Présidentielle 2020 en Côte d'Ivoire : Le RHDP a-t-il vraiment « géré et bouclé » l’affaire ?

Présidentielle 2020 en Côte d'Ivoire : Le RHDP a-t-il vraiment « géré et bouclé » l’affaire ?

Contrairement à ce que veut faire croire le président Alassane Ouattara et ce qu'affirment certains acteurs de la classe politique ivoirienne, l'élection présidentielle d'octobre 2020 est loin d'être jouée. En raison des renversements d'alliances politiques, sa succession reste ouverte. Reportage à Abidjan.

Par Eugène Yobouet

Les porte-voix du rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), en ont fait un mantra : « 2020, c’est géré, c’est bouclé ». Une manière de dire à leurs adversaires que  l’élection présidentielle de 2020 ne sera qu’une simple formalité pour eux. Mais ces certitudes affichées recoupent-elles les réalités du terrain ?

Certes, les indices sont encore de faible intensité, mais les faits sont là. Charles Diby Koffi, Robert Beugré Mambé et autres Jeannot Ahoussou Kouadio qui avaient choisi sans trop sourciller le RHDP sont en train de nuancer leurs certitudes et de revenir à pas comptés vers le PDCI. Pas encore une révolution, ni un changement radical de la donne politique, mais le penchant naturel des politiques pour « voler au secours… de la victoire » serait-il d’ores et déjà à l’œuvre ?

Nul doute que les caciques du pouvoir traitent pour l’instant ces revirements comme quantité négligeable. La sortie tonitruante d'Hamed Bakayoko, ministre d’Etat, ministre de la Défense, est toujours de mise. « A ceux qui sont encore dans des ambitions personnelles, qui veulent être président coûte que coûte quel que soit ce que ça coûte au pays, quel que soit le sang versé, allez leur dire – avait lancé le ministre - que 2020 c’est déjà  calé, c’est bouclé, 2020, c’est déjà géré, ils devront passer après peut être en 2025 ou 2030 ».

De fait, les partisans du pouvoir en place font preuve d’une très grande assurance. Tout d’abord, parce que le bilan d’Alassane Ouattara semble incontestable. « Depuis notre accession au pouvoir, disait le Président de la République en août dernier sur la RTI, nous avons doublé tous les indices économiques ». Et le premier ministre Amadou Gon Coulibaly confirme. Pour lui, tous les secteurs de la vie en Côte d’Ivoire ont connu des améliorations depuis l’avènement au pouvoir d’Alassane Ouattara. « Santé, protection sociale, accès et maintien à l’école, logement, énergie, transports, emploi, sécurité alimentaire ont été quelques-unes des grandes priorités du Programme Social du Gouvernement. Nous nous sommes tous mobilisés et engagés derrière le Président de la République pour faire franchir à notre beau pays les frontières de l’émergence, synonyme de bien-être partagé et d’amélioration des conditions de vie de tous les Ivoiriens », confie le chef du gouvernement ivoirien sur son compte tweeter.

Un vibrant appel à la réconciliation nationale

Nul doute que le RHDP dispose bien de tout l’appareil de l’Etat, ce qui permet de prendre toutes les dispositions pour mettre le maximum de chances de son côté. Il contrôle en effet l’ensemble des structures en charge des élections en Côte d’Ivoire, avec l’adoption d’une loi sur la recomposition de la Commission électorale indépendante (CEI), chargée de la présidentielle de 2020. Il maîtrise aussi le Conseil constitutionnel.

Mais tout cela suffira-t-il à garantir une victoire au Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix en 2020 ? « Non, nuance Adama Bictogo, directeur exécutif dudit parti. Beaucoup a été fait par le gouvernement. Mais nous savons que les Ivoiriens attendent encore un peu plus, donc nous allons aller les écouter. »

L’histoire politique enseigne de fait qu’un bon bilan ne fait pas forcément une élection gagnée d’avance. Le pouvoir en est conscient, d’autant que la Côte d’Ivoire demeure encore profondément divisée.Les plaies de 2010 ne sont pas réellement cicatrisées. La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), mise en place par le Président Ouattara dès sa prise de pouvoir en mai 2011, n’a pas donné les résultats escomptés.

Président de cette institution, Charles Konan Banny et ses amis n’ont pas su ou pu engager un vrai mouvement de réconciliation. C’est bien sur cet échec que mise désormais l’opposition ivoirienne. Dans le communiqué qui a sanctionné leur rencontre à Bruxelles le 29 juillet dernier, « les présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbgabo ont lancé un vibrant appel à tous les partis politiques, aux associations, à toutes les organisations de la société civile et à toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire, à s’engager résolument dans la voie de la Réconciliation nationale pour asseoir une paix sociale durable et définitive. » Les deux leaders politiques ont compris que le talon d’Achille de l’actuelle majorité était bien là. L’aspiration de tous les Ivoiriens à la réconciliation et à la paix est toujours aussi forte et l’opposition compte bien jouer sur cette corde là.

Guillaume Soro en embuscade

L’autre inquiétude du pouvoir pourrait avoir pour nom Guillaume Soro. Ancien chef rebelle, il prône aujourd’hui, lui aussi, la paix et la réconciliation entre tous les Ivoiriens. Mais sous le discours pacificateur se cache d’autres inquiétudes, sérieuses pour le coup.  Selon un rapport des Nations Unies, Guillaume Soro détiendrait un véritable arsenal qui serait estimée à 300 tonnes d’armes et de munitions, mais ces informations n'ont cependant jamais été vérifiées pour être prises en compte de manière crédible. Un problème qui s’ajoute aux contacts et solidarités effectives que l’ex-chef rebelle, qui préside aujourd'hui le Comité politique et ne cache pas ses ambitions présidentielles, compte toujours au sein des Forces républicaines de Côte d’Ivoire.

Certes les opposants à Alassane Ouattara n’ont pas encore fait montre d’une grande capacité à unir leurs forces. Mais le danger pour le pouvoir actuel n’est pas négligeable. Si la plateforme de l’opposition initiée par Henri Konan Bédié peine à exister nul doute que l’arithmétique soit en faveur d’un rassemblement PDCI-FPI et soroïstes… Sans compter le soutien de partis comme le LIDER  de Mamadou Koulibaly et la Nouvelle République de Gnamien Konan et les 23 autres partis qui ont rejoint la plateforme de Bédié.

Le RHDP serait-il ainsi plus menacé qu’il ne veut l’admettre ? Les hésitations quant à la personnalité qui pourrait porter ses couleurs au cours de la compagne présidentielle en témoignent probablement. Le destin d’une nation n’est jamais écrit à l’avance, Alassane Ouattara et les siens en sont parfaitement conscients. Prétendre que tout soit joué et calé pourrait même s’avérer comme une sérieuse erreur de communication à l’heure du bilan.

Eugène Yobouet, correspondant permanent à Abidjan (Côte d'Ivoire)

Par Pays

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