Salif Koné, Directeur général de KS Factory : "Le ShieldAfrica est une opportunité pour les pays africains"

Salif Koné, Directeur général de KS Factory :

M. Salif Koné, DG de KS Factory


A l’occasion de la 5ème édition du ShieldAfrica, Salon international de la sécurité et de la défense qui aura lieu à Abidjan du 21 au 24 janvier 2019, Salif Koné, Directeur général de KS Factroy, société de droit ivoirien créée en 2009 et spécialisée dans la vente d’équipements et accessoires militaires, la formation et le conseil, donne son expertise sur un secteur autrefois dévolu aux entreprises des pays du Nord.

 Propos recueillis par Clément Yao 

Quel est l’intérêt pour une jeune entreprise ivoirienne comme la vôtre de participer au ShieldAfrica ?

Salif Koné :

Le ShieldAfrica est une opportunité pour les pays africains et les entreprises comme la nôtre de faire connaître leur savoir-faire, leur expertise et surtout d’élargir leur clientèle. Il permet de réunir en un même lieu tous les professionnels, les fabricants, les distributeurs et les utilisateurs. N’est-ce pas le but de ce salon ? Au niveau de nos pays, je fais l'amer constat que nos armées sont confrontées à la problématique d’approvisionnement en matière de sécurité. Combien de sociétés locales sont capables de répondre à des commandes d’équipements militaires ? Il en existe très peu à ma connaissance. Jusqu’à une date très récente, les équipements de nos armées se faisaient dans le cadre de coopérations militaires avec les puissances étrangères ou avec des entreprises privées spécialisées dans ce domaine. Le tout grâce aux conseils bien avisés de nos conseillers militaires. Il s’agissait à l'époque d’un marché très important auquel ne pouvait souscrire aucune entreprise de la région.

Quelle sera la grande innovation de KS Factory pour sa 5ème participation au ShieldAfrica ?

Nous comptons présenter au Salon ShieldAfrica un nouveau textile très technique qui répond aux besoins des forces africaines. Nous allons aussi exposer une nouvelle gamme de passementerie. Entre autres les épaulettes, les galons brodés, les armoiries, des produits innovants, des accessoires, des chaussures, du matériel balistique, du matériel de maintien de l'ordre avec un bon rapport qualité prix à la portée de nos pays.  

Aujourd’hui, vous disputez les marchés publics au même titre que des géants de la planète ?

C’est vraiment sans complexe que nous nous retrouvons aux côtés des géants de ce secteur, comme vous dîtes, parce que nous croyons en nos capacités dans ce domaine. Aujourd’hui nous pouvons répondre à des appels d’offres, à une expression de besoins militaires en y apportant notre expertise technique et de terrain au quotidien. Et cela, au même titre que tous les géants auxquels vous faîtes allusion. Ce salon nous met en compétition avec ce qui se fait de mieux dans le domaine de la sécurité et de la défense.

"Le ShieldAfrica nous permet d’avoir de la visibilité afin de se faire connaître au niveau national et international"

Vous êtes un des fidèles de ce salon depuis sa première édition, est-ce que vos participations successives ont bonifié votre carnet de commandes ?

Affirmatif ! A mon avis, ce salon répond à trois buts. D’abord, il nous permet de nous désenclaver, de trouver des partenaires internationaux, de signer des partenariats avec des fabricants, des distributeurs. Ensuite, il nous permet d’avoir de la visibilité afin de se faire connaître au niveau national et international. Et enfin, ce salon nous permet d’obtenir des accréditations pour pouvoir acheter, transporter et vendre en toute légalité du matériel de sécurité. Dans la région, nous ne disposons pas d’industries dans ce domaine, il faut donc pouvoir jouer sur sa notoriété et son carnet d’adresses pour pouvoir gagner la confiance des pays industriels.

Vous-y trouvez votre compte ?

