Dr Adnan El Bakri : "Nous ambitionnons de devenir le leader de la santé numérique en Afrique"

Dr Adnan El Bakri :

Dr Adnan El Bakri inventeur du PassCare


Le PassCare, le passeport de santé numérique, qui fait son apparition dans le paysage de la santé publique en Afrique va sûrement changer le quotidien des populations les plus défavorisées. Son inventeur, le Dr Adnan El Bakri, qui est un chirurgien urologue français, nous explique sa prouesse technologique et ses ambitions pour le Continent.

Propos recueillis par Clément Yao

Votre histoire personnelle est intrinsèquement liée à l’invention du PassCare ?

Dr Adnan El Bakri :

Tout à fait. Je suis né au Liban, et je suis parti de mon pays à cause des problèmes d’accès aux soins. Mes parents n’avaient pas accès aux soins et nous avons beaucoup souffert de cette situation. Je suis venu en France avec pour seule ambition de faire des études en médecine. Après ma spécialité en chirurgie et urologie, j’ai rejoint une équipe du Centre national de recherches scientifiques (CNRS) qui travaille sur les Nouvelles technologies digitales appliquées à la santé. J’ai donc préparé un diplôme en intelligence artificielle en 2015-2016. Les travaux que j’ai effectués ont retenu l'attention de la communauté scientifique en France. Ils ont d’ailleurs été présentés à l’Académie nationale de chirurgie.

Le déclic est donc parti de votre passion pour le numérique ?

Ma passion pour le numérique m’a en effet amené à faire un DEA en Big Data et Intelligence Artificielle. Au CNRS, mes recherches ont consisté à montrer comment valoriser l’information en santé, comment récupérer les données de santé pour les structurer et leur appliquer des algorithmes intéressants pour faire de la prévention, du dépistage, du suivi de la population, de la santé publique. C’est de là que m’est venue l’idée du PassCare.

Disons que j’ai eu cette vision technologique à partir d’un simple constat. Les patients sont le plus souvent marginalisés dans le système de soin actuel. Pour moi, l’accès aux soins et à la santé doit passer d’abord par l’accès à l’information. Or, en général, l’information n’est pas partagée. J’ai vu qu’avec le digital et l’intelligence artificielle, on est capable de permettre aux gens d’accéder aux soins. Mais l’accès à l’information constitue la base du projet. C’est ainsi que nous avons inventé le Passeport de santé numérique qui est basé sur des technologies puissantes, nouvelles qui s’appliquent à toutes les populations. C’est naturellement vers l’Afrique que nous nous sommes tournés parce que c’est sur ce continent qu’il y a effectivement un vrai besoin de digitalisation par exemple de l’Assurance maladie universelle, de l’accès aux hôpitaux, aux soins, à l’interconnexion du parcours de santé (...)

Je suis convaincu d’une chose : il faut donner les moyens techniques et l’information aux citoyens. Le PassCare est comme une carte de Couverture maladie universelle (CMU), à la différence qu’elle est intelligente et permet aux citoyens de récupérer leurs données personnelles de santé, d’être informés, de recevoir de la prévention, d’être intégrés dans des parcours de dépistages et de pouvoir accéder à l’assurance.

Comment souscrire au PassCare et quels en sont les avantages ?

Il existe différents cas d’usage. Le premier cas d’usage que nous avons démarré en France il y a de cela deux ans, c’est le cas d’un patient qui a sa carte et qui va voir un professionnel de santé qui ne connaît pas forcément le PassCare. Dans ce cas, il présente sa carte soit en début de consultation, soit à la fin de la consultation. En quelques secondes, le professionnel de santé doit pouvoir se brancher à la plateforme du patient et pouvoir lui envoyer les informations générées par son logiciel ou récupérer aussi l’historique du patient. C’est cela la base.

"L’innovation, c’est qu’elle fonctionne partout"

Le professionnel de santé n’a-t-il pas besoin d’une installation spéciale pour lire les données du PassCare ? 

Le professionnel de santé n’a besoin d’aucune installation particulière. L’innovation de cette carte, c’est qu’elle fonctionne partout. Il suffit d’avoir un ordinateur ou un téléphone portable et une connexion internet. C’est le premier niveau. Le deuxième niveau, nous proposons des technologies aux professionnels de santé, aux établissements de soin en France pour leur permettre de devenir prescripteurs de la solution et de brancher leur système à leurs patients. Dans ce cas, ce sont eux qui délivrent le PassCare et qui créent une espèce de pont digital entre eux et leurs patients.

Le troisième niveau, c’est celui qui est fait avec les Etats. Si nous avons besoin de digitaliser par exemple la CMU dans un pays donné, nous proposons notre plateforme technologique pour enrôler la population. Dans ce cas de figure, c’est la caisse d’assurance maladie, comme nous le faisons déjà au Gabon, qui va déployer le PassCare. C’est elle qui va par la suite enrôler la population. Cette carte leur donnera droit par exemple aux remboursements, l’accès à leur dossier médical, la téléconsultation, l’intelligence artificielle pour faire la prévention et le dépistage. Comme vous le voyez, le PassCare répond à toutes les problématiques quels que soient les cas de figure. .            

Existe-t-il différentes catégories de carte PassCare comme dans les mutuelles de santé ?

