Stéphane Volant, président du CDSE : "Face au Covid-19, notre tâche est d'assurer la continuité d’activité des entreprises"

Stéphane Volant, président du CDSE :

 Stéphane Volant, président du CDSE (Club des directeurs de sécurité des entreprises)


Dopé par les vagues d’attentats terroristes et les menaces diverses, le marché de la sécurité et de la sûreté ne s’est jamais aussi bien porté. Le président du CDSE (Club des directeurs de sécurité des entreprises), Stéphane Volant nous explique pourquoi le « modèle français » est exportable en Afrique.

Propos recueillis par Clément Yao 

Le CDSE est un véritable Lab pour la sécurité des entreprises. Comment le présenter ?

Le Club des directeurs de sécurité des entreprises a été créé en 1995, il y a 25 ans. A l’époque, le métier était en pleine structuration et toutes les grandes entreprises ne disposaient pas encore d’une direction de la sécurité et de la sûreté pilotée par un professionnel - souvent issu des armées, du renseignement, de la police et de la gendarmerie nationale, ou du corps préfectoral - au plus près de leur comité exécutif. Pour vous donner une image, le directeur de la sécurité était alors parfois caricaturé à gros traits comme celui que le PDG embauche pour "faire sauter les PV". Les premiers d’entre eux ont donc rapidement ressenti le besoin de se retrouver entre confrères afin d’échanger leurs connaissances, leurs expériences et disposer d’une structure qui puisse promouvoir les intérêts de leur profession dans le monde de l’entreprise, ainsi qu’auprès des institutions et des pouvoirs publics, en France comme à l’international. 

Vingt-cinq ans plus tard, en 2020, toutes les grandes entreprises françaises ou presque possèdent désormais un directeur de la sécurité et de la sûreté. Ce dernier est aujourd’hui perçu comme un partenaire business, un investisseur de la sécurité qui rend compte de la rentabilité de son action et démontre au quotidien quel est le risque économique et social de mal traiter ou de ne pas traiter la sûreté… Et il le démontre d’ailleurs chaque jour un peu plus dans le contexte actuel de crise sanitaire mondiale que nous traversons, face à l’épidémie du COVID-19. Ainsi, je veux croire que le CDSE n’est pas pour rien dans cette évolution de la perception du métier…Je pense même qu’il y est pour beaucoup !

"Le CDSE en France est l’interlocuteur

privilégié du ministère de l’Intérieur"

L’action du CDSE reste aujourd’hui fidèle à ses principes fondateurs. D’une part, il s’agit d’un "Club" au sens propre, au sein duquel les directeurs de la sécurité et de la sûreté peuvent partager leurs pratiques et échanger ensemble en toute confiance sur leurs sujets parfois sensibles. Ces échanges, ces réflexions, ce partage, se tiennent notamment au sein de 13 commissions et groupes de travail thématiques, le coeur du réacteur CDSE, qui traitent aussi bien des questions de sécurité à l’international, d’intelligence économique, de gestion de crise ou de cybersécurité, que de formation, de radicalisation, de sécurité privée ou de protection des installations. 

D’autre part, le CDSE a tissé des liens solides avec l’Etat. Il est aujourd’hui l’interlocuteur privilégié du ministère de l’Intérieur pour tous les sujets qui touchent à la sécurité-sûreté des entreprises. À ce titre, le CDSE siège en tant que représentant des donneurs d’ordre au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), l’établissement public de régulation de la sécurité privée en France. Il est également un partenaire de premier ordre du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), service qui dépend du Premier ministre et dont une des missions est de préparer la Nation à tous les scénarios de crise en protégeant ses acteurs essentiels, dont les entreprises.

En outre, à la demande du ministère de l'Économie français, le CDSE représente les utilisateurs et acheteurs des technologies de sécurité au sein du Comité stratégique de la filière des industries de sécurité. Auprès de l’ensemble des acteurs du développement des produits et services de sécurité "Made in France", nous insistons sur l’absolue nécessité de développer des solutions technologiques souveraines de qualité, à un coût qui soit compétitif face à l’offre internationale.

La menace d’hier n’est certainement plus la même aujourd’hui, où le monde doit faire face de surcroît à l'épidémie du Coronavirus?

