Janine Kacou Diagou (NSIA) :
Bénédicte Janine Kacou Diagou, Directeur général du Groupe NSIA avait pris part à la conférence organisée le 2 février dernier par l’Ipemed à Paris, au hub Bpifrance, sur le thème : « Afrique-Méditerranée-Europe, l’AME, Verticale de l’avenir »
Directrice générale du groupe ivoirien NSIA, n° 1 de la bancassurance en Afrique francophone, Bénédicte Janine Kacou Diagou incarne l’excellence de la jeune génération de leaders africains. C’est donc ès qualités qu’elle vient de participer à Paris à une conférence de l’IPEMED (Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen) pour la création d’une fondation de l’AME (Afrique-Méditerranée-Europe) chère à Jean-Louis Guigou. Elle nous livre ici son témoignage et sa vision des relations entre l’Europe et l’Afrique.
Un article d’Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris
Le cap des 40 ans passé de peu, Bénédicte Janine Kacou Diagou (B.JKD, comme elle l’écrit sur sa carte de visite) est déjà un leader reconnu, incarnant à merveille cette nouvelle vague de jeunes quadras africains qui cumulent tous les atouts pour réussir, et faire réussir leur continent.
Après ses études – à Paris, où elle décrochera un Bachelor en Business Administration à l’IFAM (Institut franco-américain de management), puis à Londres, où elle obtient un Master in science of finances de la Middlex University – B.JKD connaît deux premières expériences professionnelles, à Citibank NA puis au groupe Mobil Acoe, à Abidjan. Dès 1999 elle rejoint NSIA, le groupe créé par son père, et devenu le numéro un de l’assurance en Afrique francophone (et aussi implanté, depuis, au Nigeria et au Ghana, pays anglophones). Là, comme il est souvent de tradition dans les familles d’entrepreneurs, B.JKD fait ses débuts en occupant successivement plusieurs postes à responsabilités croissantes, avant de décrocher en 2017 son bâton de maréchal : Directeur Général du Groupe NSIA.
C’est donc une cheffe d’entreprise aux qualités éprouvées, identifiée par le classement 2015 de l’Institut Choiseul comme la 7e des « 100 leaders économiques africains de demain », qui a apporté un témoignage précieux à cette matinale organisée le 2 février dernier par l’IPEMED à Paris, au hub Bpifrance, sur le thème : « Afrique-Méditerranée-Europe, l’AME, Verticale de l’avenir »…
L’Afrique, mode d’emploi
Évoquant tout d’abord son plein accord avec l’un des postulats fondateurs de l’IPEMED – le destin commun de l’Europe et de l’Afrique – elle relève aussitôt : « J’ai bien peur que si les Européens ne prennent pas plus conscience des changements à l’œuvre en Afrique, avec la multiplicité des compétiteurs, ils ne risquent de rater une occasion historique. »
Et de nous conter une anecdote tout à fait exemplaire : « Quand le leader mondial de l’assurance est venu nous rencontrer une première fois, son arrogance était flagrante, on nous a regardés de haut ! Mais assez vite, finalement, les responsables de Swiss Re se sont rendu compte que nous assumons et pratiquons les mêmes standards de gouvernance – y compris selon les Suisses, qui sont tout de même “assez compliqués”, s’amuse-t-elle à souligner.
Et puis, ils ont aussi compris qu’un certain transfert de compétences au niveau local était bon pour accroître leur propre rentabilité. Tout comme une bonne formation des hommes et des femmes qui font l’entreprise, car cela aussi est profitable… Quant aux entrepreneurs africains, ils ont pris conscience qu’il nous faut créer de la valeur en Afrique. Certains, comme le groupe NSIA, créent même des fondations pour aider les jeunes entrepreneurs. »
Deux ou trois règles à respecter…
Ce point étant acquis, Bénédicte Janine Kacou Diagou insiste sur d’autres paramètres à respecter si l’on veut voir ses affaires prospérer sur le Continent. « À NSIA, par exemple, nous avons des règles. L’une d’elles est celle du “70/30” : lorsque nous abordons un nouveau pays, nous recherchons toujours un partenaire local qui pourrait porter 30 % des parts. Cela nous paraît indispensable pour tenir compte de la culture du pays et s’intégrer à l’économie locale plus rapidement.
