Salif Koné, PDG de KS-Factory : "Notre dépendance militaire fait de nous des éternels assistés..."

Salif Koné, PDG de KS-Factory :

Salif Koné PDG de la société KS-Factory spécialisée dans le conseil, la fourniture, la fabrication de tenues et accessoires militaires


Homme d’affaires franco-ivoirien et patron de la société KS-Factory implantée à Abidjan, spécialisée dans le conseil, la fourniture, la fabrication de tenues et accessoires militaires, Salif Koné ne décolère pas face à l’incapacité des armées africaines à combattre le terrorisme.

Propos recueillis par Clément Yao

Créé en 2014 pour mutualiser les efforts des cinq pays membres (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) dans la lutte contre le terrorisme, le G5 Sahel peine à monter en puissance à cause du manque de moyens financiers et matériel. Les Africains ne doivent-ils pas finalement se résoudre à ne compter que sur eux-mêmes ?

Salif Koné :

Depuis quelques années, force est de constater que les guerres inter-Etats ont fait place à une nouvelle forme d’agression que je qualifie de guerres asymétriques. La menace commune aujourd’hui s’appelle le terrorisme. Les pays africains devraient mutualiser leurs forces militaires et moyens financiers pour combattre cette nouvelle menace.

Des conférences de haut niveau, des sommets de chefs d’Etat, des rencontres Afrique Europe, et j’en passe, sont régulièrement organisés. Ceux-ci sont le plus souvent sanctionnés par de grandes résolutions et assortis de promesses des pays du Golfe, de l’Union Européenne et de l’Onu qui restent malheureusement lettres mortes. Pendant ce temps, les djihadistes, eux, gagnent du terrain.

Je pense que nos dirigeants ont pris la mesure et l’ampleur du problème, mais ils n’ont malheureusement pas les moyens d’y faire face. Le G5 en est le parfait exemple. A mon avis, cette force conjointe devrait être élargie aux pays du Maghreb qui sont militairement mieux équipés et ont une longue et grande expérience en matière de lutte contre le terrorisme.

Le président tchadien Idriss Deby Itno déclarait récemment que les djihadistes sont mieux armés que les forces du G5 Sahel. Comment cela est-il possible ?

Très éclairé sur la réalité du terrain mieux que quiconque, le président tchadien a mis le doigt sur un paradoxe. Selon plusieurs rapports concordants, les djihadistes seraient effectivement équipés de nouveaux matériels de combat, de transport, voire même d’hélicoptères de combat. Les propos du président Déby sont justes et ne souffrent aucune contestation.

En revanche, on se demande bien comment les forces armées de cinq pays réunis, avec un effectif de près de 30.000 hommes, n’arrivent pas à circonscrire et à neutraliser une poignée de djihadistes. Nos dirigeants devraient avoir le courage de poser les bonnes questions. A qui profite le terrorisme et qui le finance ? Pourquoi l’épicentre du terrorisme progresse-t-il dans les pays francophones : le Mali, le Burkina Faso, le Cameroun, le Niger, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie, le Tchad… Pour ne citer que ces pays. Qu’est-ce qui explique le fait que les autres pays de l’Union Européenne traînent-ils les pieds pour soutenir réellement la France qui s’est engagée dans cette guerre asymétrique ? 

Sur RFI, le président Déby était allé encore plus loin en accusant les pays du Golfe d’être les principaux financiers des groupes terroristes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces sont ces mêmes pays qui se proposent de financer le G5 Sahel. Cessons l’hypocrisie !

Il faut envisager une taxe sur l’exportation des matières premières pour financer l’effort de guerre contre le terrorisme"

Ne faut-il pas imaginer une sorte de taxe de solidarité au niveau de l’Union Africaine pour financer l’effort de guerre contre le terrorisme à l’instar de la taxe Chirac prélevée sur le prix des billets d’avion ?

Je pense qu’il est grand temps pour les peuples africains d’avoir une vision commune pour répondre aux défis sécuritaires. Nous ne devons compter que sur nous-mêmes. D’ailleurs les pays occidentaux, à commencer par la France, n’ont de cesse de nous répéter que les Africains doivent se prendre en charge quant à leur sécurité. Notre souveraineté en dépend. Lorsque l’intégrité territoriale du Mali a été sévèrement mise en mal par les djihadistes, les autorités maliennes ont fait appel à la France. Quid d'un pays ou d'une force africaine ? Il a fallu l’intervention, in extremis, de l’armée française avec l'opération « Serval » lancée en janvier 2013 pour stopper net la progression des assaillants vers la capitale. N’eût été cette intervention, Bamako serait tombée, très certainement, aux mains des djihadistes.

Les exemples sont légion. Ce fut également le cas en République Centrafricaine avec  l’opération « Sangaris » ou encore en Côte d’Ivoire avec l’opération « Licorne ». En tant qu’Africain et fier de l’être, c’est difficile d’accepter cette réalité. Aujourd’hui, nous avons beau critiqué la présence militaire française dans nos pays, et l’accuser de connivence avec l’ennemi, mais à qui la faute ?