En fait la carte n’est finalement qu’une clef d’accès. Cette technologie peut être incrustée sur une autre carte existante. En Côte d’Ivoire, où nous sommes en train de nous déployer, nous pouvons par exemple mettre notre technologie sur la carte de la CMU. Ce qui rajouterait de l’intelligence artificielle à la carte existante et la possibilité pour le patient de ne rembourser que l’acte de soin réalisé pour éviter la fraude. Cette technologie permet de faire la traçabilité de tout le parcours et d’éviter la redondance des examens. Les patients n’auront pas, par exemple, à refaire les mêmes examens d’un établissement de santé à un autre. Tout ceci permet de gagner du temps et de réaliser des économies énormes parce que l’Etat n’aura pas à rembourser plusieurs fois les mêmes examens.

"Nous allons dupliquer le modèle

déjà déployé au Gabon"

Quel est le coût d’une carte PassCare standard ?

Tout dépend du modèle économique choisi. Si on parle d’un modèle privé, en France par exemple, nous avons fait le choix d’une commercialisation privée. Ce sont les intermédiaires qui vont nous payer, et ce sont eux qui déploient l’offre auprès de leurs communautés. Une entreprise peut par exemple proposer le PassCare à ses salariés, une mutuelle à ses adhérents, une polyclinique à ses patients. Dans ce cas de figure, c’est l’intermédiaire qui paie le service.

Il y a un autre modèle qui existe, c’est celui que nous voulons proposer à la Côte d’Ivoire que nous avons déployé au Gabon. Une quote-part prélevée sur les cotisations va permettre de payer la plateforme technologique. Nous, nous veillerons à ce que ces cotisations arrivent à bon port et qu’il n’y ait pas de dépenses inutiles en santé publique. Nous allons générer des économies et permettre à l’Etat d’enrôler tous ces travailleurs indépendants qui échappent au système de santé classique. Il y a donc plusieurs modèles possibles. Si c’est le professionnel de santé qui veut le système sans passer par un intermédiaire, il peut librement s’abonner. Dans tous les cas de figure, le coût du PassCare sera accessible à toute la population quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle. Le but est de pouvoir équiper tout le monde.

C’est pourquoi nous allons signer plusieurs partenariats à l’occasion du PassCare Show qui aura lieu à Abidjan le 16 octobre prochain en présences des autorités ivoiriennes et de la sous-région. Nous allons signer un partenariat privé avec la fédération agricole. Nous allons équiper les planteurs et signer aussi un partenariat avec une entreprise américaine dont la spécialité est de mettre des kiosques pour permettre la téléconsultation physique, de donner des abonnements internet et de téléphonie dans des zones dites de désert technologique, de connexion, de désert médical. Nous, nous apporterons la bride santé. Nous allons nous adosser sur la campagne de déploiement de la CMU en Côte d’Ivoire.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le modèle déployé au Gabon ?

C’est effectivement le modèle déployé au Gabon que nous allons dupliquer dans le reste du Continent. Ce modèle permettra de financer l’assurance maladie et d’enrôler le maximum de citoyens possibles grâce à notre technologie qui va aider à sécuriser les parcours et les accès, la traçabilité, le dossier médical national partagé, à faire de la santé publique, de l’épistémologie.  Le ministère de la Santé aura la possibilité de mesurer les impacts des pathologies et de ce qui se passe sur le terrain. C’est un projet très ambitieux et de grande ampleur. Ce n’est pas de la science fiction parce que c’est déjà opérationnel.

En Afrique, où les disparités territoriales sont très frappantes, comment faire bénéficier du PassCare les populations des zones rurales le plus souvent éloignées des établissements sanitaires et des professionnels de santé ? 

Il suffit que le citoyen ait en sa possession une carte PassCare. Prenons le cas d’un village situé dans l’arrière-pays en Côte d’Ivoire qui n’a pas, par exemple, de médecin ni de centre de santé. Cela ne pose aucun problème. Les gens peuvent contacter à distance un médecin qui est à Abidjan ou même des experts en France présents sur l’écosystème grâce à la téléconsultation. C’est ce que nous sommes en train de mettre en place.

Qu’en est-il de la sécurité des données personnelles des patients face au phénomène de piratage ?

Ce que je peux vous dire, c’est que toutes les informations sensibles et toutes les données sont chiffrées. Techniquement, l’algorithme de chiffrage est séparé de l’emplacement de stockage de ces données. Même quand on a la donnée, on est en incapacité de déchiffrer l’information. En plus, nous sommes hébergés par un prestataire agrée par le ministère français de la Santé. Il est vrai que le risque zéro n’existe pas. Cependant nous sommes à un niveau de sécurité maximal.

A combien estimez-vous le nombre d’abonnés en Côte d’Ivoire ?

Nous avons d’ores et déjà signé cinq millions d’abonnés artisans et un million de planteurs avant même le démarrage de l’opération à Abidjan. Nous allons créer la filiale PassCare Africa à Abidjan qui va être la représentation régionale de toute l’Afrique de l’Ouest. Nous allons créer des emplois sur place, embaucher des ingénieurs ivoiriens. Nous avons commencé à recruter une équipe locale. D’ailleurs notre directrice commerciale, qui est une Ivoirienne, est déjà sur place à Abidjan. Nous ambitionnons de devenir le leader de la santé numérique en Afrique. Pour la Côte d’Ivoire, l’objectif est d’enrôler les 25 millions d’habitants. Mais il faut y aller progressivement. Le but de cette plateforme d’interconnexion est de rassembler tout le monde autour d’une plateforme technologique forte, de travailler avec tous les acteurs et les partenaires locaux, et qu’on arrive tous ensemble à créer de la solidarité, à financer cet accès aux soins pour la population.

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Clément Yao

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