« C’est le moment d’investir au Mali ! »

« C’est le moment d’investir au Mali ! »

Président du CNPM (Conseil national du Patronat du Mali), Mamadou Sinsy Coulibaly (61 ans) est un homme qui a réussi dans les affaires. PDG du groupe Kledu (qui emploie quelque 2.000 personnes dans des secteurs aussi différents que la presse, la communication, le tourisme, la distribution ou l’agroalimentaire), ce businessman est connu pour son franc-parler et son look décontracté.  Avec son éternelle casquette visée sur la tête, il parcourt aussi les grandes capitales à la recherche de nouvelles idées, innovations et opportunités utiles aussi bien à ses propres affaires qu’au développement économique du Mali. A la veille du Forum « InvestMali » qui se déroulera les 7 et 8 décembre prochains à Bamako, Mamadou Sinsy Coulibaly, le « patron des patrons » du Mali, a bien voulu répondre à nos questions. Avec son franc-parler habituel. Interview.

Comment se porte aujourd’hui l’économie malienne ?

Je suis très optimiste pour le Mali où on prend enfin conscience de l’importance du secteur privé. Dans de nombreux secteurs (comme la logistique, les infrastructures, les mines, etc), cela bouge bien. De nouvelles mines se créent et s’installent. Tout cela pour dire que c’est pendant le crise qu’il faut investir car, après la crise, la demande va être très forte. C’est comme cela que l’Amérique – à la sortie de la Seconde guerre mondiale en 1945 – s’est positionnée comme leader mondial incontournable alors qu’avant la France et l’Angleterre étaient plutôt les leaders économiques. Cette manne financière récoltée alors a permis aux Etats-Unis d’être aujourd’hui les champions du monde.

« Il faut libéraliser d’urgence le secteur de l’énergie »

Quels sont les secteurs porteurs pour investir aujourd’hui au Mali ?

Tout car tout est à faire ou à refaire. Depuis les indépendances, tout s’est dégradé au Mali. Tous les secteurs sont donc prioritaires, à commencer bien sûr par celui de l’énergie qui en conditionne beaucoup d’autres. Les mines produisent par exemple leur propre électricité pour pouvoir extraire les matières premières comme l’or ou le fer. Si demain il y a de l’électricité, ces mines vont gagner deux fois plus d’argent. On va toujours gagner plus si l’on fait des efforts dans des secteurs clés comme l’énergie ou les infrastructures. L’électricité, c’est en effet un gros problème chez nous. Il faut d’abord qu’on libéralise ce secteur – c’est très important – pour permettre aux acteurs économiques de revenir… Si on ne veut pas privatiser la Société nationale d’électricité du Mali, c’est le choix politique des autorités mais ce choix pèse énormément sur le secteur privé et toute la société malienne. Cette année, cette société a reçu quelque 36 milliards de francs CFA de subventions pris sur nos impôts et taxes. Avec ces 36 milliards, on aurait pu faire d’importantes infrastructures… Seule la concurrence et la compétition, qui concernent aussi bien le secteur public que le privé,  peuvent améliorer nos résultats économiques et attirer les investissements qui, sans cela, iront ailleurs.

Quelle est la priorité pour faire revivre le Nord du pays ?

L’énergie, bien sûr. S’il y a de l’énergie demain et que les entreprises s’installent dans le nord du pays, moi, je préfère aller produire au nord et faire venir les produits au sud car il n’y a pas de consommateurs au nord. Le Nord, c’est un très petit marché avec moins de 10 % de la population malienne pour 1.240.000 km2 représentant 65 % du territoire, soit une densité de population au kilomètre carré parmi les plus faibles au monde.

A la tête du groupe Kledu, vous êtes personnellement engagé dans de nombreux secteurs économiques comme les medias, mais quelles sont vos affaires qui marchent le mieux ?

Tout marche bien, à part le tourisme – c’est un contrecoup de la crise – qui lui-même a été en grande partie compensé par l’arrivée massive de militaires, comme les casques bleus de la Minusma…

C’est une réalité : nous avons plus d’étrangers vivant aujourd’hui au Mali qu’avant la crise et ce sont des consommateurs. C’est une forme de tourisme aussi et une manne financière qui est là et qu’il faut savoir exploiter. C’est pourquoi les restaurants marchent bien à Bamako comme à Mopti et dans tout le delta central du fleuve.

« C’est le secteur privé qui crée la richesse et les emplois »

Comment relancer le tourisme d’affaires ?

Il n’a jamais disparu. Il y a aujourd’hui tous ces « vendeurs de rêve » que sont les spécialistes de la sûreté et de la sécurité, toutes les sociétés de gardiennage. Ce sont des milliards de francs CFA. Cela fait vivre beaucoup de monde : tous ceux qui assurent la sécurité dans les hôtels ou les bureaux…

Et comment créer des emplois ?

