Sommet de la CEDEAO à Lomé : Général Francis Behanzin : « Le crime est devenu en Afrique un phénomène transnational »

Exclusivité Sommet de la CEDEAO à Lomé : Général Francis Behanzin : « Le crime est devenu en Afrique un phénomène transnational »

Commissaire de la CEDEAO chargé des Affaires politiques, Paix et Sécurité, le général Francis Behanzin fait le point sur le dernier Sommet de Lomé consacré en grande partie aux questions sécuritaires et à la crise togolaise.

Propos recueillis à Lomé par Bruno FANUCCHI

Peut-on faire un bilan du double Sommet qui vient de se dérouler à Lomé les 30 et 31 juillet ?

Général Francis Behanzin :

Le Sommet de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest), qui vient de se tenir à Lomé (Togo) fut un Sommet très important qui marque la prise de conscience totale des chefs d'Etat de la CEDEAO. Comme vous l'avez constaté, beaucoup de décisions ont été prises sur le plan de la paix, sur le plan de la sécurité et pour des zones particulièrement chaudes sur le plan politique en Afrique de l'Ouest. Nous pouvons retenir que le président Faure Gnassingbé a achevé son mandat d'un an à la tête de l'organisation, mandat qui fut ponctué par beaucoup d'actions salvatrices pour la paix et de mesures concrètes prises pour la paix et qui vont continuer avec la nouvelle mandature du président Muhammadu Buhari, président de la République fédérale du Nigeria.

Mais avant tout cela, je voudrai saluer la réussite de ce Sommet où étaient présents treize chefs d'Etat ou de gouvernement sur quinze des pays de la CEDEAO. Les deux autres avaient des engagements incontournables dans leur propre pays : la fête de l'indépendance pour le Bénin et le premier tour d'une élection présidentielle au Mali. Mais tous les autres étaient là.

Et la grande nouveauté était à Lomé la première réunion conjointe de la CEDEAO et de la CEEAC, sa petite sœur d'Afrique centrale...

C'est exact. C'est un ensemble géographique, un ensemble démographique, un ensemble de potentialités de pays qui ont des visages et des enjeux sécuritaires communs, des frontières qui se touchent et qui vivent la question de la paix, de la sécurité et du terrorisme avec beaucoup d'acuité. Vous savez qu'aujourd'hui, avec la facilité des transports, le crime est devenu en Afrique un phénomène transnational !

Les chefs d'Etat de l'Afrique centrale, notamment le Congolais Sassou N'Guesso, le Tchadien Idriss Déby et d'autres sont venus apporter leur pierre en vue d'une synergie entre les deux communautés sous-régionales. Pour renforcer la paix, ils ont parlé bonne gouvernance et développement et je pense que nous sommes partis avec des programmes communs, dont certains sont déjà en route. On a également parlé du G5 Sahel, de la Force multinationale et nous allons faire beaucoup de choses ensemble.

« Il n'y a pas de développement sans sécurité »

Selon un sondage (*) réalisé spécialement pour ce Sommet de Lomé par l'Institut Prospective et  Sécurité en Europe (IPSE), la sécurité est la première préoccupation des Africains. Pouvez-vous nous commenter ce sondage ?

Il n'y a pas de développement sans la paix, pas de développement sans sécurité. La sécurité – qui est la première des libertés - est devenue une priorité pour tous les Etats, notamment face au terrorisme qui détruit tout sur son passage. Il faudrait vraiment prendre des mesures d'ensemble, des mesures holistiques qui prennent en charge une stratégie globale pour lutter contre le terrorisme.

Comme vous l'avez vu, nous avons parlé de la Guinée Bissau. La paix est revenue dans ce pays, des élections législatives auront bel et bien lieu le 18 novembre prochain. Les sanctions qui ont frappé les acteurs politiques ont été levées. Et il y a des efforts conjugués de la sous-région pour rétablir la paix dans ce pays. Nous avons également parlé de la Gambie et du Togo.

Les recommandations de la CEDEAO sur le Togo étaient d'ailleurs très attendues...