Pour moi, il s'agit d’abord d’exister et de prendre conscience que nous sommes capables, en tant qu’Africains, de pouvoir répondre au marché de l’équipement en matière de sécurité. Ce domaine est totalement dévolu aux entreprises étrangères. Il s’agit aussi d’apporter notre expertise. Au-delà de l’aspect commercial, nous avons l’avantage d’être des Africains et donc de connaître le terrain et ses subtilités mieux que quiconque. En revanche, je reconnais que le marché est très disputé parce que les anciennes habitudes demeurent. Depuis les indépendances, le marché de l’équipement militaire avait toujours été réservé aux pays du Nord, pour ne pas dire qu’il était la chasse gardée des puissances coloniales. Ce n’est donc pas facile de changer ces habitudes. Nous sommes aussi confrontés à la concurrence déloyale du marché noir, des contrefaçons, des prix bas...

Petit à petit, nous réussissons à convaincre nos interlocuteurs militaires et politiques africains. Ils sont de plus en plus de jeunes, bien formés et voient les choses sous un autre prisme parce qu’ils ont pris conscience des enjeux sécuritaires de nos pays. Indiscutablement, l'Afrique sera à l'horizon 2030 le continent le plus peuplé de la terre, et je vous laisse imaginer tous les défis sécuritaires à relever, toutes les opportunités de marchés sur ce continent où beaucoup reste à faire.

Le fait que ce salon se tienne en Côte d’Ivoire, votre pays d’origine, vous donne-t-il un certain avantage ?  

Très certainement. J’ai de très bons contacts. D’ailleurs ce salon me permet de rencontrer la plupart des autorités politiques et militaires ivoiriennes en charge de la sécurité et de la défense. Je rappelle que j’en suis à ma 5ème édition.  Je profite de l’occasion pour remercier le Commandant des Forces spéciales ivoiriennes, pour m’avoir fait confiance et fait le pari d'une expertise locale en nous choisissant pour équiper cette unité d'élite. Un exemple de patriotisme à suivre. Nous sommes aussi en étroite collaboration avec le cabinet du Général de la Gendarmerie nationale, et celui de la DGPN qui ont très vite pris la mesure des défis à relever, pour ne citer que ceux-là. Nous espérons très vite conclure et finaliser certains projets.

"J’ai effectivement fourni une partie de l’équipement des Forces spéciales, fleuron de nos forces qui rend fiers tous les Ivoiriens"

Vous aviez remporté, en son temps, le marché de l’équipement des Forces spéciales. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai effectivement fourni une partie de l’équipement des Forces spéciales, fleuron de nos forces qui rend fiers tous les Ivoiriens. C’est là, une preuve qu’il existe des entreprises africaines, sérieuses, et capables d’apporter des expertises fiables pour équiper nos forces. Cette unité venait d’ailleurs d’être créée en 2011 à la sortie de la crise post-électorale. L’appel d’offre que KS Factory a remporté concernait le textile et les accessoires. Après cette belle expérience humaine, depuis maintenant deux ans, nous travaillons avec la gendarmerie afin d'apporter des solutions pratiques, concrètes, efficaces et pérennes sur les failles qu'ils rencontrent au quotidien en matière de textile et accessoires. En effet, une des problématiques de nos armées est la qualité du matériel, leur traçabilité et surtout la contrefaçon, qui peut avoir des conséquences parfois désastreuses sur le maillage sécuritaire de nos Etats. Il est aberrant et très dangereux par exemple de retrouver les mêmes tenues militaires chez le commerçant du quartier ou de trouver les tissus qui servent à confectionner les tenues de nos forces armées sur les marchés. A bien des égards, chacun peut s’en coudre une s’il le désire. C’est la porte d’entrée à toutes les dérives et confusions possibles. Certains uniformes de société de gardiennage s'apparentent à celle des forces régaliennes au su et au vu de nos autorités.

Ce qui fait notre force, c’est qu’au-delà de la vente, nous faisons du conseil et apportons des solutions aux problématiques auxquelles sont confrontées nos armées. Cela va de la conception d'un tissu unique et technique qui ne se retrouvera pas, dès sa sortie, sur les étalages de commerçants peu scrupuleux, de la garantie de l’uniformité des tenues, de l’approvisionnement continu jusqu’au service après-vente prenant en compte l’entretien. Pour l'anecdote, il y a quelques années, un fournisseur avait recommandé aux policiers de faire laver leurs tenues à sec pour ne pas les défraichir. Ne s’agit-il pas là d'une aberration et d'une grande méconnaissance du terrain ? Il est évident que les policiers ne peuvent pas se payer le luxe de faire laver leurs tenues dans un pressing sur fonds propre. Une prestation trop onéreuse à mon avis. Pour remédier à cette situation, nous proposons du textile homologué qui prend en compte le pouvoir d'achat des utilisateurs

Pourquoi autant de difficultés pour l’achat de simples tenues pour ces forces ?

