Elisabeth Medou Badang, Vice-Présidente et Porte-parole d'Orange Afrique/Moyen-Orient : "Orange veut être le partenaire de référence de la transformation digitale du Continent"
Mme Elisabeth Medou Badang, Vice-Présidente et Porte-parole d'Orange Afrique/Moyen Orient
(Photos : @Benjamin REVERDIT)
Ancienne DG d'Orange Cameroun (de 2013 à 2018), Mme Elisabeth Medou Badang est aujourd'hui Vice-Présidente et Porte-parole d'Orange Afrique/Moyen-Orient. C'est à ce titre qu'elle participait au Forum Afrique 2020 (organisé par le MOCI et le CIAN à la CCI de Paris-Ile-de-France) pour en conclure les travaux. Entretien
Propos recueillis par Bruno FANUCCHI (AfricaPresse.Paris)
Vous venez de conclure la 9ème édition du Forum Afrique, dont le Groupe Orange est partenaire comme les années précédentes. En quoi est-ce, pour vous, un rendez-vous important ?
Elisabeth Medou Badang :
C'est un forum dédié aux investisseurs en Afrique et il est important pour nous d'être là en qualité d'opérateur économique pour faire part de notre expérience dans cette zone géographique, dont j'ai désormais la charge au sein de notre Groupe.
Comme l'on dit couramment, « Plus on est de fous, plus on rit ! »... Et plus sérieusement : plus il y aura d'investisseurs en Afrique et mieux les Africains pourront exploiter le potentiel de développement du Continent.
Ainsi, nous pensons que notre expérience peut inspirerd'autres acteurs. Et ce type d'événement offre toujours l'occasion de rencontres très intéressantes et de débats passionnants comme celui qui vient d'avoir lieu autour de la monnaie et du Franc CFA. C'est éclairant de suivre ces débats entre experts, cela nourrit notre réflexion pour mieux nous projeter et faire les bons choix stratégiques pour l'avenir.
Pourquoi le Groupe Orange, présent dans de nombreux pays dans le monde, a-t-il fait précisément le choix central de l'Afrique, dont vous avez la responsabilité du développement stratégique ?
L'histoire d'Orange et de l'Afrique date de 1959 avec France Cable et Radio et elle s'est développée particulièrement à partir de1998. L'Afrique est clairement aujourd'hui au centre de la stratégie du Groupe Orange. Notre PDG, Stéphane Richard, a communiqué récemment sur notre Plan stratégique à l'horizon 2020-2025 et a réaffirmé l'importance de l'Afrique dans cette stratégie. L'une des ambitions de ce Plan est l'inclusion numérique responsable et les enjeux environnementaux.
Quand on voit le potentiel et les vertus de transformation de l'inclusion numérique en Afrique, on comprend la pertinence de ce Continent. Regardons la réalité d'aujourd'hui : si vous considérez en 2018 les dix pays avec les taux de croissance les plus élevés au monde, six d'entre eux se trouvent en Afrique. Une étude récente de Standard Chartered Bank nous montre les vingt pays à fort potentiel de développement où il faut investir et, dans le tiercé de tête, on compte deux pays d'Afrique.
La zone de libre-échange continentale en Afrique (ZLECA) vous paraît-elle une utopie ou un projet raisonnable ?
C'est un pari ! Nous sommes aujourd'hui présents dans 18 pays d'Afrique et du Moyen-Orient, où nous employons 18.000 Africains dans nos filiales. Un Africain sur dix est un client d'Orange et, parmi eux, il y a en un sur trois qui a déjà un compte Orange Money. C'est dire que nous sommes un acteur important du Continent, où nous avons l'ambition de continuer à développer nos activités. Notre ambition est véritablement d'être le partenaire de référence de la transformation digitale de l'Afrique. L'évolution de l'environnement économique est donc capital pour nous. Cela nous donne des perspectives car, pour opérer en Afrique et pouvoir diversifier nos risques, il faut avoir une vision à long terme. Cest cette perspective qui nous intéresse dans le projet de ZLECA.
C'est un pari car nous voyons qu'il y a énormément de conditions à remplir. Il y a déjà une volonté politique, c'est vrai puisque les chefs d'Etat ont signé cet accord conclu en juillet dernier à Niamey, mais la mise en œuvre ne sera pas simple quand on voit les enjeux et les disparités en termes d'insfrastructures, les problématiques d'harmonisation de la réglementation, la levée des barrières douanières avec des impacts budgétaires à court terme. Tous ces enjeux doivent être bien perçus et maîtrisés.
Mais l'objectif vous semble-t-il réaliste ?