Il ne faut donc pas s’en tenir à seulement transférer des ressources humaines depuis le pays d’origine. Mais plutôt venir avec des capitaux et faire travailler les gens sur place. C’est ce que nous avons fait dans tous la plupart des pays où nous nous sommes installés… »
Pourquoi avoir choisi finalement le groupe suisse, malgré son « arrogance » initiale ? lui demande quelqu’un dans la salle… La réponse se déploie, très circonstanciée, illustrant bien des aspects de l’attitude des jeunes dirigeants africains :
« Swiss Re correspondait à notre vision d’avoir un partenaire de long terme guidé par le souci de créer de la valeur pour nos deux institutions et servir le développement économique du continent africain. Ce qu’il faut savoir, c’est que nous avions précédemment dans notre capital, un fonds d’investissement. Au terme de l’engagement de celui-ci, nous avons plutôt privilégié la recherche d’un partenaire stratégique comme la Banque Nationale du Canada, au niveau de la Holding, NSIA Participations, et Swiss Re, au niveau de la maison mère.
Nous avons ainsi exclu les capital-investisseurs, car ils viennent pour du court terme, avec l’idée que l’Afrique, c’est risqué, donc ils y restent cinq ans à peine, pas plus.
Le partenariat avec des Canadiens ou des Européens nous semble aussi assez logique, car aujourd’hui les Africains vont de plus en plus faire leurs études en Amérique du Nord et autres pays. La France n’a plus la destination privilégiée des étudiants africains. Dans ma famille, mon père est le seul à avoir fait ses études en France. Ma mère est restée en Côte d’Ivoire, mes frères quant à eux sont allés au Canada, et moi à Londres. Nous sommes ainsi une famille avec un mode de pensée international. »
Essaimer pour résister aux crises
Ainsi cette idée de la fondation "Verticale de l’avenir" Afrique-Méditerranée-Europe (AME) que promeut l’IPEMED lui est-elle déjà familière… Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, « les chefs d’entreprise africains ont déjà commencé à se projeter à l’international » à mettre en œuvre cette idée, avant même sa théorisation, tout comme le fait le groupe NSIA : « En tant qu’entrepreneur, nous avons compris très vite que l’on ne pouvait pas rester dans la seule Côte d’Ivoire. D’ailleurs, si notre groupe NSIA a pu survivre à la crise ivoirienne, c’est parce que nous étions installés dans douze pays.
Pour l’anecdote, sachez que c’est pendant la crise post-électorale de 2010 en Côte d’Ivoire, que nous avons commencé à réfléchir, ayant constaté que nous avions trop d’actifs dans les pays francophones. Et il nous est vite apparu que le Nigeria, avec son grand marché de 300 millions d’habitants, représentait à lui seul l’équivalent de toute la zone francophone ouest-africaine. En 2011, nous avons donc acquis une compagnie d’assurances nigériane.
Aujourd’hui, elle est la première de tout le Groupe NSIA… Cela illustre une autre de nos règles de conduite : il faut essaimer au lieu de rester concentré en un seul pays. Je pense que l’on est plus solide ainsi. »
Mauvais points pour les politiques et la BAD
Mais, regrette B.JKD, « les politiques sont en retard » pour établir des règles et des accords qui permettraient aux entrepreneurs d’accélérer la coopération internationale… Et ce n’est pas le seul de leurs défauts : « L’Afrique est, je crois, le seul continent où les politiques sont plus riches que les entrepreneurs ! Donc quand un entrepreneur africain commence à émerger, aussitôt le politique craint que ce dernier ne soutienne un jour ses opposants.
