Un 3ème mandat d’Alassane Ouattara serait une imposture qui laissera des traces
Le Président Ouattara a confirmé ce jeudi 30 juillet par décret la nomination d'Hamed Bakayoko au poste de Premier ministre, chef du gouvernement et ministre de la Défense
Si le président ivoirien sortant, Alassane Ouattara, venait à accepter de briguer un 3ème mandat, en dépit de l’interdiction de la nouvelle Constitution, cet acte majeur serait considéré comme la plus haute trahison de la confiance du peuple ivoirien. Ce serait une imposture qui risquerait de faire basculer la Côte d’Ivoire dans une inquiétante spirale de violences.
Par Clément Yao
La question qui est sur toutes les lèvres et qui divise les Ivoiriens est bien celle de savoir si Alassane Ouattara a le droit de rempiler pour la troisième fois à la tête de la Côte d’Ivoire après deux mandats consécutifs et dix ans de règne ? Certains juristes constitutionnalistes, pour ne pas dire tous, qui ont été chargés de sa rédaction par le chef de l’Etat ivoirien lui-même, sont formels sur la réponse.
C’est le cas du très respecté Professeur Martin Bléou, admiré pour ses prises positions courageuses. Avec des arguments irréfutables à l’appui, il affirme que celui que le Conseil politique du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) a sollicité une nouvelle fois pour briguer un 3ème mandat, n’en a – en réalité - plus le droit. L’ancien ministre de la Sécurité du gouvernement de transition du défunt Premier ministre Seydou Elimane Diarra (2003) l’a fait savoir dans un écrit magistral rendu récemment public.
Selon l’éminent professeur, le président Ouattara ne peut plus prétendre briguer un 3ème mandat pour la simple raison que la nouvelle Constitution de 2016, ne remettant pas en cause l’ancienne promulguée en l'An 2000, reconduit de facto les dispositions de l’article 55 limitant le mandat présidentiel à deux. Cet article stipule que « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. » Mieux pour empêcher toute imposture et velléité tyrannique, les constitutionnalistes ont expressément introduit l’article 183 pour verrouiller l’affaire en stipulant à propos de la continuité législative que « La législation actuellement en vigueur en Côte d'Ivoire reste applicable, sauf l'intervention de textes nouveaux, en ce qu'elle n'a rien de contraire à la présente constitution. »
« A bien comprendre, la nouvelle Constitution ivoirienne de 2016 avait géré et bouclé toute impossibilité de Monsieur Ouattara à briguer un 3ème mandat. Mon incompréhension est d’autant plus grande qu’il sait, en âme et conscience, qu’il ne peut pas renouveler son mandat. Pourquoi encourage-t-il toute cette mise en scène théâtrale ? Ce n’est ni honorable pour lui ni pour les Ivoiriens que nous sommes quelle que soit notre chapelle politique. Nous devons donner l’exemple d’un pays démocratique à l’instar du Sénégal », commente un internaute sur les réseaux sociaux.
D’où vient donc subitement cette idée de pousser Alassane Ouattara à briquer un 3ème mandat en violation flagrante de la Constitution ivoirienne alors qu’il avait récemment déclaré vouloir prendre sa retraite ? Décision jadis saluée par ses pairs africains et européens, à commencer par le président français, Emmanuel Macron, admirateur de son homologue ivoirien, qui n'avait pas hésité à qualifier cette décision d' « historique » et de « salutaire ».
Dans l’hypothèse d’un 3ème mandat du président Alassane Ouattara, quelles en seront les conséquences ? Il est évident que ce 3ème mandat jugé « illégal » par l’opposition aura du mal à passer auprès de la grande majorité des Ivoiriens. Dès lors, on pourrait imaginer deux scénarios possibles dans un tel cas de figure.
Dans le meilleur des cas, vu les crispations et polémiques qui enflent autour de la Constitution et en raison aussi du court délai imparti pour le rééquilibrage de la Commission électorale indépendante (CEI) centrale et locale exigée par la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le pouvoir ivoirien pourrait se saisir de ces éléments pour justifier le report de la présidentielle du 31 octobre à une autre date, peut-être, plus consensuelle.
Dans le pire des cas, si par extraordinaire la candidature du président Ouattara venait à être validée par le Conseil constitutionnel, une institution qui serait à la solde de son pouvoir, la situation pourrait dégénérer avant même la date de convocation des Ivoiriens aux urnes. Dans ce scénario du pire, les conséquences seraient désastreuses. Selon plusieurs observateurs, les violences pourraient même dépasser celles qu’a connues ce pays lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Les graves conséquences d'un véritable
"coup d'Etat constitutionnel"
L’onde de choc du scénario de l’éventualité d’une nouvelle crise ivoirienne toucherait gravement une bonne partie de la sous-région et même bien au-delà en Afrique. Ce serait la porte toute grande ouverte aux mouvements djihadistes qui pullulent dans la partie septentrionale des frontières ivoiriennes. Les spécialistes de défense et sécurité sont unanimes à ce sujet. Les pays sahélo-sahariens étant déjà infectés de terroristes difficilement contrôlables et maîtrisables par les différentes forces militaires en présence – comme celles de l'opération française Barkhane, les forces onusiennes de la Minusma ou la force coalisée du G5 Sahel – ce sont tous les efforts militaires consentis qui pourraient alors voler en éclat.
Il est évident que si Monsieur Ouattara, 78 ans révolus, l’âge de la sagesse, se donne le droit de violer, en toute conscience, la loi fondamentale de la République de Côte d’Ivoire, pour briguer un 3ème mandat, les conséquences seront incalculables. Commençons tout d’abord par son impact sur les Ivoiriens, notamment ceux de la nouvelle génération à qui l’on veut inculquer des « valeurs républicaines » et transmettre le flambeau.
Il va de soi que ce véritable « coup d’Etat constitutionnel », s’il venait à être opéré par le régime RHDP, sera perçu comme le droit pour tout Ivoirien de ne plus respecter aucune loi de son pays. Au demeurant, on pourrait affirmer que le pouvoir ivoirien est en train de planter les germes de la chienlit, de la rébellion, de la désobéissance civile, de l’insurrection populaire qui seront alors les nouveaux modes d’expression des Ivoiriens dans ce contexte, à l'avenir.
Devant une telle détresse et le pire des scénarios du chaos annoncés, quel serait cependant l’intérêt pour le pouvoir d’Abidjan de mettre en péril ces dix ans d’acquis et un bilan jugé plutôt « brillant » et donc défendable devant les électeurs ivoiriens, quel que soit le candidat qu’il choisirait pour remplacer son défunt Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, pour lequel Alassane Ouattara avait mis dans la balance tout son poids et son autorité de futur président à la retraite ?
On ose encore espérer que le Président Ouattara, qui a confirmé ce jeudi 30 juillet par décret la nomination d'Hamed Bakayoko au poste de Premier ministre, chef du gouvernement et ministre de la Défense, réfléchira à deux fois avant de franchir le Rubicon... et d'entraîner avec lui la Côte d'Ivoire dans l'inconnu.
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