Le Chef Anto prépare le premier « Festival des Cuisines d'Afrique »
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Sacrée « Révélation africaine de l'année 2016 » lors de la COP 22 de Marrakech (Maroc) et figure emblématique de la diaspora, le Chef Anto prépare « We Eat Africa », le premier Festival des Cuisines africaines, qui se déroulera le 7 juillet à Paris. Portrait-entretien avec cette jeune Gabonaise qui veut nous faire découvrir (ou redécouvrir) toutes les saveurs gastronomiques de l'Afrique.
Par Bruno Fanucchi
« Cuisinier, c'est un métier de domestique... je ne vais pas te financer des études pour cela, disait mon père, mais aujourd'hui il est content et fier de moi car il me voit à la télé ». Comme beaucoup de jeunes filles qui en veulent, Anto la Gabonaise, n'a pas hésité à affronter son père pour suivre sa voie et vivre sa passion : la cuisine ! Et elle est devenue aujourd'hui un chef reconnu par ses pairs. Finaliste du concours féminin « La Cuillère d'or » en 2017, elle a reçu le 8 mars dernier le Prix spécial Eugénie Brazier remis par Anne-Sophie Pic, devant un jury composé de chefs étoilés et de meilleurs ouvriers de France.
Née à Alès, dans le midi, alors que ses parents gabonais poursuivaient alors leurs études en France à l'Ecole des Mines, Antompindi (« La femme des champs » en langue myènè) qui n'était alors qu'un nourrisson suit ses parents et rentre vivre au pays en août 1982. Vingt ans après, la jeune Gabonaise revient et débarque en France en septembre 2002 « pour venir y apprendre la cuisine » et tenter sa chance à son tour. Elle commence à l'école hôtelière Lesdiguières de Grenoble puis parfait sa formation à l'école Grégoire Ferrandi à Paris, le Harvard de la cuisine française.
« Au début, confie-t-elle, ce fut très dur : il me fallait apprendre et reconnaître de nombreux vins, le nom des fromages qui puent, ce fut un véritable choc culturel. Sans parler de la découverte du froid par moins 10° ! ». Mais la passion est là et Anto s'accroche. Elle a même quelques longueurs d'avance par rapport à ses condisciples de l'époque. « Au contraire de beaucoup d'autres élèves, je savais déjà écailler et vider le poisson. Je savais déplumer un poulet et faire une pâte brisée... ». Car – très jeune – elle a déjà beaucoup appris en famille à Libreville.
« La cuisine, c'est le coin des femmes »
« A 9 ans, quand nous vivions au Gabon, Marcelle, ma maman, m'a offert La cuisine aux pays du soleil», un livre de 750 recettes qui est une référence en Afrique, en me disant : « Tu es l'aînée des filles, je compte sur toi pour cuisiner quand je ne serai pas là ». Ce fut pour elle un déclic, comme une mission lui donnant envie de se mettre aux fourneaux.
« J'ai de la chance car ma grand-mère maternelle qui est aujourd'hui centenaire, m'a appris l'amour du bon produit et à faire un grand plat avec pas grand chose. Avec Titi, se souvient-elle, on allait tous les samedis à la plantation, qui était en fait un simple verger et potager, et l'on plantait des plans de manioc. Tout ce savoir-faire irremplaçable se transmet de génération en génération et ne s'apprend pas dans les livres. Cela s'apprend en cuisine car – chez nous en Afrique - la cuisine, c'est le coin des femmes : tout en cuisinant, on parle beaucoup et on y apprend les nouvelles, les anecdotes et les rumeurs qui courent sur les uns ou les autres. C'est un lieu stratégique et cela a toujours été le lieu de la maison où je me sentais le mieux».
« Mon premier test de cuisine, ce fut la cuisson du riz, à l'oeil, et ce ne fut pas si facile », se rappelle celle qui s'évertue aujourd'hui à faire connaître et partager la cuisine africaine trop méconnue et ses nombreuses richesses.