Le but ultime est intéressant. Cela nous semble être un moyen de réaliser le potentiel dont l'Afrique dispose. Je ne vois pas d'autres alternatives concrètes aujourd'hui pour transformer le potentiel de l'Afrique. Sur le chemin, il y a un certain nombre d'initiatives, dont on doit pouvoir tirer des bénéfices. Je parle notamment de l'harmonisation des réglementations qui, pour nous, sera déjà un élément majeur facilitant les échanges et la mise en œuvre de synergies entre nos différentes opérations puisque nous avons une ambition continentale.
Et c'est un gros travail...
C'est un très gros travail dont on peut déjà mesurer les bénéfices dans certaines zones économiques comme l'UEMOA (Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest). Prenons par exemple la licence bancaire que nous avons eue en Côte d'Ivoire : elle va nous permettre d'ouvrir une succursale au Sénégal, au Burkina Faso et ainsi de suite. Vous imaginez le gain de temps et les synergies... Comme pour Mobil Money, ce sont les mêmes réglementations qui s'appliquent à Dakar, à Ouagadougou ou ailleurs.
Cette harmonisation des réglementations - qui découle de l'accord de libre-échange - est un facteur significatif d'amélioration et d'efficacité. Même si on n'arrive pas tout de suite à cette zone de libre-échange continentale, ce pas qui va être franchi sera déjà très bénéfique.
Votre ambition n'est-elle pas d'accélérer la digitalisation en Afrique ?
L'autre élément fondamental au cœur de notre stratégie, c'est en effet la digitalisation. Vous êtes obligés de digitaliser les transactions si vous voulez supprimer toutes les barrières non tarifaires qui sont aujourd'hui liées à des processus malheureusement pas encore tous digitalisés. On est là au cœur de nos activités et de notre métier. Cela soulève nombre d'opportunités qu'il nous faut saisir. Nous suivons donc cela avec beaucoup d'attention et d'optimisme, mais en restant réalistes et en ayant conscience que tout ne se fera pas du jour au lendemain.
"Aujourd'hui, la ZLECA paraît encore
impossibe, mais demain on la fera !"
Ce grand « marché commun » africain, vous y croyez vraiment ? Et à quelle échéance va-t-il voir le jour ?
Il faut déjà que cela commence comme prévu en 2020. Le pas a été franchi et 52 pays sur 54 ont déjà signé. Ce n'est pas si courant que cela en Afrique. Le Nigeria, l'un des plus importants pays, a fini par signer. C'est un grand pas, mais il faut encore que tout cela soit ratifié par ces différents Etats. Puis il faut commencer à mettre en œuvre tous les facteurs qui permettent que cela se réalise. C'est un long chemin, mais pavé de transformations qui peuvent déjà être bénéfiques à l'économie continentale.
Avec l'accroissement démographique que connaît l'Afrique, c'est aussi un extraordinaire marché pour demain ?
Aujourd'hui l'Afrique représente 17 % de la population mondiale, mais à l'horizon 2025 ce sera déjà 25 %. Dont 50 % ont moins de 25 ans. Vous voyez le dividende démographique. Il y a des défis et nous pensons que l'inclusion numérique nous permettra de relever ces défis-là. Quand on voit que, dans les télécommunications, le taux de pénétration n'est encore que de 40 % dans certains pays, on se dit que le potentiel de l'Afrique est extraordinaire car les marges de développement sont beaucoup plus importantes que partout ailleurs. C'est donc un pari qui en vaut la peine. Même si – bien évidemment – c'est un pari qui n'est pas gagné d'avance.
On parle de l'Afrique, mais on réalité on pourrait parler des Afriques, car c'est une multitude de pays avec des réalités très différentes. Dans notre approche, nous avons réussi à développer une proximité suffisante avec chacun de ces pays de manière à pouvoir y apporter des services qui correspondent aux besoins, à la fois économiquement pertinents pour nos clients et pour nos actionnaires.
En même temps, nous diversifions nos risques, ce qui fait que la gestion des « accidents de parcours » est beaucoup plus fluide. Sur ces dix dernières années, par exemple, on arrive à des taux de croissance de notre chiffre d'affaires au-dessus de la croissance des PIB de ces pays.
C'est pour cela que nous sommes aujourd'hui la première zone de croissance du Groupe Orange. Et, dans les cinq ans à venir, cela n'est pas sensé s'atténuer, mais bien au contraire se renforcer. C'est un pari que nous tenons selon l'expression bien connue de Nelson Mandela : « C'est impossible jusqu'au jour où quelqu'un le fait ! ». Et l'on peut en dire autant de la ZLECA. Aujourd'hui, la ZLECA paraît encore impossibe, mais demain on la fera !
Entretien exclusif accordé à notre site partenaire : www.africapresse.paris
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