C’est leur façon de voir les choses… Mais ce qui leur fait peur, c’est lorsque vous avez dans votre tour de table des actionnaires de dimension internationale. Ils réfléchissent donc un peu plus avant de vous attaquer. Ainsi pour nous entrepreneurs, nous ouvrir aux partenariats internationaux est aussi une manière de se protéger des potentats locaux. »
La doctrine de la BAD (Banque Africaine de Développement) est un autre point négatif dont Bénédicte Janine Kacou Diagou assume de livrer témoignage : « Nous trouvons que l’approche de la BAD, presque exclusivement tournée vers les infrastructures, est trop limitée. Il serait tout à fait utile que la BAD renforce l’accès au financement du secteur privé et en simplifie les conditions d’attribution, parce qu’aujourd’hui les entrepreneurs africains sont obligés d’aller chercher les ressources financières hors du Continent, alors même qu’elles existent en Afrique. Si une banque se préoccupait de les mobiliser, je crois que l’on créerait beaucoup plus de valeur chez nous, bien sûr, et d’emplois. »
Ce témoignage très riche est donc clair : « Nous sommes conscients de tout cela, et nous avons appris à prendre en charge ces problématiques. En fait, tout évolue sans cesse. Je pense que ce brassage va se faire. Il faut à tous beaucoup de patience, mais dans quelques années les barrières seront levées. Moi, j’y crois. »
Non au slogan "L’Afrique aux Africains"
Ainsi, répondant à notre question sur la tendance nouvelle qui se fait jour, parmi certaines jeunes élites, de revendiquer « L’Afrique aux Africains », elle récuse catégoriquement cette posture : « Non, non, moi je pense qu’il y a de la place pour tout le monde ! Je ne suis pas de ceux qui pensent l’Afrique aux Africains. On se retrouverait renfermés sur nous-mêmes alors que déjà nous vivons très mal ce type de phénomènes, par exemple de politiques qui combattent les Africains eux-mêmes. Justement nous sommes contre ce type de loi, comme celle du “Local Content” édictée au Nigeria pour décourager les autres Africains de s’y installer, et qui signifie de fait « le Nigeria aux Nigérians ».
Au contraire, pour cette cheffe d’entreprise qui est aussi une femme engagée, puisqu’elle est membre du Comité exécutif du Nepad (le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, initiative intra-africaine), la vision d’avenir pour le Continent est vaste et ambitieuse : « Désormais, nous essayons de créer un grand marché unique régional, y compris avec le Nigeria, pour faire tomber les barrières, faciliter plus de flux financiers, surmonter les difficultés issues de la diversité des devises… peut-être allons-nous vers une monnaie unique, c’est ce que je crois, d’ici à quelques années.
Le fait que le Maroc ait demandé à adhérer à la CEDEAO n’est pas un événement anodin. Tout concourt à une dynamique de rassemblement… de grand marché unique. Cela peut prendre vingt ans, mais les idées sont là. Les politiques doivent comprendre que créer un tel ensemble est une nécessité de survie ! »
Et l’Europe ? Tandis que l’on discute de refonder un partenariat gagnant-gagnant, les entrepreneurs africains ont-ils seulement « envie d’Europe » ?
« Nous avons une culture et une histoire en partie communes, on ne peut pas s’en débarrasser… Se tourner vers l’Europe est notre premier réflexe. Ensuite, ce sont les frustrations qui nous emmènent sur d’autres chemins, avec la Chine, les Canadiens et autres… Aussi pour éviter le décrochage, sans doute l’Europe doit-elle repenser sa manière d’aborder l’Afrique. Il faut un changement de comportement, donc culturel, de part et d’autre. C’est le plus difficile à faire, cela prendra des décennies, voire des générations », alors que le temps presse. À bon entendeur…
> Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen)
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