Papa Amadou Sarr (Ministre-délégué à la Présidence) : "Notre objectif au Sénégal est d'accompagner 100.000 bénéficiaires et de créer 10.000 emplois en 2020"

Papa Amadou Sarr (Ministre-délégué à la Présidence) :

Papa Amadou Sarr, ministre-délégué à la Présidence sénégalaise (Photo : @Frédéric Reglain)


Proche collaborateur du Président Macky Sall, Papa Amadou Sarr est aujourd'hui à la tête de la DER (Délégation générale à l'Entrepreneuriat Rapide des femmes et des jeunes) auprès de la Présidence de la République du Sénégal. Il explique, ici, comment fonctionne la structure originale mise en place à Dakar pour s'attaquer au chômage. Un système de prêts qui peut être un modèle pour bien des pays d'Afrique.

Propos recueillis par Bruno FANUCCHI

Invité du CAPP (Club Afrique de la Presse Parisienne), que préside notre confrère Alfred Mignot, et de l'IPEMED (Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen), que dirige Jean-Louis Guigou, Papa Amadou Sarr était de passage à Paris. Après avoir fait Sciences Po Paris, ce brillant Sénégalais de la diaspora, qui a longtemps travaillé pour l'OCDE avant d'être débauché par Bill Gates, est aujourd'hui Ministre-Délégué à l'Entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes auprès de la Présidence de la République. Ex-DG du ministère des Finances, il vient de prendre la tête d'une structure originale avec rang de ministre. Interview.

Que représente la Délégation générale dont vous a chargé le Président Macky Sall ?

Papa Amadou Sarr 

Le chef de l'Etat croit à la jeunesse et veut faire du social. Il a une claire vision de la redistribution de la croissance auprès des femmes et des jeunes pour participer au développement du Sénégal. Il m'a donc nommé en septembre 2017 à ce poste, rattaché à la Présidence de la République, et à la tête de cette Délégation générale qui fonctionne à plein régime depuis le 8 mars 2018 en me disant : « Je vous donne 50 millions d'euros par an pour commencer et créer des emplois. Avec pour mission d'aider les femmes et les jeunes à créer leurs entreprises ou leurs Start-up ». Après avoir effectué un recensement de toutes les entreprises du Sénégal, nous avons constaté que plus de 90 % de l'économie du pays était dans le secteur informel. Mais comme ils ne paient pas d'impôts, ils ne peuvent pas – c'est le revers de la médaille – obtenir de prêts bancaires. Nous avons donc imaginé un système et constitué une équipe (Une centaine de jeunes, dont 70 % venant du secteur privé) pour mettre en place un modèle économique qui marche et change la donne dans le pays. Nous sommes prêts à financer tout le monde : les femmes et les jeunes - avec une limite d'âge à 40 ans - sans distinction de couleur politique, d'origine sociale, régionale ou ethnique. C'est un financement apolitique qui permet à tous les Sénégalais de bénéficier de ces fonds pour monter leurs entreprises.

Qu'est-ce que le concept original d'entrepreneuriat rapide ?

C'est ni plus ni moins un processus permettant à un entrepreneur de mettre en place sa structure en une journée : créer son entreprise, être formé et formalisé, c'est-à-dire d'être enregistré au registre du commerce et obtenir les financement nécessaires. L'objectif, c'est d'éviter aux entrepreneurs de faire le tour des services : tribunal, du ministère de l'Intérieur, Chambre de commerce, banque... Ce qui peut parfois prendre trois mois pour avoir tous les papiers nécessaires. De quoi désespérer ! Nous avons donc créé un guichet unique pour permettre aux entrepreneurs de faire tout cela en une seule journée. Avec la dématérialisation, que permet l'informatique, on peut même tout préparer et remplir son dossier depuis chez soi.

