Moussa Mara : "Au sujet du Franc CFA, prenons notre responsabilité historique !"
Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali
Conscient que le débat monte et s'envenime en Afrique, Moussa Mara, l'ancien Premier ministre malien, invite les élites africaines à s'emparer de la question. Car, explique-t-il « le statu quo n'est plus tenable ».
Une tribune de Moussa MARA
Le débat sur le Franc CFA enflamme les cercles médiatiques, politiques et intellectuels d’Afrique et de France. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste et les populations africaines commencent à se passionner pour ce dossier. Le FCFA n’est plus seulement un sujet économique, il est devenu très fortement politique et cela est positif. Les élites africaines que nous sommes doivent intégrer cela et accorder la meilleure attention à ce dossier. Nous devons sortir des invectives et savoir nous situer à la hauteur du moment historique que nous vivons.
Ceux qui défendent bec et ongles le FCFA ont raison quand ils insistent sur la stabilité des prix que cette monnaie a permise dans nos pays. Il suffit de voir ce qui se passe au Venezuela ou au Zimbabwe pour mesurer la chance que nous avons de vivre dans des pays à inflation quasi nulle. La convertibilité du FCFA, la connexion qu’il nous facilite avec l’extérieur ainsi que la liberté de transfert des fonds sont favorables au commerce et aux investissements extérieurs. Le choix d’avoir une monnaie forte favorise l’accessibilité des produits importés dont les prix seront plus abordables, ce qui soutient le pouvoir d’achat dans nos villes très friandes d’importations et participe à la stabilité des régimes. Il est aussi vrai que le mythe de la France qui vit sur nos ressources est faux.
La France crée chaque année autant de richesses que l’ensemble du Continent africain. La somme des économies des 15 pays de la zone franc FCFA représente moins de 10% de l’économie française. Il est enfin vrai que le dispositif de gestion du FCFA nous impose la rigueur dans la conduite de la politique monétaire et dans la gestion budgétaire. Les Banques centrales sont autonomes et cela accroît la confiance à nos pays. Le système du FCFA a des atouts indéniables. Autrement, Il n’aurait pas duré autant.
En revanche, il est tout aussi incontestable qu’il présente également des handicaps significatifs pour nos pays. La stabilité des prix des produits importés profite surtout aux habitants des villes, notamment nous les élites qui consommons essentiellement des produits importés. La connexion internationale et la liberté de transfert des ressources profitent aussi et surtout à nous les élites, en particulier ceux d’entre nous qui s’enrichissent de manière illégale et qui transfèrent ainsi l’argent détourné à l’extérieur.
"C'est une question de souveraineté"
La monnaie forte qui rend les importations accessibles, pénalise en même temps nos productions locales, même si la compétitivité ne dépend pas seulement de la monnaie. Nos exportations sont aussi pénalisées et au-delà, les populations rurales productrices de produits de rente comme le coton. La monnaie forte signifie la restriction du crédit, ce qui contraint les investissements productifs et les prises de risques sans lesquels, la croissance durable à laquelle nous aspirons, ne sera pas possible.
En conséquence, il faut reconnaitre que le système du FCFA favorise surtout les élites urbaines de nos pays, ce qui explique que la grande majorité d’entre nous lui soient favorables.
Nous devons néanmoins savoir que le statu quo n’est pas tenable et nos populations ne nous le permettront pas. Elles sont de plus en plus jeunes, urbanisées, connectées, conscientes et surtout vivent mal ! Elles revendiqueront avec une virulence croissante et nous le feront savoir. Elles le feront d’autant plus qu’elles disposeront d’explications simples voire simplistes pour se mobiliser. On sait que les explications les plus commodes sont souvent les plus populaires et le FCFA en offre à profusion !
En plus des arguments objectifs énoncés précédemment, le système CFA traîne le boulet de l’atteinte à notre souveraineté. Les questions monétaires étant aussi et surtout des questions politiques, certaines réalités liées au FCFA passeront de moins en moins et cela est tout à fait compréhensible. Le fait que quinze pays soient placés sous la coupe d’un seul, quel qu’en soit la forme, est bien dérangeant. Pour preuve, cette situation est unique dans le monde !
Les peuples perçoivent cela comme une soumission volontaire et un abandon de souveraineté. Les fonctionnaires français au sein des Conseils d’administration de nos Banques centrales, le dépôt par nos soins de nos réserves de change auprès du Trésor français, la garantie accordée par la France au FCFA, le dépôt de plus de 90% de nos réserves d’or en France, la non convertibilité du FCFA en dehors de son espace constituent des symboles forts de cette dépendance volontaire, d’autant plus difficile à comprendre que nous le défendons et même quelques fois, nous le revendiquons !
"Nous devons évoluer
et le plus tôt sera le mieux"
Nous serons obligés d’évoluer sur cette question et le plus tôt sera le mieux. Sinon, nous risquons de faire face à du populisme triomphant, au point de voir arriver au pouvoir des aventuriers qui pourraient inscrire nos pays dans des trajectoires malheureuses. N’évacuons pas ce risque ! Des pays plus structurés que les nôtres l’ont vécu.
Nous avons donc le choix de décider de la marche à suivre ou de nous la voir imposée à nos dépens. Il n’est plus possible de temporiser.
Évoluons d’abord en acceptant le débat avec les décideurs politiques, les journalistes, les universitaires, les banquiers centraux, les organisations de la société civile…. Il faut cesser de nous toiser, de parler sans nous écouter. Nous devons mettre au placard les tons professoraux et péremptoires et écouter les autres. Il faut ouvrir des cadres de dialogue et de discussion, accepter de nous mettre au niveau du citoyen lambda, accepter la contradiction et les critiques, reconnaitre les insuffisances du système FCFA pour ouvrir les perspectives du changement.
Nous devons revoir fondamentalement notre système monétaire en reprenant totalement notre liberté et l’ensemble de nos marges de manœuvre en la matière. Nous rendrons d’ailleurs le meilleur service à la France car son image est profondément détériorée dans nos pays par le dossier FCFA. En recouvrant notre souveraineté monétaire, on annihilera l’argument commode de la responsabilité principale de la France dans tous nos malheurs. Ce qui permettra à ce pays d’inscrire ses relations avec l’Afrique dans une normalité souhaitée par le Président Macron.
Nous devons nous engager dans cette voie, à nos risques et périls, vers notre destin dont nous devons assumer la paternité de la réalisation. Avec la forte conviction que, quelque fois, c’est en se jetant à l’eau qu’on apprend à nager et c’est quand on sait qu’on ne peut compter sur personne que nous commençons à compter sur nous-mêmes. Les pays de la zone disposent d’atouts non négligeables dans cette perspective. Les élites doivent s’en convaincre. L’idéal est de sauter le pas ensemble. À défaut, on peut envisager une monnaie pour chaque zone et si cela n’était pas possible, deux ou plusieurs pays peuvent s’engager ensemble vers l’autonomie monétaire.
Quelque soit le cas de figure, nous disposons de cadres de haut niveau, de gestionnaires rigoureux et de caractéristiques économiques qui nous permettraient de faire cette transition sans difficulté majeure. Nous avons la responsabilité historique de réaliser ce dessein. Le moment s’y prête et nos populations le méritent.
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