Fouad Zmokhol (Président du Patronat libanais) : "La priorité de l'Afrique, c'est la création d'emplois"

Fouad Zmokhol (Président du Patronat libanais) :

Dr Fouad Zmokhol, président du Rassemblement des Dirigeants et Chefs d'entreprise Libanais dans le monde (RDCL World) (Photo : @page Facebook du Dr Fouad Zmokhol


Président du Rassemblement de Dirigeants et Chefs d'entreprise Libanais dans le monde (RDCL World), qui est en quelque sorte le MEDEF International du « Pays du Cèdre », Fouad Zmokhol a de multiples casquettes. Mais c'est avant tout un chef d'entreprise très engagé – comme beaucoup de ses compatriotes – en Afrique. Il s'est notamment implanté en Côte d'Ivoire, où il a créé la SAPDIB (Société Africaine de Production et de Distribution de Boissons) et au Ghana. Rencontre à Paris avec un homme d'affaires influent et pragmatique.

Par Bruno Fanucchi

Invité par l'IPEMED (Institut de Prospective Economique du monde Méditerranéen), que préside Jean-Louis Guigou, et le Club Afrique de la Presse Parisienne que dirige notre confrère Alfred Mignot, le Dr Fouad Zmokhol a longuement parlé de la nouvelle « Révolution » que connaît le Liban depuis le 17 octobre dernier et qui a mis la moitié du pays dans la rue. Un mouvement spontané de révolte sans précédent contre l'ensemble de la classe politique riche d'espoirs de changement, mais qui - pour l'heure – a aussi plongé le pays dans un déficit complet de liquidités qui n'est pas simple à gérer au quotidien pour l'Etat comme pour tout un chacun.

Homme d'affaires avisé, Fouad Zmokhol – qui n'a pas de solution miracle – préconise cependant une injection extérieure importante de capitaux à travers les insitutions internationales comme le FMI, la BEI ou la Banque mondiale. « Notre Etat n'a plus de liquidités, nos banques et nos entreprises pratiquement plus. C'est donc le seul moyen pour sortir de la crise et tenter de sauver le pays », explique-t-il, en insistant aussitôt sur la nécessité de mettre sur pied un « Comité stratégique du suivi » pour savoir bien sûr où iront ces capitaux, et « un audit international pour rendre des comptes ».

Et il préconise, dans un second temps, « une privatisation totale » des grandes entreprises du pays toujours détenues par l'Etat comme l'aéroport de Beyouth, le port, la Société d'électricité qui représente un tiers du budget de l'Etat ! « Ce n'est plus un choix, c'est une opportunité. La privatisation s'impose, mais elle doit être menée de bout en bout avec un maître mot : la bonne gouvernance ».

"Les entreprises libanaises participent

à 30 % au PIB du Continent"

Reste que, pendant les crises, c'est une loi de l'économie valable dans le monde entier, les affaires continuent... pour ceux qui savent à en faire. L'histoire démontre d'ailleurs – et les exemples sont légion – que les meilleures affaires se font lors de ces périodes d'instabilité politique et d'incertitude économique. Pour tous ceux, du moins, qui n'hésitent pas à prendre des risques.

« En Côte d'Ivoire, confesse-t-il, on a ainsi racheté 'au prix du canon' de grandes sociétés (comme Nestlé ou Palmolive) à des Européens qui fuyaient le pays lors de la guerre civile et ont continué de produire sous licence, tant il est vrai que les plus grandes opportunités se présentent en cas de crise ». Personnellement, Fouad Zmokhol s'intéresse au Continent depuis plusieurs années, d'autant plus que, comme le soulignait le Président Alassane Ouattara lors des Jeux de la Francophonie en juillet 2017, « le Liban et les entreprises libanaises participent à 30 % au PIB de l'Afrique ».

Et il y a même organisé plusieurs grandes tournées d'investisseurs potentiels qui l'ont conduit non seulement en Côte d'Ivoire (où la communauté libanaise compte déjà plus de 200.000 expatriés), mais également au Burkina Faso, au Ghana, au Niger, au Nigeria et même au Zimbabwé...

Car, observe-t-il, « nous autres Libanais, nous sommes un peuple d'investisseurs très individualistes. On réussit très bien tout seul, on fait des investissements, on essaie de faire des affaires de père en fils. Cela marchait il y a encore quelques années, mais cela ne marche plus aujourd'hui. Et je vous le dis franchement : celui qui veut aller s'installer en Afrique et commencer de zéro, qu'il n'y aille pas ! ».