C'est ce que j'ai appelé les 3 F : la Formalisation, la Formation, et le Financement. Les trois « F » vont d'ailleurs de pair. Vous ne pouvez pas avoir un financement si vous n'êtes pas formalisé - et vous êtes ainsi connu du fisc - et si vous n'avez pas de formation car, sans cette dernière, ce financement est voué à l'échec !

Il y a les « 3 F », mais ne parlez-vous pas aussi des « 4 P » ?

Comme partout, nous avons – excusez le terme - des « bandits » qui parfois ne veulent pas rembourser et qui, après avoir bénéficié d'un prêt de 10.000 ou 15.000 euros, disparaissent dans la nature. Nous avons donc mis en place des mesures pour recouvrer ces fonds. Nous pouvons ainsi saisir : le Préfet du département, représentant l'Etat capable d'identifier et de localiser n'importe qui ; la Police qui va convoquer l'entrepeneur indélicat, le Procureur si le dossier doit suivre un cours judiciaire et la Prison si la personne récalcitrante ne veut pas payer.

A quel taux d'impayés êtes-vous confronté ?

Nous avons aujourd'hui un taux de recouvrement de plus de 60 %, ce qui est déjà exceptionnel dans la mesure au début où l'on m'avait promis 0 % de recouvrement parce que les Sénégalais - les jeunes entrepreneurs en particulier - n'avaient pas la culture de rembourser un prêt provenant de l'Etat. Cela dit, je ne m'en rejouis pas car nous visons un taux de 95 %. Nous avons voulu faire changer les mentalités en expliquant à tous qu'il ne s'agit pas de subventions, ni de dons, ni de prêts politiques, mais de prêts à taux bonifiés de 5 % en taux effectif global, ce qui n'existe nulle part ailleurs sur le marché sénégalais. Ces prêts sont destinés à développer l'activité économique et il faut les rembourser pour permettre à d'autres d'en bénéficier, créant ainsi un cercle vertueux.

Quels sont vos secteurs prioritaires ?

Les secteurs que nous privilégions sont les secteurs en phase avec le Plan Sénégal Emergent (PSE) que sont l'Agriculture avec un grand « A », l'élevage, la pêche, l'économie numérique, les transports, les services et l'artisanat. C'est là où nous avons mis 90 % de nos ressources. Mais nous avons aussi financé l'industrie culturelle et créative, notamment les films avec Alain Gomis, un studio de production, ou des jeunes qui se sont lancés en les aidant à avoir des caméras ou un musicien pour avoir un studio d'enregistrement, des jeunes qui travaillent l'art contemprorain dans la rue, etc. Et il y aura à la fin de l'année, en novembre prochain, les Assises Africaines de la Culture à Dakar - un projet porté par Fatimata Wane et Seynabou Dia - grâce au ministre de la Culture qui était auparavant le ministre de l'Emploi, avec lequel nous avons beaucoup travaillé. Sans oublier la Biennnale de l'Art qui sera cette année à Dakar. Autant de projets que nous accompagnons bien volontiers.

"Nous allons lancer en mars un Fonds

pour la diaspora avec 5 millions d'euros"

Avez-vous suffisamment de fonds pour atteindre vos objectifs ou recherchez-vous des partenaires privés ?

