Mali : IBK démisionne pour « qu'aucun sang ne soit versé ! »

Mali : IBK démisionne pour « qu'aucun sang ne soit versé ! »

Le président malien Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) a rendu sa démission sous la contrainte des armes des putschistes 


Renversé et arrêté le 18 août par des officiers de l'armée malienne, prenant « leurs responsabilités devant le Peuple et devant l'Histoire », le président Ibrahim Boubacar Keita quitte le Palais de Koulouba par la grande porte et donne une formidable leçon de courage politique à toute l'Afrique.

Par Bruno Fanucchi

On ne quitte jamais le pouvoir de gaité de cœur ! Après quatre longs mois de tergiversations et l'échec de plusieurs missions de médiation de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) menées par l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan, le président malien Ibrahim Boubacar Keita s'y est finalement résolu sous la contraine militaire.

Renversé dans la journée du mardi 18 août par une poignée d'officiers des FAMA (Forces armées maliennes) qui ont agi avec calme et détermination pour mettre fin à une crise dans laquelle le Mali s'enfonçait inéxorablement et commençait à sombrer, IBK – faisant contre mauvaise fortune bon cœur - a trouvé les mots pour sortir par la grande porte.

Arrêté en même temps que son Premier ministre, le Dr Boubou Cissé, par les mutins venus en blindés du camp militaire de Kati (à une quinzaine de kilomètres au nord de Bamako), le président malien déchu est apparu dans la nuit à l'ORTM 1 pour faire – le visage masqué – une déclaration solennelle dont bien des chefs d'Etat de la sous-région devraient retenir l'exemple et méditer les termes emprunts de bon sens, de réalisme politique et de grandeur.

« Si, aujourd'hui, il a plu à certains éléments des forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix de m'y soumettre ? Car je ne souhaite qu'aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires », lâche-t-il avec courage et lucidité, en annonçant dans la foulée sa démission librement consentie pour sauvegarder le Mali et lui éviter le pire.

Après avoir remercié le peuple malien de l'avoir accompagné depuis 2013, le président IBK enchaîne pour « dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, avec toutes les conséquences de droit : la dissolution de l'Assemblée nationale et celle du gouvernement ».

C'est ce que réclamaient depuis de longues semaines de manière pacifique des milliers d'opposants regroupés dans un mouvement hétéroclite baptisé du « M5/RFP» (Mouvement du 5 juin et Rassemblement des Forces patriotiques), dont l'Iman Dicko avait pris la tête, dénonçant le tripatouillage des résultats des dernières élections législatives du mois d'avril et la corruption généralisée du régime, dont Karim Keita, le propre fils du Président était pour beaucoup le symbole.

"Alassane Ouattara et Alpha Condé 

devraient s'inspirer de son exemple"

Une intervention capitale qui n'aura duré que trois petites minutes trente seulement, mais qui – n'en déplaisent aux grincheux – va changer le cours de l'Histoire. « Pendant sept ans, j'ai eu le bonheur et la joie d'essayer de redresser ce pays du mieux de mes efforts », avait d'abord rappelé le président en s'adressant directement à l'armée malienne au début de son intervention.

Mais le président – grand seigneur - n'oublie pas non plus de rappeler les victimes de la répression des grandes manifestations populaires qui fit les 10, 11 et 12 juillet derniers plus d'une vingtaine de morts et au moins 200 blessés quand une unité de la Force spéciale anti-terroriste (envoyée par qui ? On ne le saura peut-être jamais, malgré la demande d'enquête diligentée par le Premier ministre) tira à balle réelle pour disperser la foule des manifestants aux mains nues.

Ces semaines de turbulences et de manifestations diverses furent « ponctuées – hélas – par des victimes devant lesquelles je m'incline, et que je n'ai jamais souhaitées», devait souligner IBK dont la décision personnelle aura donc bien été dictée – et c'est à son honneur - par le seul souci d'éviter de nouvelles victimes innocentes. C'est par des gestes simples et des paroles fortes que les véritables hommes d'Etat se grandissent. A 75 ans, IBK qui avait été réélu en août 2018 pour un second mandat de 5 ans lors d'un scrutin déjà contesté, tire donc sa révérence, même si les militaires lui ont peut-être un peu forcé la main.

