Edoh Kossi Amenounve, DG de la BVRM : "Détenir des actifs sur notre bourse, c'est miser sur la croissance de l'Afrique"

Edoh Kossi Amenounve, DG de la BVRM :

Edoh Kossi Amenounve, Directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BVRM) dont le siège se trouve à Abidjan en Côte d'Ivoire. 


Directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BVRM), ce brillant économiste togolais est en poste à Abidjan depuis 2012. De passage à Paris, à l'invitation du Club Afrique de la Presse parisienne, Edoh Kossi Amenounve fait le point sur cette place financière dont il a assuré la renaissance dans la zone UEMOA. Entretien.

Propos recueillis par Bruno Fanucchi 

Vous êtes en poste à Abidjan à la tête d'une bourse à vocation régionale ?

Edoh Kossi Amenounve :

La BRVM est effectivement la première et la seule véritable bourse régionale au niveau mondial et elle fonctionne de façon parfaitement intégrée pour tous ceux qui appartiennent à l'espace communautaire des huit pays de l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). C'est une expérience posée qui a peut-être soulevée quelque scepticisme, mais une expérience réussie ! Car aujourd'hui, c'est une bourse qui appartient à plusieurs pays et qui fonctionne sans barrières parculières pour ces mouvements de titres et de capitaux. C'est un espace totalement intégré où, que vous soyez Togolais, Béninois ou Nigérien, vous avez les mêmes droits en termes d'investissements que l'Ivoirien, le Burkinabè ou le Malien. Cela traduit bien le besoin d'avoir une intégration pour ces pays qui ont une communauté de destin. C'est une belle construction et nous avons pu hisser notre bourse à la 6ème place sur le Continent avec 4.000 milliards d'obligations et 46 sociétés côtées.

Quels sont ces principaux atouts ?

Le premier atout, c'est d'être sur un espace beaucoup plus large que celui d'un seul pays. Le deuxième, c'est qu'il y a des opportunités que l'on peut saisir dans plusieurs pays : c'est un volet extrêmement important et une originalité que l'on ne peut pas ignorer.

Avoir une bourse régionale, c'est une bourse qui couvre plusieurs pays avec les sociétés de ces différents pays côtés sur la même plateforme et cela entraîne une diversification intrinsèque automatique de portefeuilles. Un investisseur qui vient par exemple sur notre bourse peut détenir des titres en Côte d'ivoire, au Burkina, au Togo, au Mali en même temps dans des sceteurs d'activités différents et il n'est donc pas exposé à l'évolution économique ou politique d'un seul pays. C'est un avantage extrêmement important. C'est, de sucroît, une bourse qui est bâtie sur des économies en forte croissance aujourd'hui avec un taux mouen qui va au-delà de 6 % et des prévisions encore très optimistes. Détenir des actifs sur une telle bourse, sur le long terme, c'est miser sur la croissance et une rentabilité future qui sera au rendez-vous.

"L'Afrique ne semble pas être la priorité

des investisseurs français, c'est paradoxal !"

C'est une bourse régionale pour les huit pays de l'UEMOA, mais qui veut s'élargir aux quinze pays membres de la CEDEAO...

Nous voulons, en effet, dupliquer ce modèle à l'échelle du Continent pour qu'il n'y ait plus de frontières pour le marché des capitaux et obtenir ainsi la « taille critique » pour soutenir la concurrence avec l'Asie.

On était parti avec le même agenda que la monnaie commune, à l'horizon 2020. Notre conviction c'est que si on arrive à accélérer notre processus d'intégration sur les aspects qui nous semblent être le plus importants et pour lesquels il y a beaucoup de travail à faire, notamment le volet réglementaire et le volet règlement-livraison, le dénouement des transactions et surtout l'intégration bancaire pour pouvoir faciliter les mouvements de capitaux, on s'est dit que si on a une monnaie unique ce sera encore plus facile car les titres seront cotés dans la même monnaie.

Nous avons pris de l'avance et avons beaucoup évolué sur les aspects de réflexions sur le cadre réglementaire et sur les aspects technologiques. Aujourd'hui, ce n'est plus un enjeu de pouvoir connecter des bourses, ce n'est plus un problème.

Votre but sous-jacent, n'est-ce pas une plus grande intégration régionale pour créer des emplois ?

Absolument. D'autant plus que l'UEMOA n'est en realité qu'un sous-ensemble de la CEDEAO, qui n'est pas une invention nouvelle : cela fait plus de 40 ans que les Etats de la CEDEAO ont décidé d'avoir un espace économique commun. Le traité de la CEDEAO avait déjà prévu la mise en place d'un marché financier commun pour tous ces pays membres. C'est donc dans la logique du renforcement de la construction régionale. Comme on voit pas mal d'opérateurs économiques nigérians venir en Côte d'Ivoire et vice-versa et qu'il en va de même par exemple avec le Bénin ou le Ghana, on a déjà une intégration économique qui se renforce et doit être accompagnée d'une intégration financière et d'une intégration des marchés.

Comment expliquez-vous la frilosité des investisseurs européens en général, et français en particulier, en Afrique ?