J’ai fait ma propre analyse, et j’en déduis que ceux qui sont chargés de l'achat des tenues de combat n’ont pas forcément l'expertise ou, du moins, n'ont pas la connaissance des spécificités techniques des tissus.

"L’achat d’une tenue doit répondre

à des critères bien spécifiques"

Certains conflits d'intérêts peuvent être les causes de ces difficultés. L’achat d’une tenue doit répondre à des critères bien spécifiques. En l’occurrence la sécurité, le camouflage, la résistance au lavage et à l'effort. Prenons l’exemple de la police ou de la gendarmerie, il me paraît logique d’acheter des tenues d'uniformes pour l’ensemble des forces en tenant compte de l'enveloppe budgétaire allouée. Mais quand on regarde au plus près, on se rend compte que cet achat ne répond pas aux besoins spécifiques de certaines unités spécialisées parce qu’il ne prend pas en compte les démembrements internes. C’est le cas de la CRS, de la BAE, de la BAC, de la BRI, du GEB, des ESCADRONS, du CCDO (…) Force est de constater qu’elles ont des tenues qui ne sont pas adaptées à leurs missions. Pis, chacun doit se faire coudre sa propre tenue de couleurs noir ou bleu nuit à son goût. Conséquence, l’on se retrouve avec des soldats et agents de police habillés en tenues dépareillées, mais tolérées par leurs hiérarchies.  Aujourd'hui il est difficile de trouver sur l'ensemble de ces unités dix « corps-habillés » de façon identique des pieds à la tête alors que l'uniformité doit rester la règle et l'essence même de nos armées. Cette situation, qui perdure depuis quelques années, fragilise même le commandement dans la mesure où il est difficile de sanctionner ou de faire des réflexions sur la tenue d’un élément placé sous ses ordres. A mon avis, les politiques devraient s’appuyer sur l’expertise et les conseils d’entreprises spécialisées. Nous espérons de tout cœur que la loi de programmation militaire prendra en compte tous ces désagréments qui entâchent l'image de l’armée ivoirienne. Je pense aussi que,pour des questions sécuritaires et de souveraineté, nous devons absolument contrôler tous les process de fabrication, de distribution et d'approvisionnement. Il faut aussi davantage de réglementations des sociétés de sécurité agrées.

En dehors du ShieldAfrica, prenez-vous part à d’autres salons du même type ?

Absolument. Grâce à des partenaires solides, je participe régulièrement à d’autres salons de grande envergure. C’est le cas du Milipol, d’Eurosatory qui sont classés parmi les premiers salons mondiaux consacrés aux solutions, aux technologies et aux innovations du secteur de la sécurité intérieure et de la défense. Ces deux salons, qui se tiennent à Paris, me permettent de faire valoir l’expertise africaine, d'orienter la fabrication de certains produits en fonction des réalités du terrain et de garder un lien professionnel avec les industriels et fabricants.

Un dernier mot pour conclure notre entretien...

Mon souhait est que les autorités africaines en général, et ivoiriennes en particulier, fassent confiance à l’expertise des entreprises africaines en matière de sécurité et de défense. Nous sommes capables d’apporter des solutions adaptées à nos pays plus que quiconque. Qui mieux que nous peut connaître les problématiques de nos forces et la réalité du terrain ? Je profite de l’occasion pour féliciter les initiateurs du ShieldAfrica, à commencer par son Commissaire général, Stéphane Konan, et ses partenaires du COGES. Je souhaite un bon salon à toutes et à tous.

A lire aussi sur le même sujet l'interview de M. Stéphane Konan, Commissaire général du ShieldAfrica

Clément Yao

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