Côte d’Ivoire : Les leçons du double scrutin du 13 octobre
Charles Koffi Diby, Président du Conseil économique, social, environnemental et culturel de Côte d'Ivoire
La Côte d’Ivoire s’en sort médiocrement après le double scrutin municipal et régional du 13 octobre dernier qui a permis de tester la capacité de la machine électorale à deux ans de l’élection présidentielle de 2020.
Par Clément Yao avec la collaboration de Boty Vincent journaliste à Abidjan
Pour beaucoup d’observateurs, les élections couplées municipales et régionales se sont relativement bien déroulées dans l’ensemble du pays, hormis quelques violences déplorées dans le district d’Abidjan et à l’Ouest du pays, où le scrutin a été annulé par la Commission électorale indépendante (CEI). Les électeurs de Port-Bouët, une des dix communes d’Abidjan, qui abrite le principal aéroport de la capitale économique ivoirienne, et ceux de Facobly, localité de l’Ouest de la région du Guémon, seront de nouveau convoqués aux urnes dans un délai d’un mois pour élire respectivement leurs conseillers municipaux et régionaux.
Le phénomène de la transhumance,
source de tensions et de fraudes
Si la Commission électorale indépendante (CEI) se félicite de la bonne organisation de ce double scrutin, il y a cependant de sérieuses inquiétudes à se faire sur le phénomène de la transhumance qui favorise la fraude. En effet, la loi électorale autorisant dorénavant tout électeur à voter librement dans le lieu de son choix, indépendamment de son lieu de résidence habituelle, est problématique. Désormais, il suffit de se présenter avec sa carte d’électeur ou, à défaut, de se munir d’une carte nationale d’identité ou de l’attestation d’identité, pour procéder à la modification pour voter où l’on veut.
Ce phénomène à l’origine de nombreuses contestations constatées se traduit concrètement de la façon suivante : dans une commune de trois mille âmes, par exemple, l’on pourrait se retrouver le jour du scrutin avec neuf mille votants ! Soit le triple de la population. Cette « transhumance électorale » est valable pour les régions où l’on assiste également à un bourrage des urnes en toute légalité. De toute évidence, s’il y a un réglage à faire avant l’élection présidentielle, à deux tours, de 2020, c’est bien celui de mettre un terme à ce phénomène de la transhumance.
La composition actuelle de la Commission électorale indépendante est sujet à caution. Le prolongement du mandat de son président et de certains de ses membres, dont l’impartialité a été mise en cause par l’opposition lors de la crise postélectorale de 2010, fait partie du nœud du problème. En attendant la réforme promise par le chef de l’Etat ivoirien, cette commission a encore montré ses limites à garantir des élections transparentes et démocratiques lors de ce double scrutin du 13 octobre dernier.
Autre limite relevée de la machine électorale ivoirienne, c’est bien celle de la sécurisation des bureaux de vote et des électeurs.
Le cas typique est celui de Port-Bouët où le scrutin a été annulé suite à la destruction des procès-verbaux. Dans d’autres contrées, notamment à l’intérieur du pays, des électeurs n’ont pu accomplir leur devoir de citoyen parce que victimes d’intimidations ou d’un environnement d’insécurité au moment du vote.
Malgré les incidents et les violences qui ont émaillé ce double scrutin, certaines régions de la Côte d’Ivoire ont en revanche donné le bon exemple.
La Marahoué,
modèle de démocratie apaisée
La région du Marahoué située au centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, qui abrite un des grands parcs nationaux du pays, a voté dans le calme. Or, selon le témoignage d’un habitant de Bouaflé, chef-lieu de la région, que nous avons joint par téléphone, « la Marahoué était réputée zone rouge il y a quelques années. L’on redoutait des violences comme lors des législatives de 2011 et municipales-régionales couplées de 2013 qui avaient occasionné des dégâts matériels importants et des pertes en vie humaine. »
Le nom d’une personnalité de la région fait l’unanimité. M. Charles Koffi Diby, l’actuel président du Conseil économique, social, environnemental et culturel de la Côte d’Ivoire (Cesec) - selon notre observateur - « a œuvré à l’apaisement. Le week-end des 12 et 13 octobre, le président Charles Diby est descendu sur le terrain pour s’impliquer personnellement si bien qu’aucun incident majeur n’a été déploré. »
Notre observateur très averti sur les subtilités politiques, culturelles et sociologiques de la région explique que « depuis l’élection du président Charles Koffi Diby en 2013 à la tête du Conseil régional, le calme s’est installé dans cette zone. » Pour lui, l’alternance entre les principaux grands groupes ethniques qui peuplent la région est pour quelque chose.
« Dans une région aussi cosmopolite qu’est la Marahoué, c’est M. Diby, un « Ayaou » (sous-groupe de l’ethnie Baoulé de région) qui est élu Président du Conseil régional. Pour la gestion quotidienne, Charles Koffi Diby la confie à un « Yaouré » (un sous-groupe de l’ethnie baoulé de la Marahoué) en la personne du président Abi Richmond. Pour cette échéance 2018, le Président Diby a estimé que les Baoulés avaient fait leur temps, à travers le duo Charles Diby-Abi Richmond, et qu’il fallait passer la main aux autres, en l’occurrence les Gouro (l’autre grand groupe ethnique) pour favoriser l’égalité des chances entre filles et fils de la même région et renforcer la cohésion ethnosociologique », se justifie-t-il.
Charles Koffi Diby instaure un « code de bonne conduite » entre les candidats
A l’échelle nationale, le choix des candidats a été un véritable casse-tête chinois pour les partis politiques. La région de la Marahoué n’a pas échappé, semble-t-il, à ce casting politique qui fut source de tensions. Charles Koffi Diby, vice-président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), la plus vieille formation politique ivoirienne, a usé de beaucoup de diplomatie pour que les quatre candidats déclarés – deux indépendants et deux portés par leurs partis politiques – n’aient pas à se disputer la région dans la violence. Il a réussi à imposer aux candidats en lice un code de bonne conduite en quelque sorte qui a bien fonctionné.
« Sentant la tension, le président du Cesec a joué la carte de l’apaisement entre candidats pour éviter que la région bascule à nouveau dans la violence. Finalement, le groupe ethnique Gouro a remporté la mise en s’octroyant plusieurs élus. La stratégie d’alternance et d’apaisement de Charles Koffi Diby a été payante. Son vœu le plus pieux serait que ce climat de paix perdure », conclut notre observateur.
Bien entendu, le modèle de démocratie apaisée instaurée dans la région de la Marahoué devrait servir d’exemple aux leaders des trente autres régions de la Côte d’Ivoire, se comportant le plus souvent comme des ennemis jurés sur un champ de bataille pendant les campagnes et les scrutins électoraux.
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