L’évolution des processus démocratiques dans l’espace francophone

L’évolution des processus démocratiques dans l’espace francophone

Lors de la 6ème édition des Journées institutionnelles de la Francophonie tenue du 28 au 30 mai dernier au siège de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Paris, l'allocution de M. Jacky Lumarque, Recteur de l’Université Quisqueya, Port au Prince – Haïti, invité en tant que Grand témoin, a retenu l'attention de tous. La pertinence de son intervention et la subtilité de ses critiques mesurées à l'encontre des dirigeants "Jupéteriens" de ce monde méritent d'être partagées. 

« Honneur ! »

C’est la formule que le paysan haïtien utilise pour donner le salut à l’autre, à quoi l’autre répond :

« Respect ! »

Honneur, donc !

Honneur et Respect sont les principaux ligaments du lien social de toute communauté ayant choisi d’exister dans la dignité de son humanité.

Madame la Secrétaire Générale,

Merci d’avoir invité un Haïtien à participer comme grand témoin à la sixième édition des Journées des Réseaux institutionnels de la Francophonie. Pour les Haïtiens, la Francophonie est un butin de guerre dont nous nous sommes emparés et que nous continuons de nourrir et d’enrichir quotidiennement, comme seule nation francophone de l’Amérique, sans pourtant rien abdiquer de nos profondes racines africaines et de notre véhicule de communication propre, le créole, trait d’union de 100% des Haïtiens, du dedans comme du dehors.

Officiellement, je dois vous parler de l'évolution des processus démocratiques dans l'espace francophone ;  mais je vais me ramener souvent à l'expérience haïtienne en tant qu'elle peut mettre en lumière une certaine manière de faire de la communauté internationale dans sa prétention à faire régner la démocratie dans le monde, prétention au nom de laquelle elle justifie le droit d’ingérence, part en guerre contre des nations souveraines et apporte sans le vouloir, peut-être, le chaos et la misère, en oubliant le rendez-vous avec la démocratie.

Ne soyez pas contrariés si je suis amené à dire quelques vérités qui dérangent. Au contraire, rassurez-vous, car la vérité est le commencement de l’amitié.

Quand nous commençons à parler d’Haïti, affleure immédiatement la mémoire de la singularité historique d’une naissance insolite et insolente, à contre-courant du dix-huitième siècle colonialiste et esclavagiste. Haïti aurait pu ne pas naître alors.

Haïti est une rupture, aussi bien une entrée par effraction dans le monde libre qu’une infraction dans l’ordre mondial des nations libres et indépendantes. Un ordre mondial légalement fondé sur l’esclavagisme et le colonialisme, et relayé par la pensée et l’idéologie d’éminents savants et philosophes.

On comprend alors cette stratégie des deux mains, de la double scène, qui a caractérisé les relations d’Haïti avec le monde occidental : d’une part, enfermer et isoler le nouvel État haïtien pour éviter que le singulier ne devienne général – en effet, jusqu’en 1862 les Etats-Unis d’Amérique avaient refusé de reconnaitre Haïti comme État indépendant --d’autre part, ouvrir Haïti au commerce extérieur, très souvent  avec des déchirures et des blessures, comme ce fut le cas des trois dernières occupations américaines d’Haïti.

Une façon de dire, dans la réflexion que nous menons ici, que nous devons regarder avec suspicion l’assistance que les plus puissants prétendent apporter aux petits pour les aider à cheminer dans la voie de la démocratie, sans pourtant mettre en cause l’exigence, pour nous-même, de l’approfondissement de l’expérience démocratique.

