Amon-Tanoh à Ouattara : « Renoncez au 3ème mandat pour ne pas verser le sang des Ivoiriens »
L'ancien chef de l'Etat ivoirien Henri Konan Bédié en appelle à la rescousse du Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres pour arbitrer la présidentielle du 31 octobre.
A trois semaines du scrutin présidentiel du 31 octobre, l'opposition ivoirienne hausse le ton à Abidjan et en appelle à la communauté internationale. Son ancien directeur de cabinet, Marcel Amon-Tanoh, demande au Président Ouattara de renoncer à un 3ème mandat pour ne pas rallumer la guerre civile.
Par Bruno Fanucchi
L'opposition ivoirienne a bel et bien réussi son pari en remplissant samedi le stade Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan, malgré un dispositif policier sans précédent pour en interdire l'accès par tous les moyens. Mais plus encore que l'unité affichée par l'opposition, dont de nombreux leaders étaient présents autour de l'ex-Président Henri Konan Bédié et de l'ancien Premier ministre Pascal Affi N'Guessan, candidat du FPI, c'est le ton des discours et la détermination qu'elle révèle qui auront impressionné toute la Côte d'Ivoire que des dizaines de milliers d'internautes – faute d'avoir pu atteindre ce stade mythique sur le Plateau barricadé comme une forteresse – ont suivi pratiquement en direct sur YouTube et les réseaux sociaux. Voilà pour la forme.
Et les discours auront été à la hauteur de l'événement. Ils sonnent comme une solennelle mise en garde adressée au Président Alassane Ouattara de ne plus faire couler le sang des Ivoiriens en violant la Constitution. Muré dans sa « Tour d'Ivoire », le chef de l'Etat ne sait plus comment se sortir de cette situation dramatique dans laquelle il s'est enlisé lui-même par entêtement et qui, même s'il devait être « officiellement réélu » le 31 octobre dans un scrutin aux résultats connus d'avance, va lui faire perdre définitivement tout crédit dans de nombreux pays d'Afrique et sur la scène internationale, qui ne sauraient être dupes bien longtemps de cette mascarade électorale.
Une intervention de moins de six petites minutes aura notamment retenu l'attention : celle de Marcel Amon-Tanoh, qui fut le directeur de cabinet du Président Alassane Ouattara de 2011 à 2019, avant d'être promu chef de la diplomatie ivoirienne jusqu'à sa démission en mars dernier. Ce fut, en effet, l'un des plus proches et des plus fidèles collaborateurs de l'actuel Président ivoirien. Et ces mots accusateurs n'en ont aujourd'hui que plus de poids car il connaît parfaitement tout le dessous des choses des deux mandants successifs du chef de l'Etat.
« Nous sommes prêts à mourir
pour libérer notre pays de la dictature»
« Celui qui a fait le lien entre les deux hommes (entre l'ex-Président Henri Konan Bédié et le Président Alassane Ouattara) ces dix dernières années, c'est votre serviteur. S'il y a quelqu'un qui sait ce qu'ils se sont dit de 2011 à 2019, c'est votre serviteur. Mais le temps de parler viendra. Ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est que celui qui n'a pas tenu ses engagements, je le connais... », a-t-il ainsi lâché d'entrée de jeu, laissant ouvertement entendre qu'il pourrait bientôt en dire beaucoup plus si le Président Ouattara ne renonçait pas à son projet funeste de garder le pouvoir qui risque fort de rallumer la guerre civile.
« Nous sommes venus ici pour dire un seul mot : pour dire Non à Alassane Ouattara, pour lui dire que son troisième mandat est anticonstitutionnel », martèle-t-il dans la foulée en rappelant fort à propos : « Lui-même nous a dit en 2016, au moment du vote de cette Constitution, que cette Constitution ne l'autorisait pas à se présenter à un 3ème mandat (...) car cette Constitution n'annule pas cette disposition des Constitutions précédentes » limitant expressément à deux le nombre de mandats que peut faire un Président en Côte d'Ivoire.
Avant d'ajouter : « Je vous le dis, il a peur, il a peur de cette Côte d'Ivoire que nous représentons, il a peur de la Côte d'Ivoire de la majorité, il a peur de la Côte d'Ivoire plurielle, elle est là devant vous. Regardez-les, je ne peux pas vous citer tous les leaders qui sont là, enrichissant la Côte d'Ivoire de leurs différences, sachant se mettre ensemble pour l'intérêt de la Côte d'Ivoire, sachant se mettre ensemble pour défendre l'appel à la désobéissance civile. Qui est un appel pacifique à ne pas verser le sang des Ivoiriens ».
Après avoir rappelé qu'« Aucun Ivoirien ne ferait à ses frères Ivoiriens ce qu'Alassane Ouattara nous fait », l'ancien ministre dont la candidature a été rejetée de manière arbitraire et frauduleuse par le Conseil constitutionnel, d'appeler tous ses compatriotes comme le pouvoir au « dialogue » car, assure-t-il, « nous sommes la Côte d'Ivoire de la majorité, nous sommes la Côte d'Ivoire de la force tranquille ».
