantes qui servent le bien commun. Nous avons fait à ce jour une quinzaine d’investissements dans des entreprises très différentes dont PassCare.

Je peux vous dire que cet investissement, nous l’avons fait avec enthousiasme parce que nous pensons que cette nouvelle technologie va améliorer la santé des populations dans le monde.

Pour la première fois, on va avoir sur soi une simple carte comme une carte bancaire, contenant tout notre historique de santé. Finies les masses de documents et d’ordonnances à transporter sur soi. Imaginez que vous avez un accident dans la rue, les secouristes n’auront pas à chercher votre groupe sanguin et vos antécédents de santé. Grâce à votre carte PassCare qui contient vos données de santé, ils auront toutes les informations nécessaires pour faire rapidement un diagnostic.  

"La particularité de cette carte PassaCare

c’est qu’elle est accessible à tous"

La particularité de cette carte, c’est qu’elle est accessible à tous parce qu’elle n’est pas chère. On ne sera plus dans un système où un produit est réservé à une certaine élite. Elle peut toucher toute la population et révolutionner la santé publique, et plus encore en Afrique.

En Afrique, les femmes sont les plus touchées par les problèmes de santé publique au regard des chiffres alarmants sur le taux de mortalité infantile. Le PassCare est-il une chance pour elles ?

C’est en effet une chance tout à fait significative encore plus pour les femmes qui sont le plus souvent les oubliées du système de santé. Le PassCare va leur permettre d’aller consulter beaucoup plus facilement chez le médecin. En plus, la carte sera bénéfique à toute la famille. Elle pourra y intégrer ses enfants pour un bon suivi infantile. Le médecin pourra recouper par exemple beaucoup plus facilement les maladies familiales et ne pas être amené à refaire les examens. Cette carte fait gagner du temps et de l’argent.

Le taux d’analphabétisme jugé élevé sur le continent africain ne sera-t-il pas un frein à l’utilisation de la carte PassCare ?

Très franchement, on n’a pas besoin de savoir lire et écrire pour utiliser la carte PassCare. Son utilisation est semblable aux télépaiements avec les smartphones. Les gens n’ont pas besoin d’être lettrés pour effectuer leurs opérations de paiements et de transferts d’argent. C’est pareil pour la carte PassCare.

Auriez-vous une communication à faire à Abidjan à l’occasion du lancement du PassCare ?

Je peux vous assurer que nous accordons beaucoup d’importance au colloque d’Abidjan sur le PassCare. C’est d’ailleurs pour cette raison que je serai présente. Le colloque sera présidé par le ministre ivoirien de la Santé et sera élargi à la sous-région. A cette rencontre capitale sur l’e-santé, nous allons discuter de la prévention et de l’accompagnement médical amélioré. Si vous voulez mon avis, pour moi, on fait des progrès très significatifs en Afrique. En Europe de manière classique, on a fait des progrès les uns derrière les autres. L’Afrique va se passer des étapes intermédiaires qui demandent beaucoup d’investissements lourds et d’infrastructures onéreuses. Pour ne prendre que l’exemple de la France, le ministère de la Santé avait dépensé des fortunes pour mettre en place le système de dossier médical personnalisé. Visiblement, cette ambition affichée n’a pas été couronnée de succès. Le PassCare est un système qui n’est pas du tout cher. Il sera accessible à toutes les populations même les plus modestes.

"Nous encourageons le développement de

la biomasse en Côte d’Ivoire"

Votre entreprise est également investie sur des sujets de biomasse en Afrique pour produire de l’électricité ?

Effectivement, nous encourageons le développement de la biomasse en Côte d’Ivoire. Il faut savoir que ce pays a doublé sa production agricole ces 25 dernières années. Il se pose donc la question de la gestion des déchets agricoles. Il est vrai qu’une partie est utilisée comme de l’engrais pour nourrir le sol. C’est une très bonne chose. Mais en revanche, l’autre partie de ces déchets agricoles pourrit sur place. C’est par exemple les fruits de l’anacarde, les déchets du cacao, du café, du palmier à huile (…) Ces déchets ont besoin d’être valorisées de façon intelligente. Il y a, en effet, un certain nombre de technologies qui ont été développées, qui à mon sens, devraient continuer à être développées. Je crois qu’il y a des innovations à faire dans ce pays pour soit produire de l’énergie soit faire d’autres produits avec ces déchets.

Il y a plusieurs avantages à cela. Le premier, on évite le pourrissement de grandes quantités de débris végétaux qui ont des conséquences sur la santé et le climat. Deuxième avantage, pour pouvoir les traiter, il faut les collecter. Ce qui créera évidemment beaucoup d’emplois. Enfin, on peut les utiliser pour produire de l’énergie propre. Il faut donc trouver un juste équilibre entre la partie des déchets agricoles qui serviront d’engrais, et l’autre partie qui doit être valorisée de manière intelligente pour produire de l’énergie ou autre chose.   

En ce qui nous concerne, nous avons identifié un certain nombre de projets très intéressants dans la récupération de la cabosse de cacao, les balles de riz (…) Nous faisons un grand inventaire sur le sujet, et je peux vous avouer que c’est absolument passionnant.

Les paysans seront-ils associés à ces projets dans la biomasse ?

Il faudrait trouver des solutions pour les associer. La collecte va créer beaucoup d’emplois comme je l’ai indiqué. L’équilibre entre la partie des déchets qui doit servir à nourrir les sols et l’autre partie destinée à la biomasse, il n’y a que les paysans seuls qui savent le faire. Bien évidemment, tous ces projets seront développés avec le concours des paysans et des communautés villageoises.

Vous intéressez-vous aussi aux déchets d’origine animale ?

C’est un autre sujet que nous n’étudions pas en ce moment. Il y a effectivement des déchets animaux mais surtout aussi les effluents issus des poulaillers, de l’élevage du porc, des ruminants (…) Tout cela peut être valorisé. Nous avons accompagné une entreprise en France dans la transformation des effluents en eau potable et en fertilisant grâce aux algues et au soleil.

Pour compenser leurs déficits énergétiques, certains pays africains songent à l’énergie nucléaire. Est-ce une bonne idée ?

J’ai discuté avec un certain nombre de chefs d’Etat sur le sujet. Vous savez ce qui est très compliqué dans la centrale nucléaire pour qu’elle soit rentable, il faut qu’elle ait une certaine taille pour produire beaucoup d’électricité. Il faut aussi de très gros réseaux électriques qui soient capables de distribuer cette électricité. Or, ce réseau électrique n’existe pas à l’heure actuelle dans la sous-région. Est-ce le modèle idéal ? Dans quel pays il faut l’implanter ? Ce sont là autant d’interrogations auxquelles il faut répondre au préalable. Je pense que c’est un sujet qui n’est pas réalisable actuellement. En revanche, nous avons investi dans une entreprise au Sénégal qui s’appelle ILEMEL. Nous sommes très loin du modèle d’une centrale nucléaire qui pourrait produire jusqu’à 1 650 Mégawatt. Dans le cas présent, nous produisons entre 20 et 100 Watt. Il s’agit d’électricité destinée uniquement à des ménages modestes, à des populations éloignées de tous réseaux électriques qui n’ont pas de moyens. Nous mettons en place par exemple un panneau photovoltaïque pour alimenter trois ampoules led et recharger un téléphone portable. Les abonnements se font sur 12 mois et sont payables par télépaiement. C’est certes du business, mais ce modèle économique est avant tout du social.

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Clément Yao

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