En novembre 2000, à Bamako, la Francophonie s’est « dotée d’un texte normatif sur la démocratie », a réitéré  « sa conviction que Francophonie et démocratie sont indissociables » et a affirmé « sa pleine dimension politique … en franchissant une étape significative dans le dialogue sur l’approfondissement de la démocratie et le respect des libertés au sein de l’espace francophone ». C’est ainsi que Boutros Boutros Ghali, alors Secrétaire Général de l’ONU présente la Déclaration de Bamako dont un rapport bisannuel mesure depuis le succès dans le monde francophone. À Bamako+10, nous sommes encore optimistes. Les 236 pages du Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone de 2010 restent prudents quant aux progrès de l’espace dans la promotion d’une « vie politique apaisée » mais font le constat d’« [u]ne dynamique irréversible dans la mise en œuvre des mécanismes de sauvegarde de la démocratie et des droits de l’Homme ». Le dernier rapport, celui de 2016, plus direct et bien plus court – il fait 52 pages – s’intéresse aux « dynamiques constitutionnelles dans l’espace francophone » et s’inquiète d’un phénomène particulier de notre  espace commun : la fièvre constitutionnelle. De 2010 à aujourd’hui, une dizaine de pays francophones ont changé de constitutions. D’autres comme le Sénégal, le Rwanda ou Haïti passent des amendements sur mesure.

Un changement de constitution n’est pas mauvais en soi. Après tout, respecter les engagements de Bamako requiert l’implémentation de nouvelles normes et d’une nouvelle culture politique et un changement constitutionnel peut être un bon moyen d’y arriver. Ce qui inquiète toutefois, ce sont les raisons de ces changements et l’instabilité constitutionnelle qui s’ensuit, entre changement anticonstitutionnel de gouvernement et crise de la démocratie.

Cette crise de la démocratie dans l’espace francophone est à replacer dans un contexte mondial de « recul de la démocratie », avec l’indice de The Economist enregistrant sa pire performance depuis la crise financière de 2010. En 2017, ce sont 89 pays qui sont considérés « moins démocratiques que l'année précédente ». Parallèlement, dans The signs of deconsolidation (2017) Robert Stefan Foa et Yascha Mounk montrent que la proportion des gens qui soutiennent «avoir un dirigeant fort qui n'a pas à s'inquiéter du parlement ou des élections» a augmenté à travers le monde au cours des 25 dernières années. Les Millenials en particulier seraient de plus en plus détachés du vote et de son importance dans le processus politique. La démocratie a connu de meilleurs jours. En Haïti où un demi-million d’électeurs sur six millions a suffi à élire l’homme-banane Président, sous le  contrôle assidu du système des Nations Unies et des grandes nations alliées de l’Occident, plus de 80% des électeurs ont choisi de rester chez eux. La chose n’est pas nouvelle, le prédécesseur (élu) du Président Jovenel Moïse avait obtenu un score similaire, avec la même assistance assidue de la communauté internationale.

Les Haïtiens ne sont pas seuls toutefois. Le 6 mai dernier 2018, seuls 33,7 % des Tunisiens ont voté aux élections municipales alors qu’au Liban, 49,2 % participaient aux élections législatives. Les deux scrutins étaient cruciaux pour ancrer la démocratie. Les deux scrutins n’ont pas réussi à convaincre. En France aussi, l’abstention continue de gagner du terrain avec un taux record de 57,4 % aux législatives de 2017 alors que, ici aussi, l’intérêt pour l’homme providentiel – qu’il s’appelle Macron, Marine ou Mélenchon – remplace progressivement celui pour le parti et l’idéologie. Semblent émerger deux tendances concomitantes : un recul de la démocratie et un retour de l'homme-fort.

Cette double émergence entraîne deux questions fondamentales pour une Francophonie ayant mis la démocratie au cœur de ses valeurs: pourquoi faire et que faire ? Je n'ai pas les réponses mais je crois avoir quelques intuitions qui méritent d'être partagées: 1) que, dans nos démocraties, le demos est souvent laissé pour compte quand il n’est pas radicalement absent, 2) que l'engagement citoyen seul peut nous sauver et que 3) celui-ci passe nécessairement par une revalorisation du politique.