La menace est en constante évolution, c’est un fait. Même si, depuis 25 ans, les directeurs de la sécurité sont confrontés à une délinquance du quotidien qui évolue peu… Les incivilités, le vol à l’étalage, la falsification et la fraude reposent globalement sur les mêmes pratiques. 

Aujourd’hui, force est de constater que la menace d’ordre sanitaire nécessite une plus grande prise en compte. Avec l’épidémie du COVID-19 que nous traversons, les directeurs de la sécurité et de la sûreté s’attachent à garantir la continuité d’activité de leurs entreprises. Ils oeuvrent ainsi au déploiement d’un télétravail massif et sécurisé, à la protection des salariés qui doivent encore prendre leur poste, à la bonne circulation de leurs agents essentiels, au rapatriement de leurs collègues présents à l’étranger quand cela est nécessaire… Le tout en mobilisant l’ensemble de leurs prestataires, notamment les agents de sécurité privée. Ils réfléchissent d’ores et déjà au « déconfinement » et à la reprise d’activité, aux mesures de désinfection des sites, de distanciation à intégrer au sein de l’entreprise, à l’approvisionnement durable en équipements de protection individuelle et aux différentes mesures de prévention à mettre en place pour l’ensemble de leurs collaborateurs.

"Polymorphe, la menace terroriste s'est

durablement installée dans le monde"

Et la menace terroriste est toujours là ?

Mais la menace terroriste a considérablement évolué depuis 25 ans. Celle-ci s’est installée durablement en France et dans le monde entier. Elle est polymorphe, avec des caractéristiques propres à chaque pays. Les directeurs de la sécurité savent aujourd’hui prendre en compte cette menace et, avec elle, la gestion de la radicalisation dans l’entreprise. C’est une expertise dont disposent ces professionnels. Dans ce contexte, il a été nécessaire de rassurer nos concitoyens. C’est dans ce but que de nouveaux acteurs de la sécurité ont émergé. Je pense ainsi aux agents de sécurité privée qui se sont grandement professionnalisés, notamment depuis 2012 et la création du CNAPS, et qui se voient octroyer de nouvelles prérogatives. Néanmoins, ces derniers doivent encore monter en compétences et la question de leur formation demeure fondamentale. 

Les nouvelles technologies occupent elles aussi une place prépondérante. Ces dernières sont en évolution perpétuelles et offrent de nouveaux moyens de sécurité tout en apportant de nouvelles menaces. Ainsi, les caméras de vidéosurveillance sont aujourd’hui connectées, elles sont, chaque jour, plus nombreuses, et embarquent toujours plus de technologies. Il faut donc veiller à ce qu’elles soient elles-mêmes bien sécurisées. En outre, la question de la sécurité des données numériques des entreprises est aujourd’hui primordiale. Le CDSE plaide ainsi pour qu’une solution de cloud souveraine et compétitive voit le jour en France, afin que les entreprises puissent y stocker leurs données critiques sans en offrir l’accès à une puissance étrangère.

Enfin, la population porte désormais un regard plus précis sur l’ensemble des questions de sécurité, plus vigilant sur le plan du respect des libertés individuelles. Nos concitoyens se réjouissent de voir des outils qui permettent de mieux les protéger, mais s’inquiètent également du caractère intrusif de certains d’entre eux. Ainsi, depuis 25 ans, l’évolution de ces métiers de la sécurité et de la sûreté en France a toujours été strictement encadrée par la loi, avec des normes spécifiques de plus en plus nombreuses qui permettent d’apporter une certaine sérénité sur ces sujets. 

Les forces de l’ordre et les agents de sécurité privée partagent quasiment le même espace de travail. Quelles sont les limites des uns et des autres ?

La question des limites des uns et des autres est encadrée en France par le code de la sécurité intérieure. Les policiers et les gendarmes bénéficient de prérogatives régaliennes classiques. Les agents de sécurité privée, quant à eux, ne peuvent exercer leurs fonctions qu'à l'intérieur des bâtiments ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde. Pour faire simple, ces derniers ne peuvent exercer sur la voie publique. Il existe néanmoins des exceptions, notamment lors de certains grands évènements, comme un marché de Noël ou une manifestation sportive, pour lesquels le préfet compétent peut décider de l’instauration d’un "périmètre de protection".