Au Togo, le dialogue est en cours, avec des indications en effet assez précises des chefs d'Etat de la CEDEAO qui ont pris deux facilitateurs, les présidents du Ghana et de la Guinée Conakry pour intervenir dans le dialogue togolais. Je l'ai dis : un pays, c'est un territoire et une superficie, c'est une population et c'est un pouvoir. Les chefs d'Etat ont dit qu'il faut faire les choses dans l'ordre et dans le dialogue, que toutes les parties se calment et s'écoutent afin que les réformes constitutionnelles, les réformes institutionnelles se fassent dans un processus ordonné. Et je pense vraiment que cela va aller...

« Personne d'autre ne viendra régler

le problème à la place des Togolais »

Au sujet de la crise togolaise, la CEDEAO a donc fait du bon travail ?

Je suis rassuré car c'est la CEDEAO des peuples et le peuple togolais est un peuple très mûr et intelligent. Personne d'autre ne viendra régler le problème du Togo à la place des Togolais. Je pense qu'avec la diponibilité et la bonne volonté de toutes les parties, ils viendront toujours par s'entendre.

Moi, je suis rassuré et je suis même très optimiste.

Vous étiez vous-même à Lomé - une semaine avant le Sommet - pour une mission de la Commission de la CEDEAO venue à l'écoute de toutes les parties. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Vous avez suivi tout cela. Nous avons rendu compte aux chefs d'Etat de cette mission de facilitation que les présidents Nana Akufo Addo du Ghana et Alpha Condé de Guinée ont menée. Moi, je ne suis venu que pour voir l'évolution des choses sur le terrain et pour faire le point. Il y a eu un apaisement de part et d'autre. C'est peut-être suffisant comme c'est peut-être encore insuffisant, mais il faut s'attaquer aux questions de fond. Je crois que les chefs d'Etat en ont parlé largement durant ce Sommet et le communiqué final est désormais public. Nous allons donc nous y référer et le reprendre point par point pour application.

Toujours sur les questions de paix et de sécurité, les chefs d'Etat se sont engagés à mettre sur pied une force commune. Quels seront les défis que cette force aura à relever ?

Quand on parle de force commune, il faut avoir des stratégies communes. Cette stratégie existe déjà sur le plan de la sécurité maritime par exemple. Et cela existe aussi sur le plan du terrorisme. Il faut pouvoir conjuguer les efforts. Et vous savez qu'il y a une force en attente de l'Union africaine, comme il y a une force en attente de la CEDEAO, que nous avons déjà déployée en Gambie et en Guinée Bissau. Il y a également la Force du G5 Sahel, que les chefs d'Etat des deux régions (réunis pour un Sommet conjoint à Lomé) ont décidé vraiment d'appuyer parce que les cinq Etats du G5 Sahel sont membres de la CEDEAO.  Je pense donc que nous allons avoir des programmes assez cossus pour combattre le terrorisme.

Le Mali retient son souffle après le premier tour d'une élection présidentielle qui s'est grosso modo bien passé le 29 juillet. Comme vous étiez tout récemment à Bamako où vous retournez prochainement, quel est votre sentiment sur ce processus électoral ?

Vous savez, comme tous les Africains, le peuple malien prend son destin en main.  Le territoire du Mali est très vaste avec 1.300.000 km2. Ce n'est donc pas évident que tout soit pris en compte. Car il y a des problèmes et des déviances dûs au terrorisme, aux groupes armés, au banditisme et aux trafics en tout genre. Mais le peuple malien tient toujours et c'est pour cela que les Maliens ont pu aller aux élections ce 29 juillet. La CEDEAO est finalement rassurée car il y avait des enjeux sécuritaires immenses. La CEDEAO a déployé plusieurs missions de prospections et une mission d'observation. Les élections ont pu se tenir car, à plus de 80 %, les bureaux de vote ont pu ouvrir.

La compilation des résultats est en cours et nous aurons finalement un second tour le 12 août. Le Mali va donc poursuivre son processus démocratique de la façon la plus transparente.

Retrouver l'intégralité de cette interview (réalisée en partenariat avec New World TV) sur le site de la chaîne :  www.newworldtv.com

(*) L'intégralité de ce sondage a été publié par notre site partenaire : www.africapresse.paris

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