1) Des démocraties sans demos

Sortons un instant du cadre de la Francophonie pour nous ouvrir au monde. Le dirigeant charismatique, l’homme fort est de retour et fascine sur tous les continents. Il s’appelle Vladimir Poutine, Xi Jin Ping, Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan, Rodrigo Duterte … et surfe sur une vague mondiale de populismes multiformes. La légitimité légale, constitutionnelle, soutien de la démocratie et de l’État de droit cède la place aux légitimités traditionnelle et charismatique. De tels développements sont annonceurs de changements profonds, de bouleversements, de transformations. Le leader charismatique wébérien est transformationnel. Il porte en lui la révolution. Il se nourrit de et existe par la frustration de peuples marginalisés, exclus, coupés des foyers de décision et pour qui le recours au conflit comme stratégie est presque obligé. Alors, ils jettent un pavé dans la mare. Contre le « système ».

En Haïti, depuis notre entrée formelle dans la démocratie sans demos, (après la chute de la dictature des Duvalier, en 1987) le peuple, lorsqu’il se donne la peine de participer aux élections, n’a pas cessé de nous surprendre par sa résistance aux formes convenues qu’on veut lui imposer, en choisissant systématiquement à contre courant, en donnant sa voix aux politiciens amateurs au détriment du politicien conventionnel. Ainsi, pour citer ma jeune collègue de l’université Quisqueya, Patricia Camilien, « le prêtre contre le technocrate. Le jumeau du prêtre contre le professeur d’université. Le musicien contre la professeure. Puis enfin, l'homme-banane, comme il ne restait plus rien». Obligé de choisir par opposition le peuple se dispense de mobiliser  la plénitude de ses moyens d’action et il est le seul à en payer le prix, car les élites comme l’étranger finissent toujours par se tirer d’affaire.

Des penseurs des plus érudits se sont accordés pour dire du mal du peuple et ils ont peut-être quelque raison. Mais comment promouvoir la démocratie quand nous continuons de croire avec Socrate, Platon, Flaubert, Hugo et Voltaire que le demos est un animal instable et aveugle, incapable de gouverner, un éternel mineur, un âne qui se cabre, bref, la canaille ?

Un tel état d’esprit a fini par mener à l’installation d’une oligarchie qui ne dit pas son nom et aboutit à des situations où, dans la grande démocratie américaine, sur 1779 politiques étudiées, il est ressorti  que la plupart de ces politiques publiques prennent naissance sous l’influence des élites économiques et des lobbies représentant  les intérêts des milieux d’affaires, ignorant la perspective  et les besoins des citoyens ordinaires. Parus en 2014, les résultats de cette étude conjointe de deux chercheurs des universités Princeton et Northwestern n’ont pas dû étonner le demos américain qui, deux ans plus tard, allait se « venger » avec l’élection de The Donald. Un peu comme les Haïtiens l’avaient fait six ans plus tôt avec Sweet Micky. Par désenchantement, le peuple choisit un chanteur. Mais le désenchantement persiste.

On est ici tenté par les références à l’anacyclose, cette théorie cyclique du basculement des régimes politiques développée par Platon dans la République et  reprise par Nicolas Machiavel dans Les Discours, dans laquelle il décrit successivement quatre formes de cités et d’hommes injustes correspondant à quatre degrés de corruption de la justice. Le tyran qui vient mettre l’ordre après le chaos de la démocratie aux Philippines, en Turquie ou en Hongrie, n’est-ce pas la réalisation des prédictions de tous ces penseurs illustres se méfiant de la démocratie, de Socrate à Montesquieu ?

Pourtant, c’est parce que de telles références sont tentantes qu’il faut y résister. Il faudrait commencer par s’assurer que le demos s’est effectivement saisi de sa démocratie avant de l’accuser d’en avoir causé les problèmes. Périclès, grand défenseur de la démocratie, n’en a pas lui-même été capable. Dans le Livre III de son Histoire, Thucydide écrit : « Avec Périclès, sous le nom de démocratie, c’était en fait le premier des citoyens qui dirigeait». L’idée de la démocratie semblait plus séduisante que la démocratie elle-même.

