Abdulhadi Ibrahim Lahweeej, Ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire élu du parlement libyen : "L’Union Africaine ne doit pas se ranger derrière un gouvernement de milices"

Abdulhadi Ibrahim Lahweeej, Ministre des Affaires étrangères  du gouvernement intérimaire élu du parlement libyen :

Abdulhadi Ibrahim Lahweeej, Ministre des Affaires étrangères  du gouvernement intérimaire élu du parlement libyen 


En mission à Paris en prélude à la conférence de Berlin, le chef de la diplomatie de la partie de la Libye contrôlée par le général Haftar, Abdulhadi Ibrahim Lahweej, ne cache pas sa déception de voir son pays s’enliser dans la crise. Pour lui, la solution devrait venir des Africains et non des Européens. 

Propos recueillis par Clément Yao 

Dans quel cadre se situe votre visite à Paris ?

Abdulhadi Ibrahim Lahweej :

Je suis venu à Paris pour clarifier la crise libyenne qui, à mon sens, est mal comprise par la communauté internationale. En ma qualité de ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire élu du parlement libyen, ma mission est non seulement de faire la lumière sur ce qui se passe réellement en Libye pour que la vérité soit connue, mais aussi de nouer de solides contacts avec le gouvernement français, des responsables politiques et des parlementaires.

Quelle est votre vérité sur la crise libyenne ?

La vérité est que la crise libyenne n’est ni un problème politique ni un problème de gouvernance du pays, mais un problème de sécurité. Le problème libyen se résume à la circulation illégale des armes de guerre et aux exactions des milices qui pullulent dans le pays. Quand nous en aurons fini avec ce problème sécuritaire, croyez-moi, nous allons stabiliser et pacifier le pays. La sécurité et le retour à la paix sont les conditions préalables pour arriver au dialogue politique que nous appelons de tous nos vœux. De toute évidence, nous ne pourrons pas aller au dialogue, à la démocratie dans un tel chaos. Pour moi, il y a des priorités non négociables. La première des priorités, c’est tout d’abord la question de la sécurité, ensuite le désarmement et la démobilisation des milices qui doivent être opérés par un Etat souverain. C’est la seule condition pour en arriver à un dialogue politique et une réconciliation nationale effective. 

"Nous combattons des bandes armées

terroristes qui ont fait allégeance à Daech" 

Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu et compris par les autorités françaises que vous avez rencontrées ?

Oui, j’ai le sentiment d’avoir été écouté et même compris ! Lors de mes audiences avec différentes personnalités politiques de tout bord, j’ai eu le sentiment qu’il y a un changement positif dans la compréhension de la crise libyenne. Ce qui n’était pas le cas avant. La France est un des pays importants, il fallait donc conduire cette mission d’explication dans ce pays de liberté, des droits de l’Homme et de grande démocratie.

Comment le dialogue politique et la sécurité sont-ils possibles si vos troupes de l’Armée nationale libyenne (ALN) continuent les combats contre les forces du Gouvernement d’Union nationale (GNA) pour prendre le contrôle de la capitale, Tripoli ?

Je voudrais vous inviter à faire la différence entre un Gouvernement légitime qui a une armée nationale régulière et des milices, hors-la-loi, qui créent la désolation et le désordre dans le pays. En réalité, ces milices ont été constituées par certain de ceux que nous avons combattus et qui avaient pris la fuite. Nous combattons donc des bandes armées terroristes qui ont fait allégeance à Daech, qui veulent faire partie de la vie politique libyenne. Nous n’avons aucun problème avec nos familles à Tripoli. Nous savons que la solution à la crise libyenne n’est pas que militaire. Nous ne voulons pas non plus d’un gouvernement militaire à la tête de la Libye. Notre but est de préparer l’environnement pour instaurer un Etat de droit en Libye et créer les conditions idoines pour organiser des élections démocratiques, libres, transparentes et inclusives.

"Nous ne pouvons pas aller au dialogue

avec des gens armés. Ce n’est pas possible"

Avec qui comptez-vous mener ce dialogue ?

Une fois débarrassés des milices, nous irons au dialogue avec les forces politiques civiles. Encore une fois, je vous répète que la crise libyenne n’est pas une crise politique, mais sécuritaire. Quand on en aura fini avec les terroristes, nous irons au dialogue dans une Libye apaisée et en paix sans le crépitement des armes. Nous ne pouvons pas aller au dialogue avec des gens armés. Ce n’est pas possible.

Quelle est la nature du soutien que vous demandez à la France et à la communauté internationale ?

