De Mai 68 à la Génération Z : La révolution a changé de visage
Il fut un temps où la révolution sentait la fumée des pavés, l'encre des tracts et la sueur des assemblées générales. Le printemps 1968, de Paris à Prague, a incarné l'archétype de la révolte juvénile : une insurrection physique, idéologique, ancrée dans la confrontation directe avec un pouvoir perçu comme rigide, impérialiste et aliénant. Aujourd'hui, un demi-siècle plus tard, un nouveau séisme secoue la planète. Portée par la Génération Z, cette lame de fond est moins un écho qu'une métamorphose. La révolution n'a pas disparu, elle s'est réinventée, et l'Afrique, avec sa jeunesse vibrante, en est l'un des laboratoires les plus audacieux.
On peut considérer que Mai 68 a été la révolte des « Pourquoi ? » En effet en 1968, la jeunesse se levait contre un système. Les étudiants français, allemands ou brésiliens contestaient l'impérialisme américain au Vietnam, rejetaient la société de consommation, dénonçaient la rigidité des institutions universitaires, religieuses et politiques. Leur combat était profondément idéologique, structuré autour de grands récits – anticapitalisme, anti-impérialisme, libération des mœurs. L'organisation, bien que souvent libertaire, passait par des syndicats, des partis et des leaders identifiables. La barricade était à la fois un outil tactique et un puissant symbole : la ligne de fracture était physique, visible, souvent violente.
Quant à la Gen Z, elle est la stratégie du « Comment ? ». La Génération Z, née avec Internet dans le sang, opère un changement de paradigme radical. Comme l'analyse le quotidien indonésien « Kompas », sa force est d'avoir « une résonance transnationale, affranchie des frontières, du nationalisme et des clivages culturels ». Son arme n'est pas le pavé, mais le smartphone. Sa philosophie n'est plus seulement marxiste ou situationniste, mais s'inspire de Sun Tzu et du concept « be water » popularisé à Hong Kong : être fluide, imprévisible, sans structure centralisée.
L'objectif n'est plus de proposer un contre-modèle idéologique parfait, mais de cibler avec une agilité déconcertante les dysfonctionnements d'un système perçu comme globalement corrompu et inefficace. La lutte est moins doctrinale que pragmatique.
Le cas de Madagascar se résume au « Être comme l'eau » face au pouvoir. C'est pourquoi l'exemple malgache est, à cet égard, emblématique. Ces dernières années, la jeunesse de la Grande Île a montré une capacité remarquable à se mobiliser en réseau, en dehors des canaux politiques traditionnels. Face à des enjeux comme la corruption, la gestion des ressources naturelles ou les crises politiques, les jeunes malgaches n'érigent pas de barricades idéologiques. Ils inondent l'espace numérique.
Leurs modes d'action privilégient la viralité des hashtags, le témoignage direct en vidéo et la coordination via des groupes de messagerie privés. Cette stratégie « liquide » leur permet de contourner la répression, d'échapper au discrédit souvent jeté sur l'opposition traditionnelle et de toucher une masse critique à une vitesse fulgurante. Ils ne brandissent pas de grands manifestes, ils pointent du doigt des faits précis, créant une narration alternative et fragmentée qui, agrégée, forme une accusation implacable contre le pouvoir.
En somme, le lien entre Mai 68 et la Gen Z ne réside donc pas dans la méthode, mais dans l'impulsion fondamentale : le refus. La jeunesse de 68 refusait l'autorité patriarcale et la société figée. La jeunesse d'aujourd'hui refuse l'opacité, l'injustice ciblée et l'inaction face à l'urgence climatique et économique. Si les « soixante-huitards » voulaient renverser la table, la Gen Z utilise les réseaux pour en révéler les fissures, pour en exposer les dessous, et pour construire, en marge, ses propres espaces de liberté et de solidarité.
En somme la contestation a changé de visage. La leçon est claire, on ne combat plus la centralisation par la centralisation. La Génération Z, en Afrique comme ailleurs, a compris que le pouvoir du XXIe siècle est rhizomatique, diffus. Sa réponse l'est tout autant. En passant de la barricade de pierres à la barricade de données, de l'idéologie au pragmatisme cinglant, elle écrit un nouveau chapitre de l'histoire des luttes sociales. Un chapitre où la connexion vaut manifestation, où un même peut être un pavé, et où la jeunesse malgache, à l'instar de ses pairs du monde entier, prouve que pour être efficace, la révolution doit désormais savoir « être comme l'eau ».