« Mon mari a été mon premier cobaye »
Après avoir travaillé avec Eric Pras à La Croix Valmer (Var), puis au Carlton de Cannes, sur la Côte d'Azur, ou pour de grands traiteurs comme Potel et Chabot, le Chef Anto a voulu se mettre à son compte et voler de ses propres ailes. Depuis 2016, elle est ainsi devenue Chef à domicile et s'est rapidement posée une question fondamentale : comment mieux faire connaître la cuisine africaine et attirer un large public ?
« Je suis partie d'un constat que 90 % des clients des restaurants africains en région parisienne étaient des Africains alors que c'était le contraire dans les restaurants japonais, explique-t-elle. Il y avait un problème de langage et de visuel qu'il convenait de travailler et d'adapter, car cela ne donnait pas envie de venir goûter et découvrir (…) Mon mari, qui est Français et médecin, a ainsi été mon premier cobaye et 90 % de mes clients aujourd'hui sont des Français ou des Caucasiens ».
Quel est aujourd'hui son plat préféré ? « Le sanglier à l'odika », répond-t-elle sans hésiter, en rappelant que c'est sa maman qui lui a transmis la mémoire des parfums culturels comme celui de l'odika, le fruit de l'acacia qui a l'odeur du chocolat et avec lequel on fait de très bonnes sauces .
Et quelles sont ses spécialités culinaires, pour ne pas dire son péché mignon ? « J'aime beaucoup cuisiner le poisson », avoue-t-elle en toute simplicité, « ce qui est assez logique pour une fille des lacs qui a grandi près de l'eau, comme tous ceux de mon ethnie des Myènè ».
« Quand je suis arrivée en France,
je voulais déjà être Rougui Dia »
Et que nous mijote aujourd'hui le Chef Anto ? Une excellente surprise car son nouveau challenge, c'est d'organiser à Paris ou plus exactement à Boulogne (au restaurant Le Karé : 45 bis, avenue Edouard Vaillant) le 7 juillet prochain avec de grands chefs le premier festival des cuisines africaines. Un événement organisé par le magazine « Afro Cooking », qu'elle a lancé avec quelques amis et dont elle assume la rédaction-en-chef et la responsabilité des recettes. C'est donc un rendez-vous de l'été à ne surtout pas manquer !
« Quand je suis arrivée en France, il y a 16 ans, je voulais déjà être Rougui Dia, la grande Sénégalaise qui sera Chef de cuisine chez Pétrossian et qui a réalisé son rêve gourmand en ouvrant récemment Un Amour de Baba », se souvient-elle, en soulignant que « ce fut la première à répondre à notre invitation au Festival des Cuisines d'Afrique ». Au menu de ce Festival le 7 juillet : conférences, ateliers de cuisine, dégustation et rencontres avec de grands chefs issus de la diaspora comme les Camerounais Christian Abegan ou Nathalie Brigaud Ngoum, les Congolaises Lorna Boboua ou Nathalie Schermann, la Togolaise Olivia de Souza ou la Marocaine Fatema Hal.
« A travers mon métier de chef à domicile, poursuit le Chef Anto, je fais découvrir à mes clients une cuisine qui leur était jusque là étrangère. Ma plus belle gratification est leur enthousiasme face aux recettes que je leur présente et leur désir de découvrir l'Afrique autrement après cette expérience. Organiser We Eat Africa s'inscrit donc dans cette continuité logique qui me tient à cœur de populariser les cuisines d'Afrique ».
« Après cette première édition, conclut-elle, notre ambition est d'en faire une chaque année, en alternant peut-être l'Afrique, où nous avons déjà des propositions en Afrique du Sud, à Abidjan ou à Dakar, et l'Occident où nous pensons à Londres ou New York ». Voilà une belle initiative qui fera la joie de tous les gourmets.
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