Crise politique en France : Est-ce la fin d'un modèle ?
Après un premier mandat achevé dans la douleur - mouvement des gilets jaunes et crise du COVID-19, le second mandat du président français Emmanuel Macron confronté à une crise politique institutionnelle sans précédent.
De la dissolution ratée aux gouvernements éphémères, la France d'Emmanuel Macron s'enfonce dans une crise institutionnelle sans précédent. Décryptage pour nos lecteurs africains d'un système politique à l'agonie.
La scène tient du théâtre de l'absurde. Sébastien Lecornu, sixième Premier ministre nommé par Emmanuel Macron, a jeté l'éponge après seulement vingt jours à Matignon, pulvérisant ainsi le record d'instabilité gouvernementale sous la Ve République. Cet échec cuisant couronne une longue liste de locataires de Matignon. Après les débarquements successifs d'Élisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier et François Bayrou, l'Élysée ressemble désormais à une tour d'ivoire assiégée, impuissante face à l'effondrement de son autorité.
Chaque nomination s'est soldée par le même constat : l'impossibilité de former un gouvernement stable capable de trouver une majorité à l'Assemblée.
L'engrenage d'une crise annoncée
Tout a commencé avec la dissolution surprise de l'Assemblée nationale en juin 2024. Un pari risqué qui s'est transformé en cauchemar institutionnel. Le président Macron, habitué au pouvoir « jupitérien », a vu son empire s'effriter comme un château de cartes. L'Assemblée nationale, fragmentée en trois blocs irréconciliables - gauche unie sous le Nouveau Front Populaire, extrême droite renforcée, et centre « macroniste » affaibli - est devenue ingouvernable.
Le Rassement National (RN), grand gagnant de cette crise politique
Chaque échec d'un Premier ministre, chaque retournement, chaque « psychodrame » à l'Élysée renforce le discours central du RN devenu le premier parti de France en nombre de députés et en voix aux dernières élections. Le RN apparaît comme la seule force d'opposition cohérente et stable face à un pouvoir « macroniste » en pleine décomposition. En effet sans être au gouvernement, le RN peut critiquer sans avoir à assumer de responsabilités. C'est la position idéale pour une force protestataire, tout promettre sans avoir à prouver quoi que ce soit.
Oui, le RN est le grand bénéficiaire politique de la situation. La stratégie de Macron – qui était de forcer un « choc de clarification » entre son camp et le RN – a totalement échoué. Elle a au contraire légitimé le RN comme la principale force d'opposition, détruit la crédibilité du président et de son camp et créé un chaos dont le RN se nourrit.
En face, on assiste à l'effondrement de la concurrence. La droite classique, Les Républicains, est moribonde et divisée. La majorité présidentielle s'effrite. Le RN apparaît comme la seule alternative crédible et structurée.
Cependant, il convient de mettre un bémol. Malgré sa progression, le RN est trop faible pour gouverner seul. Il est condamné à une opposition stérile tant qu'il n'aura pas une majorité absolue. Cette impuissance peut, à terme, lasser les électeurs qui attendent des résultats concrets. Cependant, la route vers le pouvoir est encore semée d'embûches. Le système politique français, bien que fracturé, peut encore générer des coalitions de rejet. La victoire n'est donc pas une ligne droite, mais le RN n'a jamais été aussi près des portes de l’Elysée. La balle est maintenant dans le camp de ses adversaires. Sauront-ils s'unir pour lui barrer la route, au risque de se renier eux-mêmes ? Le psychodrame est loin d'être terminé.
L'impasse totale : les trois options impossibles
Face à cette paralysie, le président Macron se trouve acculé à des choix tous aussi périlleux. L’option de la dissolution. Convoquer de nouvelles élections reviendrait à jouer à la roulette russe avec les institutions. Les Français, épuisés par les scrutins à répétition, pourraient accentuer le rejet du système. Le choix d’un Premier ministre issu de l’opposition s’avère périlleux. Nommer un chef de gouvernement hostile signerait l'acte de décès politique du quinquennat. La cohabitation deviendrait un champ de bataille permanent. L’option de la démission apparait comme un acte ultime qui plongerait la France dans l'inconnu institutionnel, une première sous la Ve République.
Leçons pour l'Afrique : la fin d'un modèle ?
Pour nos lecteurs africains habitués aux réalités politiques complexes, le cas français offre un spectacle aussi édifiant qu'inquiétant. Le pays qui se présentait souvent comme modèle de stabilité démocratique montre aujourd'hui des signes de fragilité qui rappellent certaines de nos transitions politiques les plus délicates.
Cette crise française nous interpelle profondément. Le système politique qui a souvent servi de référence - celui d'un exécutif fort et stable - montre aujourd'hui ses limites. La verticalité du pouvoir à la française bute sur la complexité d'une société fracturée.
Pendant que la France s'enlise, nombre de nos démocraties africaines ont appris l'art du compromis et de la coalition. La stabilité n'est plus l'apanage des anciennes puissances coloniales. Les leçons de gouvernance circulent désormais dans les deux sens.
La situation actuelle dépasse le simple accident politique. C'est le modèle gaulliste tout entier qui est en crise. La Constitution de 1958, conçue pour éviter les instabilités de la Ve République, produit aujourd'hui l'immobilisme qu'elle devait prévenir.
Peut-être la France devra-t-elle s'inspirer des expériences africaines en matière de gouvernance inclusive et de dialogue national. Les solutions éprouvées au Sénégal, au Ghana ou en Côte d'Ivoire pourraient, ironie de l'histoire, montrer la voie à l'ancienne puissance coloniale.
Alors que l'Élysée hésite entre le suicide politique et la reddition, une question se pose : la France assisterait-elle à l'effondrement tranquille d'un système qui a cru pouvoir défier les lois de la gravité politique ? Le psychodrame français n'est pas qu'un spectacle, c'est le miroir des défis qui guettent toutes les démocraties modernes, en Afrique comme ailleurs.
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