Côte d’Ivoire : Hommage à Charles Koffi Diby, un parcours hors du commun
La Côte d'Ivoire vient de perdre un de ses plus illustres serviteurs, Charles Koffi Diby, président du Conseil économique, social, culturel et environnemental, s'est éteint ce samedi 7 décembre à son domicile à Abidjan.
Charles Koffi Diby s'est éteint samedi 7 décembre à Abidjan à l'âge de 62 ans. Après avoir écrit les plus belles pages de l’économie ivoirienne et fait les beaux jours de la diplomatie ivoirienne, ce grand serviteur de l'Etat présidait depuis 2016 à la destinée du Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec) de son pays et depuis peu à celle de la faitière mondiale. C'était une des personnalités clés de Côte d'Ivoire et du Continent. Nous publions cet entretien exclusif, qu'il nous avait accordé au printemps dernier, en guise d'hommage à un homme qui eut un parcours hors du commun.
Par Clément Yao
Ceux qui ont suivi la trajectoire de ce haut fonctionnaire de l’Etat ivoirien, qui a fait quasiment toute sa carrière dans les régies financières de son pays avant de terminer ministre de l’Economie et des Finances, ne sont guère surpris.
Car il convient de rappeler que Charles Koffi Diby est un winner à toute épreuve. Tout son parcours professionnel a été couronné de succès. Il a ainsi gravi tous les échelons du Trésor public avant d’en devenir le Directeur général sur appel à candidature en 2001. Malheureusement, ce mode de recrutement inédit n’a pas été pérennisé dans un pays où toute nomination est aujourd'hui soupçonnée de népotisme et de favoritisme.
L’homme des missions impossibles
Des personnalités du monde des finances, comme la Directrice générale du FMI, Christine Lagarde, et le célèbre magazine économique britannique, The Financial Times, l’avaient reconnu, quand il était encore en poste, comme l'un des meilleurs ministres de l’Economie et des Finances du Continent et que la Côte d’Ivoire n’ait jamais eus.
Homme des missions impossibles, Charles Koffi Diby a été, en effet, l’artisan des grandes réformes économiques qui ont permis à la Côte d’Ivoire d’atteindre en 2012 le point d’achèvement des Pays pauvres très endettés (PPTE). Et ceci, dans le contexte très particulier de la décennie de crise militaro-politique et de la partition du pays où les ressources de la partie septentrionale (bien pourvue en diamant, or, coton, etc) étaient aux mains de la rébellion qui contrôlait alors 60 % du territoire.
Ce qui constituait inéluctablement un manque à gagner pour l’économie du pays qui souffrait depuis l’an 2000 de la chute des cours mondiaux du café et du cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial. A cette époque, le taux de croissance réel de la Côte d'Ivoire était de - 2,3 % selon la Banque Mondiale. Charles Koffi Diby était déjà à la manœuvre pour redresser la situation économique d'un pays exsangue. D’abord en tant que ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’Economie et des Finances (2005 – 2007), puis ministre de plein exercice à ce même poste jusqu’en 2012, avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères sous les régimes successifs de Laurent Gbagbo puis d’Alassane Ouattara.
Cette initiative, visant à assister les pays les plus pauvres de la planète en rendant leurs dettes internationales acceptables, a permis à la Côte d’Ivoire de bénéficier de 24 % de réduction de sa dette extérieure et de redevenir « un pays crédible » après, tout de même, quatorze années d’efforts et de sacrifices consentis.
C’est pourquoi, dès la nomination de Charles Koffi Diby à la tête du Cesec de Côte d’Ivoire en juin 2016, les Ivoiriens - qui ont parié sur son sens de la responsabilité pour sortir l’institution de sa léthargie profonde - n’ont pas eu tort. Trois ans après, le Cesec a changé de visage et a pris toute sa place de 3ème Assemblée constitutionnelle de la Côte d’Ivoire. Un pari qui n’était pourtant pas gagné d’avance.
Aujourd’hui, l'institution se porte plus que bien. Dès sa prise de fonction, le nouveau président a promis de « faire du Cesec une Chambre consultative forte au service du Président de la République et des populations. » Plus d’un demi-siècle après sa création par la Constitution de 1960, le Conseil économique et social ivoirien est en passe de devenir sans aucun doute la Chambre de la société civile. Une chambre consultative à l’écoute des citoyens et prenant en compte leurs préoccupations, revendications, espoirs et attentes. N’est-ce pas sa mission première ?
Cela semble essentiel dans le contexte actuel, où les tensions sociales ont toujours été à l’origine des maux qui minent la société ivoirienne. A l’instar des deux chambres du Parlement – l’Assemblée nationale et le Sénat – le Cesec a en effet vocation à donner son avis sur les sujets d’intérêt général comme les crises de la représentativité et les conflits de tout genre.
