Côte d’Ivoire : Le RHDP mobilise en Europe pour légitimer le « 3ème mandat » de Ouattara

Côte d’Ivoire : Le RHDP mobilise en Europe pour légitimer le « 3ème mandat » de Ouattara

Lanciné Diaby, Directeur exécutif adjoint chargé des militants de l’extérieur du RHDP au meeting à la Place de la République à Paris 


Après Paris, la vague « Orange » du parti au pouvoir s’est déplacée ce week-end à Bruxelles, où les partisans d'Alassane Ouattara ont manifesté en faveur de sa candidature. Si le RHDP semble remporter la bataille de la mobilisation, l'opposition ivoirienne est en passe de gagner celle de l'opinion.

Par Clément Yao 

La bataille de la mobilisation entre le parti au pouvoir, le Rassemblement des Houphouëtistes pour le Développement et la Paix (RHDP), et l’opposition ivoirienne, bat son plein en France, en Europe et ailleurs, où la diaspora ivoirienne est fortement bien représentée. La capitale française a été le point départ de cette démonstration de force du parti au pouvoir.

Le 22 août dernier, les partisans du président sortant Alassane Ouattara, dont le 3ème mandat est ouvertement contesté par ses opposants et la société civile, avaient pris d’assaut la grande Place de la République (dans le 10ème arrondissement de Paris), totalement remplie et noir de monde, ce jour-là. Après cette mobilisation populaire inédite, cap a été mis ce samedi 29 août sur Bruxelles, la capitale européenne où l’équipe de Lanciné Diaby, Directeur exécutif adjoint chargé des militants de l’extérieur (DEAME), a encore battu le record de la mobilisation de la diaspora ivoirienne devant le siège de la Commission européenne. Une institution qui pourtant ne légifère pas dans les affaires internes de la Côte d’Ivoire. Mais, le symbolisme du lieu choisi en valait, peut-être, la peine.

  Lors de ces deux événements, le même message : faire entendre aux Européens et au monde que « Alassane Ouattara est le choix de la Côte d’Ivoire » et qu’il est autorisé par la Constitution ivoirienne à rempiler pour un troisième quinquennat.

Mais, sur ce terrain de la mobilisation, le RHDP n’est pas la seule formation politique à battre le pavé. Il est pris à contre-pied par la Coalition pour la démocratie, la réconciliation et la paix (CDRP) qui regroupe les partis d’opposition ivoiriens les plus significatifs. Elle aussi organise presque concomitamment des marches de contestation dans les rues de Paris et dans bien des capitales occidentales pour dire « Non » à ce troisième mandat « illégal et anticonstitutionnel. »

Bien évidemment, le message du RHDP consistant à donner un blanc-seing au bilan du Président Ouattara et à le faire passer pour le « candidat du peuple » respectueux de la nouvelle Constitution de 2016, qui aurait « remis les compteurs à zéro » selon les commentateurs proches du pouvoir, est brouillé par le message contestataire de l’opposition ivoirienne. S'appuyant sur l'avis éclairé et argumenté des meilleurs juristes et constitutionnalistes du pays, elle organise depuis plusieurs semaines une vaste campagne sur le thème « Non au 3ème mandat ! ».

L'ONU appelle à « des élections inclusives »

Avec les importants moyens financiers et matériels dont dispose le parti au pouvoir, la bataille de la mobilisation semble incontestablement, pour l’heure, remportée par le RHDP. Mais là n’est pas l’essentiel de cette bataille de l’opinion. Celle-ci se trouve dans la perception et la compréhension que se fait la communauté internationale de l'inquiétante crise pré-électorale ivoirienne.

Or, l’opposition ivoirienne semble bel et bien avoir remporté la bataille de l’opinion. Les recommandations du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui en appelle à « une élection inclusive et une enquête indépendante sur les morts » tombés lors des marches pacifiques de l’opposition.

La déclaration de l’ambassade des Etats-Unis à Abidjan, en date du 25 août appelant à « des élections libres, transparentes et inclusives » et rappelant que « la répression et l'intimidation n'ont pas de place en démocratie », comme le rapport d'Amnesty international en date du 28 août sur les violations des droits de l’homme, l'interdiction des manifestations et les arrestations arbitraires en Côte d’Ivoire ont fait mouche et ont eu un large écho sur la scène internationale. 