Pendant toute ma tournée, j’ai fait comprendre à mes interlocuteurs que nous n’avons pas besoin d’un quelconque soutien militaire, mais plutôt de soutien politique et diplomatique pour sortir la Libye du chaos. Nous avons une armée solide qui mène une bataille juste et nécessaire. Le peuple est avec notre armée parce qu’il n’en peut plus de toutes ces années de guerres civiles meurtrières et d’exactions. Le peuple libyen a assez souffert des affres de la guerre, des meurtres, des attentats terroristes, des assassinats ciblés comme celui de cette avocate décapitée à son domicile par des terroristes sous les yeux de ses enfants après son passage sur les antennes d’une chaîne libyenne et dont le mari a été enlevé et porté disparu depuis ce tragique évènement. Ces exécutions extrajudiciaires et enlèvements font malheureusement partie du quotidien des Libyens. Le terrorisme n’a plus de frontières, comme vous le savez. Des attentats ont été commis sur le territoire français et nous sommes solidaires des familles des victimes. Mais comprenez que les attentats comme ceux commis par exemple au Bataclan, à Charly Hebdo et bien d’autres endroits en France, en Libye, cela fait partie du quotidien des populations depuis maintenant de nombreuses années.

Pensez-vous que la fin de la crise libyenne mettra un terme à la prolifération des armes et au terrorisme dans la bande sahélo-saharienne ?  

Il y a effectivement un lien direct entre la crise libyenne et la montée en puissance du terrorisme dans le Sahel et la déstabilisation de certains Etats dans cette bande. Toutes ces armes en circulation et entre les mains des groupes armés terroristes au Tchad, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie, sont fournies par les milices libyennes que nous combattons. Quand nous en aurons fini avec elles et contrôleront l’ensemble du territoire, ces groupes terroristes disparaîtront. Je vous en donne l’assurance.

Quel est le niveau d’implication des dirigeants africains et de l’Union Africaine dans la résolution de la crise libyenne qui semble être, selon vos explications, à l’origine de tout le mal que vivent les Etats sahélo-sahariens ? 

Il y a heureusement une poignée de dirigeants africains qui croient que la résolution de la crise libyenne mettra fin au terrorisme dans le Sahel. J’avais invité le président de la Commission de l’Union Africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, après sa réception à Tripoli. Il avait eu l’occasion de rencontrer notre chef du gouvernement, le président du Parlement, le chef des armées et différentes personnalités pour se faire sa propre opinion. Au sortir de ces rencontres, il avait déclaré clairement que nous disposions d’un gouvernement et que, dans le camp adverse, il n’y a que des milices. Il m’a tenu la main et m’a dit : « Protégez votre pays et faite attention ». Bien sûr, je reconnais que l’Union Africaine n’a pas le pouvoir d’imposer la paix en Libye.

"L’Union Africaine ne peut pas rester

passive et spectatrice du drame libyen"

En tous les cas, elle a son mot à dire et a un rôle à jouer dans la crise libyenne. Elle ne peut pas rester passive et spectatrice du drame libyen sans rien faire. J’avais rencontré le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, au Sommet Russie-Afrique ainsi que le chef de l’Etat congolais, Denis Sassou Nguesso, qui préside le Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye. A ces deux dirigeants, j’ai dit que nous n’avons pas besoin que de votre solidarité, mais bien plus. Nous avons besoin que vous nous aidiez concrètement.

Quelle est la nature de cette aide ?

Comme je l’ai dit tantôt, nous avons besoin de l’aide politique et diplomatique de l’Afrique. L’UA ne doit pas se ranger derrière un gouvernement qui soutient des milices à l’origine des exactions en Libye et de tout le mal que vivent les Etats voisins du Sahel.

Avez-vous partagé votre avis sur la question sécuritaire avec les dirigeants du G5 Sahel ou du moins avec son président en exercice, le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré ?

Non. Cependant je crois tout simplement que l’Afrique peut et doit jouer un rôle important dans la résolution de la crise libyenne. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous multiplions les contacts avec les dirigeants du Continent, les chancelleries et accordons la primeur de nos interventions aux médias africains.

Pensez-vous que la fin de la crise libyenne va juguler l’immigration illégale ?

Il est certain que le problème se résoudra avec la fin de la crise libyenne. C’est pour cette raison que les dirigeants africains et l’UA doivent s’impliquer davantage à nos côtés. Il est vrai que le territoire libyen est devenu la zone de transit des immigrés et des trafics de tout genre. Nous ne pouvons pas non plus continuer à être les policiers de l’Europe pour freiner le phénomène. L’époque de la colonisation est révolue. La solution doit venir des Africains, eux-mêmes. Nous savons tous que la question de l’immigration est liée au développement et à la stabilité de nos Etats. Si nous avons une Afrique forte et des Etats stables, tous ces phénomènes disparaitront. Regarder l’Afrique du sud, le Rwanda, la Tunisie, le Maroc ou encore l’Algérie, tous ces pays sont passés par de graves crises avant de connaître une stabilité et un développement enviés. J’en conclus que l’Afrique peut être un exemple pour le monde entier et cela est possible si les Africains s’unissent pour une cause commune. 

Clément Yao

COMMENTAIRES