Dans ce cadre, des agents de sécurité privée sont autorisés à assurer le filtrage, la palpation ou la fouille des bagages aux différents points d’accès, mais toujours sous l’autorité d’un officier de police judiciaire. Un troisième acteur intervient également dans ce cadre : les policiers municipaux, dont les prérogatives ont considérablement évolué pendant la décennie. L’ensemble de ces acteurs s’inscrivent dans ce que l’on qualifie aujourd’hui de "continuum de sécurité".

Aujourd’hui, tout le débat est de savoir comment mieux harmoniser les prérogatives de chacun dans ce continuum, pour une sécurité globale toujours plus efficiente. Le ministère de l’Intérieur travaille depuis la fin 2019 à un "Livre blanc de la sécurité intérieure" qui devrait aboutir à une nouvelle loi. La question sous-jacente est de permettre aux agents de sécurité privée de monter en compétences et en reconnaissance pour assurer de nouvelles missions comme le contrôle d’accès à certains bâtiments publics ou sites sensibles. Ainsi, les forces de l’ordre seront plus libres de se concentrer sur des missions purement régaliennes et coeur de métier, comme l’investigation, la police du quotidien ou le maintien de l’ordre.

Il y a, de ce point de vue, des évolutions importantes à mener et pour lesquelles nous pouvons nous inspirer de nos voisins européens. En Espagne par exemple, les agents de sécurité privée ont un uniforme bien défini et bien distinct de celui des agents d’Etat. Ainsi, les citoyens peuvent les identifier clairement, chacun dans leurs propres prérogatives. C’est quelque chose que l’on pourrait tout à fait instaurer en France.

"En Afrique, il faut une structure

qui réponde aux usages locaux"

Pensez-vous que le modèle du CDSE est transposable en Afrique en général et en Côte d'Ivoire en particulier ?

Je vois que ce modèle a son intérêt et son utilité en France et j’imagine qu’il peut avoir un intérêt en Afrique et en Côte d’Ivoire. En revanche, il va falloir adapter le modèle et créer en Côte d’Ivoire un CDSE ivoirien qui réponde aux usages locaux. On ne peut pas se contenter d’un simple copié-collé.

En termes d’honorabilité, il faut mettre en place des règles de contrôle très strictes au même titre que celles que nous avons en France sous l’égide du CNAPS et la tutelle du ministère de l’Intérieur. De la même façon que les dirigeants d’entreprise, en leur qualité de mandataires sociaux, doivent fournir des preuves d’honorabilité, il est important de s’assurer que les dirigeants des entreprises de sécurité privée fassent l’objet d’un vrai criblage, et que leurs agents sont bien formés, que leurs casiers judiciaires sont vierges. Le contrôle que l’Etat doit opérer sur ces personnels qui, bien que n’étant pas fonctionnaires, participent de la sécurité du pays, doit être optimal. Toutes ces questions devront être posées. Je suis persuadé que les Africains en général, et les Ivoiriens en particulier, y répondent déjà et, dans tous les cas, ils pourront toujours s’inspirer du modèle français.

Par ailleurs, l’Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA), qui a harmonisé les questions juridiques en Afrique de l’Ouest, est un bel exemple d’une inspiration française adaptée au territoire africain et permet de certifier le sérieux du corpus juridique en l’Afrique de l’Ouest. En revanche, les menaces, les usages, les habitudes ne sont pas les mêmes en Afrique et en France. Il faut continuer d’innover entre Ivoiriens, car les questions de sécurité et de sûreté sont étroitement liées à l’environnement et aux habitudes de ceux à qui elles sont destinées. Il y a donc des « spécificités ivoiriennes » qu’il convient de prendre en compte. Et il ne s’agit pas simplement des questions de terrorisme dans la zone sahélo-saharienne… Mais aussi de la sûreté et de la sécurité du quotidien !

En Afrique, les termes « sécurité » et « sûreté » renvoient à poster un agent devant le bâtiment d’une entreprise ?