Beaucoup d’observateurs de la scène politique africaine, notamment dans les milieux de la presse où la grille de lecture se veut indépendante et sans parti pris, s’interrogent désormais ouvertement sur l’opportunité de ce 3ème mandat du président Ouattara qui divise les Ivoiriens - c'est une évidence – et a déjà remis le feu aux poudres.

Un des observateurs faisait remarquer que quelles que soient les raisons avancées par le pouvoir ivoirien pour justifier ce troisième mandat, il aura bien du mal à convaincre les Européens, très attachés au respect de leurs Constitutions et aux lois dont ils se sont dotées. Modifier une Constitution au gré de ses intérêts, juste pour se maintenir au pouvoir, est clairement inacceptable.

Ces observateurs avertis sont outrés et ulcérés par « ces mises en scène à la Poutine » qui brisent tout espoir de voir une vraie démocratie s’instaurer en Côte d’Ivoire et d’autres pays africains. Avec l’avènement du président Ouattara, la Côte d’Ivoire avait pourtant nourri beaucoup d’espoir dans les milieux d’affaires et les milieux diplomatiques. Le pays était perçu comme un modèle de réussite après plus d’une décennie de crise. Le président Ouattara bénéficiait encore tout récemment d’un certain crédit de confiance et de respect de ses pairs occidentaux. Mais, hélas, il est en train de tout gâcher !

L’actualité ivoirenne très inquiétante de ces derniers jours est ressentie comme une grande déception après tous les efforts et sacrifices consentis à la Côte d'Ivoire pour en faire un modèle d’alternance démocratique réussi en Afrique.

Les prémices d'une « guerre civile » sont déjà visibles

Ceux-là refusent de croire que l’Afrique est un monde à part, où l’actualité ne serait faite que de coups d’Etat, de guerres civiles, de génocides, de violations des droits de l’homme et des libertés, d'arrestations arbitraires, d'enlèvements et d'assassinats... En résumé, que de catastrophes !

A l’opposé, il y a ces « afro-pessimistes » dont les idées préconçues sur l’Afrique frisent, à la limite, le racisme. Ceux-là pensent qu’« avec l’Afrique, il n’y a plus d’espoir » et soutiennent qu’il faut laisser les Africains inventer leur propre modèle de démocratie. « Qu’il y ait des guerres ou pas, cela nous ne nous regarde pas. Ne nous mèlons plus de leurs problèmes parce que nous avons les nôtres. Qu’ils se débrouillent, tout seul, comme de grands peuples matures et capables de se prendre en charge sans notre aide ». Telle est la quintessence des nombreux messages lus sur les réseaux sociaux et les plateformes de discussions chaque fois que la France ou les Occidentaux accourent au chevet de l’Afrique pour lui venir en aide alors que ses propres dirigeants sont à l’origine de tout le mal qui est dit sur ce Continent.

Pour revenir au cas de la Côte d’Ivoire, n’eût été l’intervention de la France, d’abord en 2002 pour stopper une rébellion qui voulait en découdre avec le pouvoir de Laurent Gbagbo, ensuite lors de la crise post-électorale de 2010-2011, pour mettre fin au bicéphalisme du pouvoir au détriment du camp Gbagbo, et installer de force Ouattara dans le fauteuil présidentiel, ce pays serait aujourd'hui plongé dans un chaos total.

Or, tout porte à croire que les Ivoiriens, à commencer par le régime Ouattara qui a largement bénéficié du soutien aveugle de la communauté internationale, n’ont pas tiré les leçons des évènements bouleversants du passé.

L'actuelle crise pré-électorale laisse à penser qu’une fois de plus la France est sollicitée pour arbitrer les dissentions entre pouvoir et opposition et peser de tout son poids diplomatique pour éviter à la Côte d’Ivoire une véritable « guerre civile » dont les prémices sont malheureusement bien visibles.

Clément Yao

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