L'Afrique ne semble pas être leur priorité et c'est paradoxal car ils connaissent mieux l'Afrique que les autres. Ils ont des actifs en Afrique et ce sont leurs actifs, les actifs de leurs filiales en Afrique, qui sont côtés, mais ils sont frileux d'investir en portefeuilles en Afrique. C'est assez paradoxal alors que les Américains et, dans une certaine mesure, les Anglais, sont plus prompts à venir acheter des actions sur les bourses africaines. Chez nous, une bourse francophone, 30 % des transactions sont faites par les Américains ! C'est assez bizarre et curieux. Cela nécessite que nous puissions renforcer le dialogue entre les investisseurs institutionnels européens et nous, que l'on trouve les occasions de leur parler et de comprendre aussi leurs préoccupations pour développer cette relation.

Quand on se connaît trop bien, on a du mal à travailler ensemble ?

Dans certains cas, peut-être... Au côté des entrepises europénnes implantées en Afrique, il y a des entreprises africaines à capitaux africains qui accompagnent et jouent un rôle extrêmement important aussi dans nos économies. Si les entrepreneurs européens ont un intérêt grandissant en investissements directs étrangers, pourquoi n'aurait-il pas d'intérêts en investissements en portefeuilles ? On voit bien que les Européens, dans une certaine mesure, aiment bien venir acheter ou créer des entreprises en Afrique, en apportant des capitaux. Mais quand ces entreprises sont côtées ou privatisées, on voit que les institutionnels, les assureurs, les fonds de pension n'achètent pas les actions de ces entreprises là... C'est le paradoxe. C'est cela que nous essayons de leur expliquer. Si vous voyez que c'est bon pour vous de venir acheter directement, cela veut dire que l'investissement est justifié et rentable. Pourquoi quand on ouvre le capital de ces mêmes entreprises au public, pourquoi vos investisseurs institutionnels ne viennent-ils pas acheter ?

"L'économie togolaise est de plus

en plus ouverte sur l'international"

Que pensez-vous de l'actuel débat sur le Francs CFA ?

C'est un débat passionnant qui est en cours et que je suis très attentivement. Il y a des thèses, des antithèses et, pour l'instant, pas de synthèse car il n'y a pas encore une solution qui vienne mettre fin au débat. Notre conviction à nous, c'est qu'une économie qui veut se développer a besoin d'épargne et d'investissements. Pour ce qui nous concerne, nous les marchés de capitaux, nous mettons l'accent sur le développement de l'épargne locale, la canalisation de l'épargne et la transmission de cette épargne là vers des investissements productifs et créateurs d'emplois dans nos économies. Chacun fait son travail. Nous, on a choisi, et moi particulièrement, d'être sur l'axe de développement qui consiste à créer des instruments qui permettent de prendre et réorienter l'épargne vers les investissements en infrastructures et vers les investissements du secteur privé par des émissions d'Etat ou par l'augmentation de capital et la côtation des entreprises. C'est un choix, c'est notre contribution. On arrive à le faire : il y a des Etats qui arrivent à lever des ressources et qui contribuent à l'évolution de notre taux de croissance. Il y a des entreprises du secteur privé qui viennent à la bourse, lèvent des capitaux et créent de la richesse et de l'emploi.

Vous faites votre job et vous laissez donc le débat monétariste à d'autres ?

Non. On est un acteur économique important et l'on ne peut pas laisser le débat en affirmant que l'on n'est pas concerné. Ce n'est pas cela que je veux dire, mais je veux simplement souligner qu'il y a plusieurs instruments qui doivent être actionnés pour atteindre l'objectif final et global du développement économique. Certains mettent l'accent sur la monaie, d'autres mettent l'accent sur d'autres instruments car la monnaie est un catalyseur mais n'est pas le seul élément déterminant pour réguler les choix économiques que l'on fait.

Comme vous êtes une personnalité togolaise, quelles sont pour vous les priorités de l'économie du Togo ?

L'économie togolaise est en plein restructuration, plusieurs indicateurs le montrent. C'est une économie qui affiche un taux de croissance assez intéressant, une économie de plus en plus portée par des efforts extrêmement importants pour l'amélioration du climat des affaires, une économie de plus en plus ouverte sur la sous-région et sur l'international avec l'organisation par exemple du premier Forum économique Togo-Union européenne qui s'est déroulé en juin à Lomé, avec un Plan national de développement (PND) qui a été adopté et trace la voie des priorités sur lesquelles l'Etat togolais veut mettre l'accent pour accélérer la croissance et le développement. Il y a donc un cadre qui est en place pour que cette économie soit de plus en plus dynamique.

Notre souhait, c'est que l'économie togolaise arrive à des performances intéressantes pour le Togo et pour la sous-région. Que ces performances soient créatrices de richesse à l'intérieur du pays, une richesse qui rejaillit sur l'ensemble de la population, qui permette justement de réduire la pauvreté et surtout d'améliorer la vie quotidienne de la population togolaise. Que le Togo puisse ainsi compter de plus en plus dans la sous-région comme une économie centrale et joue pleinement son rôle au côté des autres nations de notre espace commun.

Pour en savoir plus : www.brvm.org

Bruno Fanucchi

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