Nous n'avons pas assez d'argent au regard de la demande. Pour la première année de fonctionnement, nous avons eu 400.000 demandes pour 300 milliards de Francs CFA, soit 500 millions d'euros. Ce sont des demandes réelles avec des projets viables que nous avons gardés dans notre base de données. Nous avons une population de 15 milions d'habitants dont plus de 60 % est au chômage. Les gens veulent lancer leur entreprise et créer leur emploi. La demande, elle est là.  Nous avons mis sur la table 50 millions d'euros, ce qui n'est pas rien pour un pays africain. Cela a aiguisé l'appétit de beaucoup d'entrepreneurs qui se sont dit : l'Etat peut nous accompagner, on y va ! D'où notre partenariat avec la BAD, mais aussi bientôt l'AFD (Agence Française de Développement), et la nécessité bien entendu de s'ouvrir au secteur privé local et international. L'idée est d'obtenir des partenariats avec de grandes entreprises comme Total, Atos, Bouygues, Eiffage, pour justement aider les PME sénégalaises à se développer grâce à des partenariats « gagnant-gagnant ». Le besoin est là. Nous avons ainsi été l'an dernier à Paris avec le président Macky Sall au Salon Vivatech pour accompagner les Start-up sénégalaises et les aider à développer des partenariats avec les PME françaises et européennes. D'où le partenariat avec Creative Valley qui a conseillé Xavier Niel (Fondateur d'Iliad, maison mère de Free) à créer Station F pour nous aider à mettre en place à Dakar Station D. L'équipe de Xavier Niel sera d'ailleurs à Dakar le 24 janvier pour travailler sur ce projet d'incubateur-accélérateur chez nous, financé grâce à un don de 20 millions de dollars du Prince héritier d'Abou Dhabi. Comme en France, vous avez la French Tech, au Sénégal nous voulons créer et développer la Lions Tech, les lions de la technologie !

Mais le Sénégal n'a pas, jusqu'à présent, de véritable drapeau économique ?

Vous avez raison. Le développement n'attend pas et le Sénégal doit avoir aujourd'hui des champions de l'industrie qui pourront vendre l'image du pays de la Terenga à l'étranger, en Afrique bien sûr déjà, mais aussi en Europe et aux Etats-Unis. Cela se fait notamment à travers Air Sénégal, notre compagnie nationale lancée à la demande du chef de l'Etat, mais bientôt aussi par le pétrole et le gaz car le Sénégal vient de découvrir des gisements importants et la société d'exploitation nationale PetroSen, qui s' en occupe avec BP, Total, Cosmos, va essayer de vendre l'expertise sénégalaise. Il en va de même dans l'agriculture où des PME sénégalaises de l'agro-industrie sont aujourd'hui en train de produire pour attaquer les marchés ivoirien, malien, burkinabe et même exporter des produits agricoles en France qui arrivent à Rungis dans la soirée !

Quels sont vos objectifs concrets pour 2020 ?

Notre structure est encore jeune puisqu'elle n'a pas encore deux ans. Pour 2020, notre objectif en termes de bénéficiaires accompagnés est d'atteindre au moins 100.000 personnes - dont les projets sont à financer - et de créer au moins 10.000 emplois pérennes, grâce aux ressources (60 millions d'euros) apportées par la BAD (Banque africaine de développement) pour accompagner les PME et les Start-up dans les deux ou trois années à venir.

En outre, le Fonds de la diaspora que nous allons lancer au mois de mars va concerner principalement la diaspora sénégalaise qui vit en Europe et en Afrique de l'Ouest. L'idée, c'est de mettre 5 millions d'euros rien qu'en 2020 pour accompagner ces diasporas sénégalaises qui veulent réinvestir au Sénégal.

Votre modèle d'entrepreneuriat rapide est-il exportable ?

Oui. Nous sommes en train déjà de l'exporter en Guinée-Conakry, où le président Alpha Condé nous a demandé de l'aider à monter la DER (Délégation à l'entrepreneuriat rapide) chez lui, mais nous avons aussi des demandes du Burkina Faso, du Gabon et du Cameroun. C'est très simple. Il faut que l'Etat ait la volonté politique et ose d'abord mettre sur la table les ressources nécessaires : 10, 20, 30 ou 50 millions d'euros pour accompagner les jeunes et les femmes. Ensuite,on peut réunir tous les ingrédients qu'il faut : la formation, la formalisation, la modélisation du projet économique, l'accompagnement des bénéficiaires pour les aider à mettre sur pied leur « business plan » et le financement. C'est un modèle facilement exportable car tous les pays du Sahel et de l'Afrique connaissent ce problème du taux de chômage élevé des jeunes et des femmes.

Pour en savoir plus : www.der.sn

Bruno Fanucchi

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