Il ne faut donc plus faire cette erreur, mais « constituer des groupes et prendre avec vous des investisseurs européens et arabes, vendre à des Chinois pour agrandir le groupe et commencer à travailler ». Et d'ajouter : « En Afrique, je crois énormément aux synergies, aux partenariats, à la coopération car - je parle d'expérience – je me suis rendu compte que tout mon acquis professionnel valait zéro quand je suis arrivé là-bas. Tout était à refaire : la culture n'est pas la même, le marché non plus et même la corruption bien connue au Liban était complètement différente en Afrique ».

« C'est un marché complètement différent et cela il faut bien le comprendre. Je vous donne un seul exemple. Quand j'ai produit des bouteilles de whisky d'un litre et demi, puis d'un litre et même d'un demi litre, cela ne se vendait pas. Mais quand j'ai fait de petites bouteilles de 100 ml seulement comme dans les avions, cela s'est vendu par milliers ! ».

"Nous allons implanter des restaurants

haut de gamme et des hôtels business"

Et ses conseils aux nouveaux investisseurs sont précieux : « Commencez de zéro est désormais impossible. Il faut aller en groupe pour investir avec des groupes multisectoriels : un premier par exemple qui s'intéresse l'hôtellerie, un deuxième à la restauration, un troisième à l'industrie, un autre au commerce ».

Pourquoi s'intéresser à l'Afrique ? La réponse est évidente : « C'est le Continent qui connaît la plus grande explosion démographique ». L'année 2020 va de surcroît connaître de nombreuses élections en Côte d'Ivoire, au Burkina Faso, en Centrafrique, en Guinée, au Niger, au Togo et « ces élections annoncent parfois des changements et sont souvent suivies d'une période de stabilité politique permettant de relancer les affaires ». Les Libanais sont en général – et ils ne s'en cachent pas - très à l'affût de ces moments d'opportunités pour le business. D'où sa conclusion frappée au coin du bon sens : « Les entreprises les plus courageuses sont celles qui vont investir demain en Afrique, si du moins elles y vont avec la volonté de bâtir des stratégies et d'investir d'abord en ressources humaines pour mieux connaître le marché et en apprentissage avec des partenaires financiers, avant de penser en récolter des fonds ».

Fidèle à sa philosophie de ne pas aller seul pour attaquer un nouveau marché, Fouad Zmokhol est entré en Côte d'Ivoire avec une société française et une autre italienne pour se lancer dans la production de boissons alcoolisées. « Ce qui ne me gêne pas du tout, observe-t-il, puisque je suis chrétien alors que nombreux Libanais qui font des affaires en Afrique appartiennent souvent à la communauté chiite. Notre croissance a été rapide et, comme ils adorent les mélanges en Afrique, on a appris le goût africain : café whisky, vodka orange, etc ». Et tout cela dans de petites bouteilles genre mignonettes... Sans parler des boissons énergisantes, dont raffolent les jeunes !

Ainsi est née en 2015 la SAPDIB (Société Africaine de Production et de Distribution de Boissons) qui emploie quelque 150 personnes sur Abidjan, où elle est implantée à la Riviera, et commercialise toute sa production sous la marque « Dragon » pour un chiffre d'affaires qui, en revanche, reste... « secret défense ». Il a d'ailleurs investi dans le même domaine, mais sous une autre marque, au Ghana, frontalier du Nigeria qui représente un marché encore beaucoup plus vaste.

Et il a déjà bien d'autres projets pour l'Afrique dans l'hôtellerie et la restauration. « On a pris plusieurs franchises de restaurants libanais haut de gamme que l'on va implanter en Afrique et nous recherchons à investir dans de petits hôtels business (avec des ordinateurs et une bonne connexion) pour répondre à une demande de plus en plus importante du tourisme d'affaires. Les sociétés sont déjà créées et nous allons les implanter en Côte d'Ivoire, au Ghana, mais aussi au Burkina Faso et sans doute au Zimbabwé ».

A la tête depuis 2017 du RDCL, qui est quelque sorte la plateforme économique du patronat libanais et s'organise comme un lobby puissant et efficace pour tisser des liens, créer des synergies, faciliter les échanges, les partenariats et les investissements de ses membres, il envisage de nouvelles tournées après la série d'élections que va connaître l'Afrique en 2020. Car, conclut-il, « la priorité de l'Afrique, c'est l'emploi et la création d'emplois. Or pour créer des emplois, il faut créer des entreprises car ce sont elles qui sont source d'emplois. Je mise énormément sur les PME et sur les micro-entreprises (de 5 à 10 employés) avec un chiffre d'affaires qui peut aller entre 100.000 et un million d'euros ». Bien difficile de concurrencer les Libanais en Afrique.

Pour en savoir plus : www.rdclworld.com

Bruno Fanucchi

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