La sécurité reste certes une question de gendarmes et de voleurs… Mais elle ne se limite plus à ce simple cadre. Ça, c’était la sécurité d’avant. Elle a considérablement évolué parce que les menaces ne sont plus les mêmes, les exigences des clients et des personnels non plus. Aujourd’hui pour vendre n’importe quel produit, celui-ci doit comporter une dose de sécurité. Par exemple, votre téléphone est sécurisé et votre portefeuille a fait l’objet d’un dépôt de marques. Il y a par ailleurs une exigence de sérénité : il faut une sécurité qui rassure et non une sécurité qui inquiète. Jadis, vous étiez rassuré quand vous mettiez devant une porte un agent avec une matraque et un revolver. Aujourd’hui, le simple fait de voir ce même agent peut laisser penser qu’il y a quelque chose à craindre… La sécurité d’aujourd’hui doit être beaucoup plus discrète et beaucoup moins intrusive.

Le métier de dirigeant d’entreprise de sécurité privée est encadré légalement et nécessite une véritable formation, gage d’expertise. Il doit par ailleurs être exercé par des entreprises spécialisées dont l’honorabilité est avérée. Il doit exister un partage de relation claire et confiant entre ceux qui exercent les métiers de sécurité privée et leurs donneurs d’ordre qu’ils soient privés, c’est-à-dire les directeurs de sécurité des entreprises, ou publics, les collectivités locales ou les institutions. Dans cette chaîne de sûreté, si chacun joue son rôle, la sécurité sera bien assurée. Il s’agit donc d’une approche beaucoup plus complexe qu’auparavant.

De ce point de vue, beaucoup de choses ont déjà été faites en Côte d’Ivoire et beaucoup de choses ont été faites en France. Mais la confrontation des expériences, des menaces et des études va être fructueuse. Il y a déjà de nombreux directeurs de sécurité en Côte d’Ivoire et peut être allons-nous susciter un intérêt pour cette matière de sorte qu’un jour, il y en est encore plus. Peut-être qu’un jour, il y aura un CDSE en Côte d’Ivoire… Mais nous n’en sommes pas là. D’abord, commençons par réunir l’ensemble des directeurs de sûreté et de sécurité du pays comme souhaite le faire bientôt ISAO (NDLR. Société spécialisée dans le domaine de l’intelligence d’affaires, la sûreté et la gestion des risques implantée à Abidjan et à Dakar), créer davantage de postes de directeur là où il en manque et là où ils sont nécessaires… Parce que le tissu économique ivoirien est extrêmement important.

Est-ce que les entreprises en Côte d'Ivoire et en Afrique expriment le besoin de se prémunir contre ces menaces ?

Oui, elles ont, au même titre que les entreprises françaises, besoin de se protéger. Elles ont d’abord besoin de protéger leurs salariés et de leur garantir un espace serein pendant le temps de travail, mais également de rassurer leurs clients, de leur apporter de la sérénité. Ce sont aujourd’hui des pré-requis pour tous les salariés, tous les clients, et tous les patrons, en France comme en Côte d'Ivoire.

Comment conseillez-vous les entreprises françaises qui veulent s’installer dans des zones géographiques déconseillées par le ministère des Affaires Etrangères ?

D’abord, notre métier ne s’inscrit pas dans la prescription. Le CDSE est un club et nous n’avons pas d’autorisation à donner ou de regard à porter sur les cotations ou propositions faites par le ministère des Affaires Etrangères. Ce dernier, selon des critères qui sont les siens et qui lui appartiennent, apprécie le contexte de sécurité. Après, libre à l’entreprise de suivre ou de ne pas suivre ses préconisations et ses conseils.

Quand il s’agit de se rendre dans un pays avec des cotations inquiétantes émises par le ministère des Affaires Etrangères, il y a par exemple la possibilité de structurer un accompagnement par des agents de sécurité, qu’ils soient locaux ou français. Ces cotations sont des indications qui évoluent à la fois en raison des analyses faites par les Etats concernés et le ministère des Affaires Etrangères avec des remontées de terrain formulées par les ressortissants français et par les entreprises. Souvent, ces indications sont le résultat d’une synthèse de ces deux éléments.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site du CDSE : www.cdse.fr

Clément Yao

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