Aujourd’hui encore, cette approche idéelle de la démocratie subsiste. En Haïti – comme dans beaucoup d’autres pays de la Francophonie – les élections sont une obligation faite par une communauté internationale qui en a fait une condition sine qua non de sa « coopération » et qui nous accompagne à travers assistance technique, observation électorale et financement de la société civile, de « sa » société civile. Ce qui importe, ce n’est pas tant la réalisation d’élections démocratiques que l’illusion d’un processus démocratique émulant, parodiant les processus des démocraties occidentales. La volonté des peuples cède le pas au mirage des élections. Et lorsque les résultats qui s’annoncent surprennent les attentes, la communauté internationale n’hésite pas à intervenir directement pour rectifier les écarts du demos. Lors  d’une table ronde organisée par l’Université Quisqueya le 6 février 2015 sur le processus électoral, le président du Conseil électoral Monsieur Pierre Louis Opont, avoua publiquement que les résultats des élections présidentielles publiés en 2010 sont exactement l’opposé des résultats émanant des urnes, suite à une intervention expresse de la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Combien de fois, ouvertement ou sous la table, n’avons-nous pas vu telle puissance « amie » intervenir directement ou par voie détournée, pour ou contre tel candidat ? Voici comment les pouvoirs nationaux, avec la complicité de la communauté internationale, réussissent ainsi à faire taire le demos.

Et puis, nous nous étonnerons de la faible participation du demos et de son désenchantement vis-à-vis du politique. Nous entendrons l’Occident lui-même crier au scandale et en faire un casus belli lorsque ses propres processus électoraux deviennent assujettis aux manipulations de malins comme Vladimir Putin.

Le peuple se complait désormais dans un cynisme qui désarme et l’abstention devient une arme entre les mains du demos pour dire à nos élites que ce simulacre ne le concerne pas. La politique n’en est plus qu’une sorte de sport-spectacle dont les enjeux semblent bien éloignés des préoccupations du citoyen moyen.

2) La politique comme sport-spectacle

Haïti est sous assistance démocratique depuis près de 30 ans, avec une présence accrue de la communauté internationale depuis 1991. Déclinées en MICIVIH (Mission civile internationale en Haïti), MINUHA (Mission des Nations Unies en Haïti), en MINU TRUC, et depuis avril 2017 en Mission des Nations Unies pour l’Appui à  la Justice (MINUJUST) (que le peuple, par dérision, appelle MINI JUPE), près d’une dizaine d’interventions de cette communauté internationale, ont prétendu contribuer au renforcement de l’Etat de droit et de la démocratie, de la protection des droits de l’homme, du renforcement de la police. L’avant-dernière mission, la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) a durée 13 ans, de 2004 à 2017 et coûté neuf milliards de dollars. Des tanks et des blindés sont restés des années dans des villages de quelques milliers d’habitants où il n’existe même pas un seul fusil, alors que le président René Préval s’époumonait à réclamer en vain des tracteurs et des bulldozers pour tracer des routes et réparer les canaux d’irrigation.

27 après, nous n’avons jamais réussi à tenir une seule bonne élection ; toutes les élections ont toujours été contestées et n’ont été satisfaisantes qu’au regard de la communauté internationale et de ses observateurs internationaux. 27 ans après, les partis politiques sont plus faibles qu’avant. 27 ans après, le système judiciaire est corrompu, inefficace et est la risée de la population. Le Parlement est devenu le refuge idéal pour les contrebandiers et les trafiquants de drogue en quête d’impunité. Nous ne disposons d’aucun mécanisme stable et crédible pour organiser des élections correctes et nous devons dépendre d’une couteuse assistance technique de la communauté internationale pour gérer les opérations les plus élémentaires. La Police nationale, en plus d’être mal équipée et sous formée, est tout aussi inefficace et décriée. Faut-il ajouter à ce remarquable bilan de la communauté internationale, que le choléra a été introduit en Haïti par la MINUSTAH  et que les Nations- Unies ont passé des années à nier cette responsabilité, s’adossant à des rapports « scientifiques » expressément commandités, jusqu’au moment des aveux tardifs et pathétiques de  Ban ki moon, dans son dernier discours, à la fin de son mandat comme secrétaire général des Nations Unies?