Disons le clairement haut et fort : le président Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire comme le président Alpha Condé en Guinée devraient s'inspirer de l'exemple d'IBK et renoncer au plus tôt à courir (à 78 ans pour le premier et 82 ans pour le second) après un hypothétique troisième mandat au lieu de s'accrocher au pouvoir, au risque de remettre le feu dans leurs pays respectifs !

Associés dans ce que l'on pourrait appeler un véritable « Syndicat des chefs d'Etat », se serrant les coudes pour rester le plus longtemps au pouvoir, ils se seront l'un et l'autre démenés pour qu'IBK ne lâche pas prise et tienne bon face à la contestation de la rue. Une manière bien sûr de défendre d'abord leurs propres intérêts, leurs prébendes, leur politique aventuriste et leur volonté à peine cachée de s'assoire sur leur propre Constitution. Mais la mission de la CEDEAO a traîné en longueur et lamentablement échoué... Le Mali s'enfonçait dans une crise sans issue.

Car ne nous mentons pas. Ce n'est pas le bien commun qui les motive pour rester au pouvoir, mais une réalité bien plus prosaïque : le « gâteau » est trop bon pour s'en priver de sitôt, même s'ils sont à Abidjan comme à Conakry au pouvoir depuis fin 2010 ! Confrontés l'un et l'autre à des manifestations de rues aux cris d'« Alpha dégage ! » ou « Ouattara dégage ! », comme les manifestants scandaient à Bamako « «IBK dégage ! », ils ne veulent rien entendre.

Au bout de dix ans, ils prétendent encore être indispensables au pays pour la bonne et unique raison qu'ils n'ont pas pleinement accompli leur programme de réformes. Dans leur entourage direct, beaucoup s'accrochent désespérement au pouvoir car ils ne veulent pas devoir demain rendre des comptes pour l'argent public détourné, les contrats confisqués à leur profit, les passe-droits et pots-de-vin fruits du « clientélisme » sciemment érigé en méthode de gouvernement.

"La Paix est notre priorité"

Mais, revenons au Mali qui, bien évidemment, n'est pas encore au bout de ses peines pour autant. Condamnés bien hâtivement par toutes les instances internationales, de l'Union africaine à la CEDEAO, les officiers du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) ne se laissent pas impressionner et ont décidé de prendre leurs « responsabilités devant le Peuple et devant l'Histoire,  d'assurer la continuité de l'Etat et des services publics ».

Ils ont également décidé de « fermer toutes les frontières aériennes et terrestres jusqu'à nouvel ordre » et d'instaurer un couvre-feu sur l'ensemble du pays de 21 h à 5 h du matin. En appelant les « forces vives de la Nation » et les mouvements socio-politiques à les rejoindre pour « organiser ensemble une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles » dès que possible pour rendre le pouvoir au peuple.

« Le Mali sombre de jour en jour dans le chaos, l'anarchie et l'insécurité » souligne dans une intervention télévisé le major-colonel Ismaël Wagué, chef d'état-major adjoint de l'Armée de l'Air malienne, entouré d'une brochette d'officiers supérieurs, en dénonçant le « clientélisme politique et la gestion familiale des affaires de l'Etat » qui « ont fini par tuer toutes opportunités des développement », la « gabegie, le vol et l'arbitraire » qui sont « devenus des vertus ».

Et de poursuivre : « Des villages entiers sont brûlés, de paisibles citoyens massacrés et nous déplorons tous les jours la perte de nos compagnons d'armes. L'horreur est devenu le quotidien du Malien »

« Le terrorisme et l'extrémisme détruisent la cohésion sociale et ne sont pas pour autant une fatalité. La mauvaise gouvernance avec son lot de frustrations a fait perdre aux Maliens l'espoir d'un avenir meilleur. Des élections contestées et une épidémie de Covid 19 dont la gestion fait douter de son existence », autant de signes révélateurs qui témoignent que « les Maliens n'ont plus foi en leurs gouvernants ».

Se disant attachés au processus d'Alger, ils assurent que la « paix au Mali est notre priorité » et que « tous les accords internationaux du Mali seront respectés ». Dans ce but, ils invitent la Minusma, la Force Barkhane ainsi que le G5 Sahel et la Force Takuba de « demeurer nos partenaires pour la stabilité et restauration de la sécurité ». Le France – visiblement - a laissé faire malgré la déclaration officielle du Quai d'Orsay « condamnant avec la plus grande fermeté cet événement grave »... pour la forme.

Bruno Fanucchi

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