Avant de conclure sous les ovations de la foule : « N'ayez pas peur ! Nous sommes prêts à mourir pour notre pays, nous sommes prêts à mourir pour libérer notre pays de la dictature d'Alassane Ouattara. Nous sommes prêts, nous ne reculerons plus, devant rien. Nous sommes debouts ! ».
L'ex-Président Bédié en appelle
au Secrétaire général de l'ONU
Le Président Bédié appelle, quant à lui, tous les Ivoiriens à se mobiliser « pour faire face à la haute-trahison de Monsieur Alassane Dramane Ouattara et au parjure du Conseil constitutionnel ». Les mots sont forts, mais justes. « Nous devons dire Non au 3ème mandat, ajoute-t-il, Non au viol de la Constitution, Non à la CEI inféodée, Non au Conseil constitutionnel parjure, Non à la liste électorale phagocytée ». Un quintuple « Non » qui résonne encore dans les oreilles de tous les Ivoiriens de bonne volonté, qu'il invite à « résister à la dictature ».
Et l'ancien chef de l'Etat, qui a appelé ses compatriotes à la désobéissance civile dès le 20 septembre dernier, de lancer cette fois-ci un vibrant appel au secours à la communauté internationale en invitant le Secrétaire général de l'ONU, le Portugais Antonio Guterres, à s'intéresser de plus près aux prochaines élections présidentielles en Côte d'Ivoire. « Face à l'incapacité de la CEI d'organiser un scrutin juste, crédible et transparent, lance-t-il en lisant parfaitement son texte dont chaque mot a été soupesé à l'avance, je lui demande solennellement de s'auto-saisir du dossier ivoirien pour la mise en place d'un organe véritablement indépendant et crédible avant les élections du 31 octobre ».
Il ne reste – hélas – que trois petites semaines pour faire bouger les lignes et, si l'on veut encore éviter le pire à la Côte d'Ivoire, il serait grand temps que les chancelleries s'en inquiètent et s'activent pour tenter de ramener le Président Ouattara à la raison.
Au lendemain de ce gigantesque meeting de l'opposition ivoirienne, démontrant ainsi sa capacité de mobilisation, les tergiversations de pays comme la France ne sont plus de mise et la petite phrase, lâchée la semaine dernière à Paris par Jean-Yves Le Drian devant le Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, semble bien malheureuse.
« Il se trouve qu'il y a un processus démocratique en Côte d'Ivoire, même s'il peut y avoir une discussion sur la nouvelle Constitution. Moi, je ne suis pas chargé d'apprécier la nouvelle Constitution de la Côte d'Ivoire. Ce serait là vraiment de l'ingérence en l'occurrence », avait affirmé le chef de la diplomatie française, en ajoutant : « Le Président Ouattara a estimé devoir se représenter, c'est son libre choix ! ». Donnant ainsi l'impression qu'il n'y avait rien à y redire et que la France validait une nouvelle fois sa candidature à un troisième mandat du moment que « ces élections se déroulent dans l'impartialité et dans un climat apaisé ».
La CEDEAO, dont la mission de bons offices menée récemment à Abidjan a complètement échoué en raison de l'intransigeance du pouvoir, envisage quant à elle l'envoi d'une mission d'observation pour le scrutin du 31 octobre... comme si de rien n'était. Quel aveuglement coupable ou complice !
Mais il est vrai que les instances dirigeantes de la CEDEAO sont devenues un véritable « Syndicat des chefs d'Etat » se serrant les coudes les uns des autres pour rester le plus longtemps au pouvoir, au mépris de toutes règles démocratiques.
Dans ces conditions, où la Côte d'Ivoire ne peut guère espérer des instances internationales une réaction de bon sens et un secours extérieur visant à dire le droit et à apaiser les tensions, il semble plus urgent que jamais que le peuple ivoirien prenne son destin en mains et que des personnalités respectées – qui furent très proches du Président Ouattara - aient le courage d'élever la voix, à l'image d'Amon Tanoh.
Deux hommes politiques, qui faisaient partie du RHDP, pourraient encore le faire : Daniel Kablan Duncan, le Vice-Président ivoirien qui a démissionné le 13 juillet dernier pour « convenance personnelle », ce qui fut une manière comme une autre de marquer son désaccord avec Ouattara, et qui curieusement n'a pas été remplacé et s'est réfugié dans un silence total. Et l'ancien Premier ministre Jeannot Ahoussou Kouadio, actuel Président du Sénat, parti depuis plusieurs mois officiellement se faire soigner en Europe. Les Ivoiriens de bonne volonté – et ils sont nombreux – les supplient de sortir enfin de leur réserve et de parler clairement pour mettre Ouattara devant ses responsabilités avant qu'il ne soit trop tard !
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