C’est le rôle du secteur privé et le mien c’est de booster le secteur privé. Si on met le secteur privé dans de meilleurs conditions, il va créer des emplois. Nous avons un problème de compétitivité au Mali : l’emploi est cher, les taxes sont énormes, les impôts sur les sociétés sont excessifs, les charges sont trop lourdes : on laisse 35 %, plus 18 %, etc. Tout ne dépend pas de l’Etat, mais ils seront bien obligés d’aller vers des réformes pour que notre économie soit plus compétitive et que le pays puisse attirer les investisseurs. Le secteur privé se bat pour ces réformes. Il faut les faire, c’est une nécessité aujourd’hui. Le Premier ministre vient de le dire : beaucoup de choses se préparent.

Vous faîtes confiance au nouveau Premier ministre, Abdoulaye Idriss Maïga ?

Je lui fais entièrement confiance pour mener à bien ces réformes, même s’il n’a pas encore toute l’expérience de l’administration politico-économique. Mais il apprend vite, il en a la volonté et connaît bien le monde de la société civile. Il ne connaît pas encore très bien le secteur privé, mais il en a déjà une idée et il est surtout ouvert au dialogue et c’est cela qui est important. Il suffit d’avoir la manière de faire et d’y croire. D’autant que nous sommes dans une année électorale…

Peut-on faire de vraies réformes en période électorale ?

Oui, bien sûr ! C’est en période électorale qu’il faut demander et tout mettre sur la table, même si les négociations ne commencent réellement qu’après les élections… On ne se contente pas de promesses électorales car on a des leviers pour qu’ils respectent leurs promesses. Le secteur privé a un poids dans l’économie du pays et ils doivent nécessairement en tenir compte. C’est le secteur privé qui crée la richesse et les emplois. On a donc des moyens de pression sur le gouvernement auquel on peut rappeler ses engagements et lui dire : vous avez promis cela et vous ne l’avez pas fait !

« La numérisation peut empêcher la corruption»

Mais le talon d’Achille du Mali, n’est-ce pas la corruption ?

C’est partout pareil. La corruption est ici de plus en plus forte, jusque dans la rue. Et il semble parfois qu’on ne puisse pas lutter contre, mais on peut l’empêcher en utilisant par exemple les outils modernes de gestion, en procèdant à la dématérialisation et à la numérisation des documents et procèdures. Si je peux faire ma déclaration d’impôts en ligne et que je n’ai plus un agent en face de moi, je paie directement par carte bancaire, je suis débité et c’est fini. Mais si pour faire sa déclaration, on est obligé de faire encore trois va-et-viens pour aller chercher la fiche, la déposer puis aller payer, vous êtes vulnérable et pouvez être taxés à chaque passage !

Cela suppose un grand plan de numérisation du Mali…

C’est exact. Tout le monde est aujourd’hui connecté à Bamako. Et si demain à Gao, on a besoin de connexion, les sociétés de télécommunications vont y venir et s’installer. Le secteur privé va s’en occuper car cela rapporte de l’argent. Ce sont les plateformes de contenu qui rapportent de l’argent. Elles sont installées à Dubai ou Singapour avec un relais à Kidal ou dans le nord et vous avez accès à ces plateformes. Les plateformes sont là, il suffit de les utiliser. Il faut pour cela une volonté politique. Il suffit d’adapter ces plateformes au contexte malien et le secteur privé peut s’en charger. Le numérique est là et j’y crois énormément.

Quelles sont aujourd’hui les principales richesses du pays ?

Les richesses minières (avec l’or, le fer, etc), les richesses agricoles avec l’or blanc qu’est le coton et l’élevage avec un cheptel de 20 millions de têtes (chèvres et vaches). Sans parler, bien sûr, de la richesse humaine même si les hommes – faute de formation et de qualification – posent souvent problème à l’embauche pour les entreprises. C’est un vrai problème. D’autant plus que les gens – je le dis franchement – ne travaillent pas ou travaillent peu au Mali !

Et qu’est-ce qui ne marche pas ?

C’est l’industrie en général (y compris l’industrie agro-alimentaire) qui peine à décoller. Cela est dû à deux facteurs : 1/ La néconnaissance d’abord des investisseurs maliens dans l’outil de production ; 2/ Ils n’arrivent pas à faire de bons choix technologiques et sont toujours en retard d’une génération. Or la compétition est aujourd’hui mondiale et si je dois produire des bananes, il faut que mon prix soit en-dessous de celui de mes concurrents des autres marchés pour être compétitif. Il nous manque des centres de recherche pour adapter la banane au sol malien, il n’y a pas d’usines qui fabriquent les engrais que nous sommes obligés d’importer. Voilà des exemples concrets.

Nos infrastructures, elles-aussi, ne sont pas à la hauteur. Nous avons la chance aujourd’hui que presque 80 % de la consommation se fait à Bamako, mais il nous faut développer au plus vite les insfrastructures (les routes et les équipements) dans le reste du pays et développer en priorité la logistique et le transport pour accroître et démultiplier les échanges. C’est urgent.

C’est aussi l’un des buts du Forum « Investir au Mali » qui, organisé par l’Agence pour la Promotion des Investissements (API) se déroulera les 7 et 8 décembre prochaisn à Bamako. En amont de ce rendez-vous important pour notre pays, je lance donc cet appel à tous les hommes d’affaires : « C’est le moment d’investir au Mali ! ».

Pour en savoir plus sur le Forum Investir au Mali : www.foruminvestmali.com

Par Pays

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