Nos dirigeants doivent prendre leurs responsabilités. Nous ne pouvons pas continuer à tendre la main alors que notre Continent regorge de matières premières et de ressources minières abondantes convoitées par les puissances occidentales depuis la nuit des temps. L'adage dit :« La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit ! »

Notre dépendance militaire fait de nous des éternels assistés et des peuples incapables de s’assumer pour notre propre sécurité. Voilà l’image que nous donnons de nous, nonobstant nos richesses. Je suis d’accord qu’il faille envisager par exemple une taxe sur l’exportation de nos richesses pour financer l’effort de guerre contre le terrorisme. C’est une piste de réflexion à creuser.

Compte tenu de la circulation d’armes dans le pays, de nombreux experts redoutent des violences postélectorales en 2020 en Côte d’Ivoire comme lors de la présidentielle de 2010. Qu’en pensez-vous ?

Le processus de DDR (Désarmement, démobilisation et réinsertion), qui a pris fin en juin de 2015, avait permis d’intégrer près de 70.000 ex-combattants dans le tissu social et la saisie de près de 14.000 armes. Ce qui représentait un taux de 92 % d’individus théoriquement désarmés. Une réussite et un modèle à exporter dans la sous-région, selon le rapport des Nations Unies.

Sans « jeter le bébé avec l’eau du bain », le DDR a donc réglé en partie le problème, mais sans toutefois éradiquer le germe du réarmement. Sur le terrain, le constat est amer pour les Ivoiriens et la communauté internationale. En effet, plusieurs caches d’armes ont été découvertes aux domiciles d’hommes politiques, chez des particuliers ou dans des champs.

En réalité, certains de ces ex-combattants, toutes tendances confondues, n’avaient pas déposé les armes. On compte parmi eux les déserteurs et ceux qui prétendaient avoir perdu leur arme de dotation pendant la crise post-électorale.

Il faut aussi prendre en compte ces milliers d’ex-combattants non réintégrés des raisons de santé, de niveau scolaire, d’âge avancé ou encore de radicalisation et qui se sont volatilisés dans la nature. Tout ceci jette un sérieux doute sur les chiffres officiels du DDR annoncés en 2015. Je pense que tout n’a pas été aussi parfait qu'on le laisse entendre. Ce sont ces dysfonctionnements qui expliquent en partie le malaise existant dans les casernes, dont la plus belle illustration a été les mutineries à répétition.

Soyez plus explicite ?

Certains ex-combattants ont avoué avoir payé des « bakchichs » pour être soit sur la liste des éligibles au crédit de financement de leurs projets soit sur la liste de réinsertion dans les Forces de Défense et de Sécurité ou dans la douane. Or le processus DDR a été entièrement financé par la Communauté internationale. Ces pratiques d’un autre âge ont été opérées au su et au vu de tous sans que les auteurs en soient inquiétés. Ce sont là autant de faits et méfaits connus par tous qui sont restés impunis. Ne soyons donc pas étonnés du résultat aujourd’hui.

"Dans ce scénario du pire, les djihadistes pourraient étendre effectivement leurs sales besognes à l’ensemble des pays côtiers"

De nouveaux troubles en Côte d’Ivoire ne seraient-ils pas le pire des scénarios et la porte ouverte aux djihadistes pour étendre leurs sanctuaires dans les Etats côtiers ?

Effectivement, la menace est réelle et elle est à prendre au sérieux. L’Institut Thomas More, un think tank indépendant basé à Paris et Bruxelles, a attiré - dans un récent rapport - l’attention des Etats du Golfe de Guinée sur des menaces persistances terroristes. Selon cet Institut, l’ex-chef rebelle touareg malien Iyad Ag Ghali, l’Algérien Djamel Okacha et le prédicateur radical Amadou Koufa auraient appelé dans une vidéo à la poursuite du djihad au Sénégal, au Bénin, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Vu que des pays voisins de la Côte d’Ivoire, comme le Mali et le Burkina Faso, sont régulièrement frappés par des attentats meurtriers, il est évident de penser à l’existence de cellules dormantes en terre ivoirienne qui n’attendent que le moment propice pour passer à l’action ! Dans ce scénario du pire, les djihadistes pourraient étendre effectivement leurs sales besognes à l’ensemble des pays côtiers. Mieux vaut prévenir que guérir.

Face à cette menace terroriste persistante, les Ivoiriens devraient s’unir en dépit de leur divergence politique. Les Forces de Sécurité et Défense, qui sont en première ligne de ce combat contre le mal, doivent aussi gagner la confiance des populations civiles qui constituent le premier rempart et la première source de renseignement. La méfiance, ou du moins la rupture de confiance avec les populations, serait un véritable désastre. Car, certaines populations, comme on l’a vu sous d’autres cieux, se rendraient complices des terroristes et leur faciliteraient la tâche pour s’implanter et s’infiltrer.