 

Comment ne pas comprendre le scepticisme des Haïtiens par rapport aux processus électoraux? Le cas de l’intervention de Hillary Clinton lors des élections de 2010 n’est pas un cas isolé. Combien de fois, certaines ambassades puissantes, n’ont-elles pas applaudi tels résultats des élections avant le communiqué officiel du conseil électoral ? ou fait savoir clairement leur préférence pour tel candidat ? ou annoncé à la classe des affaires lequel des candidats allait remporter la course ?

Ici encore, Haïti n’est pas un cas unique. Publié en décembre 2017, le baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le Cevipof, confirme que le climat entre citoyens et élus continue à se détériorer en France. Les Français sont « méfiants » et « dégoutés » par la « corruption » des politiques. Sur 10 Français, 8 estiment que les politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens, 6 qu’ils ne se préoccupent que des riches et des puissants et 3 à déclarer qu’ils ne méritent aucun respect. Dans le reste du monde, les résultats ne sont pas meilleurs. D’après le Pew Research Center, en 2017, seulement 18% des Américains déclarent pouvoir faire confiance au gouvernement fédéral pour faire ce qui est juste, presque toujours (3%) ou la plupart du temps (15%). La première fois que cette question a été posée en 1958, 3 Américains sur 4 faisaient confiance à Washington. Dans les pays de l’OCDÉ, le pourcentage varie entre 80% (Suisse) et 13% (Grèce) mais, à 43%, la moyenne est sur une pente déclinante depuis 10 ans.

La référence récurrente à « 10 ans » est importante. Il y a dix ans, la crise financière a vu s’effondrer des économies partout sur le globe et s’envoler le nombre de milliardaires alors que les politiques adoptaient des mesures d’austérité qui ont encore creusé les inégalités et aggravé la pauvreté. Toutefois, en dépit des tendances au déclin de la confiance dans les politiques, la confiance dans le système et les principes démocratiques continue d’être très élevée. Le Global Attitude Survey du Pew Research Center accuse une médiane globale de 78% de supports pour la démocratie participative. Ils sont 6 Ghanéens, Suèdes, Sénégalais et Tanzaniens sur 10 à croire que la démocratie représentative est très bonne. Ceci suggère donc que le manque de confiance dans les autorités politiques n’est pas forcément au détriment de la démocratie. La méfiance peut même renouveler la démocratie lorsqu’elle se traduit par un scepticisme actif plutôt qu’un cynisme passif. La démocratie directe – où les citoyens et non leurs représentants votent sur les grandes questions nationales - semble s’offrir comme une réponse, avec deux tiers de la population mondiale y étant favorable, indépendamment de leur région. En Europe, la Turquie soutient le gouvernement par référendum à 84%. Au Proche-Orient et en Afrique, le Liban (83%) et le Kenya (80%) soutiennent aussi la démocratie directe.

Partout dans le monde, des mouvements citoyens en faveur d’une participation citoyenne accrue se multiplient de la Women’s March aux États-Unis d’Amérique à Trase Chimen en Haïti.