Réinventer le modèle ivoirien
du "Vivre ensemble"
Après les affrontements meurtriers intercommunautaires survenus à l’Ouest du pays et plus récemment en mai dernier à Béoumi, localité du centre de la Côte d’Ivoire, où une simple altercation entre un taxi-moto et un taxi-brousse avait débouché sur une violence généralisée entre autochtones (Baoulé) et allogènes (Malinké), l’Assemblée nationale, le Sénat et le Cesec devraient mutualiser leurs efforts pour réinventer le modèle ivoirien du « Vivre ensemble ». A titre de rappel, ces évènements tragiques avaient causé la mort de dizaines de personnes et fait de nombreux dégâts matériels.
Dans ce même registre, le Cesec devrait aussi continuer de jouer son rôle de Chambre consultative sur des sujets beaucoup plus larges comme récemment lorsqu’il été saisi par l’exécutif pour produire des avis sur des projets de lois relatifs au mariage, à la filiation et à la succession en vue d’améliorer les rapports entre conjoints et de renforcer l’égalité entre hommes et femmes.
Incontestablement, le dynamisme impulsé par Charles Koffi Diby justifie, on ne peut plus, l’utilité de cette 3ème Chambre constitutionnelle, taxée par ses détracteurs de « budgétivore ». Au plan international, l’offensive diplomatique menée par l’équipe dirigeante a redoré l’image de l’institution, à telle enseigne que la Côte d’Ivoire est de retour dans le concert des nations et joue désormais le premier rôle.
A l’initiative de son président, Abidjan avait abrité pour la première fois, au mois de mars 2018, le Conseil d’administration de l’Association internationale des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires (Aicesis) alors que le pays n’avait jamais participé par le passé, en tant que membre, à une quelconque rencontre internationale. Occasion pour les Ivoiriens de montrer ostensiblement aux participants venus des quatre continents le travail abattu et les avancées notables réalisées par Cesec.
"J’ai été élu grâce au soutien de
la France et de mes pairs africains"
Après le succès de la rencontre d’Abidjan, c’est donc en toute logique élective que lors de son Conseil d’administration du 7 mars 2019 à Curaçao (Royaume des Pays Bas), que Charles Koffi Diby a été porté à la tête de l’Aicesis pour un mandat de deux ans. Une victoire rendue possible grâce au soutien de son homologue français, Patrick Bernasconi, et de ses pairs du Continent. « J’ai été élu grâce au soutien de la France et de mes pairs africains qui ont parlé d’une seule et même voix. » C’est donc pour la toute première fois qu’une personnalité issue de l'Afrique subsaharienne occupe la présidence de ladite association.
Une victoire intervenue juste après sa nomination au Comité conjoint d’examen des rémunérations des Administrateurs Exécutifs du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale (JCR). Un comité comptant en son sein d’illustres personnalités comme l’ancien Gouverneur de la Banque de Finlande, Erkki Liikanen, et présidé par le ministre fidjien de l’Economie et des Finances, Aiyaz Sayed-Khaiyum qui assure par ailleurs la présidence des Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale pour l’année 2019. Une telle reconnaissance de ses pairs, ce n’est pas rien !
Le nouveau président de l’Aicesis place son mandat sous le double signe de l’espoir et du renouveau. « Mes pairs ont placé beaucoup d’espoir en ma personne pour sortir l’association de sa longue léthargie. Je suis attendu sur plusieurs dossiers et des résultats concrets », confie-t-il. Au vu des nombreux défis, il promet de transformer l’Aicesis en une association attractive, crédible dans laquelle les membres trouveraient leurs comptes. « Je ferai en sorte que chaque membre se rende compte de l’avantage et de la chance d’appartenir à une association comme la nôtre », justifie-t-il.
Le président mondial de l’Aicesis veut imprimer sa marque. Et il veut pour cela « intensifier l’existence de bonnes pratiques, le dialogue social, une démocratie participative, contribuer à asseoir la paix dans nos pays respectifs, favoriser le financement pour le développement, lutter contre la précarité, l’immigration. »
Autre ambition affichée par le nouveau président, c’est de faire de l’association « un régulateur de tensions sociales capable d’anticiper les crises dans le but d’aider les gouvernants ». A cet effet, l’Aicesis veut œuvrer à « une démocratie participative, être très utile à nos gouvernements en leur faisant des propositions concrètes qui puissent les orienter et les aider à poursuivre la politique publique. » Il en conclut que « la faitière mondiale doit être à l’écoute de ceux qui n’ont pas droit à la parole afin de faire des propositions pertinentes à nos dirigeants. »
Avant sa prise de fonction effective en octobre 2019, Charles Koffi Diby avait multiplié les consultations auprès de ses pairs afin d’en tirer les meilleures expériences et de s’assurer du soutien de tous à son Plan stratégique de développement. La France, par la voix de la vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental, Mme Carole Couvert, assurait alors le président du Cesec de Côte d’Ivoire de son soutien et de sa disponibilité au nom de la convention de coopération que les deux institutions sœurs ont signée. Une coopération jugée bénéfique pour la partie ivoirienne dont le personnel a bénéficié de stages d’imprégnation et de perfectionnement au siège du Cese français à Paris.
Dans le cadre de son mandat, le nouveau président mondial de l’Aicesis voulait surtout rester attaché à la mission première de l’association : celle d’aider les pays ne disposant pas encore de Conseils économiques et sociaux à les mettre en place.
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