Il faut une union sacrée contre le terrorisme. Les autorités ivoiriennes pourraient anticiper en organisant des campagnes d’information et de sensibilisation dans les villes et villages. Elles pourraient également mettre en place une plateforme d’écoute anonyme.

Les Ivoiriens doivent tirer les leçons de l’attentat de Grand Bassam survenu le 13 mars 2016. Vu les circonstances dans lesquelles les terroristes ont opéré et la façon dont les forces ivoiriennes ont réagi, tout laisse à penser que la Côte d’Ivoire n’était pas préparée à une telle menace. En effet, un arsenal militaire composé d’armement lourd, RPG, canon, Dca, blindés avait été déployé sur les lieux. Quel en a été le résultat ? Je vous laisse deviner. Plutôt que de se livrer à des guerres fratricides et à des querelles politiques inutiles, il faut penser à la sécurité de la Nation et des populations civiles. Les conflits politiques, la pauvreté grandissante, le grognement dans les casernes sont les ingrédients favorables à l’intrusion du terrorisme dans notre pays. 

Votre entreprise, KS Factory, était présente au Salon Milipol à Paris. Pour mieux vous faire connaître et améliorer votre réseau ?

Oui, bien sûr. Cette présence me permet de m’imprégner de ce qui se fait de mieux, d’acquérir de l’expérience, d’enrichir mon carnet d’adresses, de nouer, pourquoi pas, nouveaux partenariats. Cette présence me permet de m’imprégner de ce qui se fait de mieux, d’acquérir de l’expérience, d’enrichir mon carnet d’adresses, de nouer de nouveaux partenariats. Ces rencontres sont l’occasion de faire de bonnes rencontres avec notamment les autorités politiques et militaires des pays africains. A titre personnel, ces rencontres me permettent d’être mieux outillé dans le domaine qui est le mien.

Vous aviez remporté des appels d'offres au niveau de l'armée ivoirienne. Les autorités militaires continuent-elles de vous faire confiance ?

En toute franchise depuis cette belle aventure en 2012 avec les forces spéciales ivoiriennes dont j’ai eu l’honneur de fournir les tenues et accessoires, nos autorités politiques et militaires ont pu se rendre compte du savoir-faire d’une entreprise ivoirienne comme la mienne. Les bénéficiaires, c’est-à-dire les militaires, ont été satisfaits de la qualité de mes produits. Nous avons tout mis en œuvre pour consolider notre expertise en matière de sécurité et défense auprès de nos autorités. Et pourtant, nous n’avons plus eu l’opportunité de continuer cette aventure. J’en ignore les raisons.

En toute modestie, nous sommes une des rares sociétés ivoiriennes dans le domaine militaire à participer à tous les salons sur la sécurité et la défense dans le monde. Nous sommes par exemple à notre cinquième participation au Salon ShieldAfrica qui s’est tenu en Côte d’Ivoire, au Gabon. Nous sommes depuis plusieurs années présents aux côtés de nos partenaires au Minipol et à Eurosatory qui sont les plus grands salons au monde.

Nos partenaires internationaux, comme le PNUD, la BAD ou l’OIM, ainsi que certaines structures privées au niveau local nous font confiance. En ce qui concerne les forces ivoiriennes, nous avons de très bonnes relations avec la Gendarmerie nationale que nous conseillons sur le matériel technique pour les unités spécialisées. Je profite de l’occasion pour remercier tous ceux qui croient et nous font confiance

Je suis très déçu de mon expérience en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier. J’en suis arrivé à me poser la question de savoir pourquoi nous autres Africains, avons du mal à travailler ensemble. J’ai constaté à mes dépens, lors de plusieurs appels d’offres que ce sont toujours les mêmes qui les emportent. Quand je me rapproche de certains soumissionnaires pour comprendre, ils me répondent sans gêne que : « tout est géré en amont » et que chacun a son cheval dans la course. Autrement dit, des intérêts financiers personnels primes sur la qualité du matériel.

Je suis également surpris de constater que des marchés de gré à gré sont octroyés à des individus ou des sociétés sans qu’aucune enquête de moralité ne soit diligentée. Nous vendons du matériel militaire, un domaine très sensible qui nécessite un minimum de précaution et un encadrement strict. Je pense que le rapport qualité prix devrait être la préoccupation première de nos autorités.

Selon des rumeurs, il existerait dans certains quartiers populaires des ateliers clandestins de fabrique de matériel non certifié, voire même de matériel balistique comme les gilets pare-balle IIIA et IV. Ces fabricants feraient partie des fournisseurs de notre armée. Si cette information est avérée, ce serait un vrai scandale. Je pense ces commandes doivent répondre à des normes internationales de sécurité. L’efficacité des soldats et leur vie en dépendent. Nos autorités devraient veiller à un contrôle beaucoup plus strict du matériel des fournisseurs. Nous entrons dans une période assez critique avec l’organisation de la prochaine élection présidentielle en octobre 2020. Alors agissons ensemble dans l’intérêt de notre pays !

Clément Yao

Par Pays

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