3) La revalorisation du politique

Lancé il y a un an par une centaine d’Haïtiens d’horizons divers, le mouvement Trase Nouvo Chimen invitait à faire le constat de l’échec du modèle haïtien et à « tracer un nouveau chemin pour Haïti »:

Après trente ans de tergiversations, trente années où Haïti a servi de laboratoire à des projets aussi nombreux qu’infructueux, il y a au moins une leçon que nous avons tous pu tirer : le développement ne vient pas de l’extérieur et ne se matérialise pas à coup de projets ponctuels. Le développement d’Haïti ne peut se faire que sur la durée et par les Haïtiens. Vient le temps de reconstituer et de sauvegarder les lieux de l’engagement démocratique et de mettre en place les outils de combat pour un développement inclusif et durable. Vous impliquerez-vous ?

L’appel a été entendu et propagé par quelques milliers d’Haïtiens qui, aujourd’hui, commencent à s’organiser pour « arriver à une entente sur des propositions claires de politiques publiques et de gouvernance dans l’intérêt général, au-delà des débats habituels autour de la production agricole, le besoin d'infrastructures ou d’autres aspects sectoriels ».

Le premier et plus difficile combat est celui d’enlever au politique le voile d’opprobre qui est le sien depuis quelques années. En Haïti, faire de la politique, c’est un peu comme faire partie de la mafia, ou pour faire plus juste, être dealer de drogue. Ce n’est pas bien vu comme métier. Faire son coming-out à sa famille est un moment difficile où sa vertu, son honnêteté, voir sa santé mentale sont remises en question. Chez nous, la figure du politicien voleur est bien ancrée. La seule autre image susceptible de la surpasser en termes de popularité est celle de l'entrepreneur créateur de valeur. La figure du leader héroïque de Sillicon Valley et ses milliards de dollars est très encensée. Ses ersatz locaux – généralement jeunes et branchés – sont les rois des réseaux sociaux. Naturellement, le héros de la Sillicon Valley a aussi ses milliards d'exploités du Tiers-Monde, mais on n’en parle pas. La solution est technologique. La technologie réglera tout. Vive la Startup Nation. Pourtant il est une technologie qui a fait ses preuves, une technologie aussi vieille que nous et que nous négligeons: la politique, technologie de gestion de la cité.

Le champ politique est le premier lieu de détermination des inégalités dans une société. C’est la politique qui définit les règles du jeu, les cadres normatifs qui façonnent le quotidien du citoyen. L’égalité politique conditionne les autres formes d’égalités sociales, économiques et autres. Le demos ne doit pas abandonner ce champ aux seuls experts et professionnels. Il importe donc, pour que se réalise le rêve de Bamako, que les peuples participent du jeu politique et à l’élaboration de ses règles.

Pour finir, je dirai, qu’il nous faut garder en mémoire que les États n’ont que des intérêts et que le monde ne se fait pas par enchantements ou incantations morales; mais sur la base de rationalités économiques.

En ce sens, le combat d’Haïti est aussi celui de l’Afrique et d’une grande partie de l’espace francophone. Si la Francophonie comme institution veut nous y rencontrer, elle est bien venue ; à charge par elle de résister à ce puissant courant d’hypocrisie qui caractérise les rapports de l’Occident avec le reste du monde.

De quelle manière ?

Par exemple, en récusant ces atriums internationaux- je pense, notamment, à la Cour pénale internationale-, qui nourrissent leur jurisprudence sur le dos de l’Afrique en exemptant ostensiblement les malfaisants puissants, contre toute évidence.

Par exemple, en réfutant les libertés que les puissants se donnent avec le droit international dont ils réclament l’application avec rigueur mais jamais,  en dépit de l’évidence, pour accepter que leurs alliés se retrouvent au banc des accusés.

La communauté internationale, à cause de la distance qui s’installe entre le dire et le faire, en matière du respect du droit international, est en train de perdre sa crédibilité auprès des citoyens du monde entier.

Le grand et controversé dramaturge allemand d’obédience communiste, Bertolt Brecht, proposait, provocateur, de dissoudre le peuple s’il votait contre le gouvernement. Dans l’espace francophone, certains s’y emploient régulièrement. Mais cela n’est évidemment pas possible. On ne dissout pas un peuple… et sa patience a une limite.

Merci de votre attention