Maurice Bandaman (Ministre ivoirien de la Culture et de la Francophonie) : « La Côte d'Ivoire est un pays en pleine ébullition culturelle »
Ecrivain et romancier à succès, Maurice Kouakou Bandaman est ministre de la Culture et de la Francophonie depuis 2011, après avoir présidé l'Association des écrivains de Côte d'Ivoire de 2000 à 2004, puis le Conseil d'administration de la RTI de 2004 à 2006. Nous l'avons rencontré au Salon international du Livre d'Abidjan (SILA 2018) en pleine dédicace de ses nombreux ouvrages. Interview.
Propos recueillis à Abidjan par Bruno Fanucchi
Le Salon international du Livre d'Abidjan (SILA), qui vient de se tenir au Palais de la Culture de Treichville du 16 au 20 mai 2018, est devenu un événement annuel incontournable en Afrique ?
Maurice Kouakou Bandaman :
Ce salon du Livre, dont c'est actuellement la 10ème édition, existe en réalité depuis 20 ans, mais c'était au départ une biennale, qui fut interrompue pendant plusieurs années par les événements douloureux qu'a connu la Côte d'Ivoire. Depuis 2012, je me suis employé à ce qu'il devienne un Salon annuel qui rencontre d'ailleurs un grand succès. L'an dernier, nous avons eu plus de 80.000 visiteurs et nous en attendons encore plus cette année puisque le Salon dure cinq jours avec un long week-end de fête de la Pentecôte pouvant attirer – je l'espère – de nombreuses familles. Grâce au travail assidu de son Commissaire général, Anges Félix N'Dakpri, président de l'Association des Editeurs de Côte d'Ivoire (Assedi) qui fête cette année ses 20 ans, et de toute son équipe, nous avons sur ce Salon une quarantaine d'exposants et plus d'une cinquantaine d'auteurs présents.
Quel est le thème retenu pour cette 10ème édition ?
Le thème du Salon 2018 est de célébrer le Livre comme un « vecteur des identités culturelles ». Nos identités, en effet, se perdent face à la mondialisation et aux réseaux sociaux qui envahissent nos vie. Mais comme disait l'auteur, « la beauté d'un tapis est liée à la diversité des couleurs » et c'est cette diversité culturelle et cette richesse culturelle de l'Afrique qu'il nous sauvegarder et défendre. Dans cette dynamique, le Livre est bel et bien un vecteur de nos différentes identités culturelles auxquelles nous sommes très attachés. Il nous faire du Livre un pare-feu contre les replis identitaires. Car ce qui se joue derrière les attentats et les guerres, dont nous sommes les témoins, c'est la conquête des esprits, la destruction des différences, le refus de la diversité des civilisations et des peuples.
« Une centaine de nouveaux titres par an,
cela prouve qu'il y a un marché du Livre »
Et quelles sont les nouveautés de ce Salon, dont les Etats-Unis sont invités d'honneur ?
Les Etats-Unis, et l'ambassade américaine à Abidjan en particulier, sont très actifs et dynamiques dans le domaine culturel et nous accompagnent et soutiennent depuis longtemps. Il était donc normal que ce pays – qui n'est pourtant pas francophone – soit mis cette année à l'honneur. Avec plusieurs écrivains américains de talent comme Donald Grant, auteur-illustrateur d'albums pour enfants qui est – il est vrai – parfaitement francophone car installé en France depuis longtemps.
De nouveaux Prix ont également été créés cette année comme le Prix Paul Ahizi décerné par l'Association des écrivains de Côte d'Ivoire, dont ce fut le tout premier président. Ou comme le Prix SILA des Médias ou le Prix SILA de la relève récompensant en quelque sorte les jeunes lecteurs qui seront peut-être nos grands écrivains et auteurs de demain. Le Grand Prix Bernard Dadié a été, quant à lui, décerné à Serge Bilé, couronné pour « Boni », son dernier ouvrage, et son important travail de mémoire. Tout ceci est donc très encourageant.
Que peut-on faire de plus pour pousser les Africains en général, et les Ivoiriens en particulier, à lire davantage et à acheter plus de livres ?
Que le Livre soit de plus en plus accessible avec des prix moins chers, pour être ainsi à la portée de tous. Sur le Salon, dont l'entrée est gratuite, une remise de 20 % était faite par tous les éditeurs. C'est un bel effort pour promouvoir le Livre et la lecture. Depuis une dizaine d'années, une centaine de nouveaux titres par an sont édités et publiés en Côte d'Ivoire - contre trois à cinq titres seulement par an il y a vingtaine d'années - et je m'en réjouis car cela signifie qu'il y a un marché ! Avec en moyenne des tirages de 2000 à 3000 exemplaires, ce qui est tout à fait respectable. Même en France et en Belgique, pays de vieille culture et tradition littéraire, bien des titres n'ont pas de tirage supérieur.
Vous êtes donc un ministre de la Culture et de la Francophonie heureux ? Donnez-nous quelques autres exemples de votre action à la tête de ce département...
Mon ministère ne s'occupe pas, en effet, que de la promotion du Livre, mais de la Culture en général dans toutes ses expressions : la peinture, le théâtre, le cinéma, la musique, tout notre patrimoine culturel qui est si riche car la Culture, c'est la vie !
Nous avons ainsi créé depuis 2011 un Centre culturel du cinéma qui fonctionne parfaitement et soutient la production nationale et de nombreux films. Et nous avons pris bien d'autres initiatives comme le fait d'inscrire la ville historique de Bassam (notre ancienne capitale) au Patrimoine mondial de l'Unesco. La Côte d'Ivoire est aujourd'hui un pays en pleine ébullition culturelle.
« Tous les écrivains africains
rêvent d'être au Salon de Paris »
Vous rentrez du Mali, où vous étiez en mission à Sikasso...
C'est exact. Avec les villes de Sikasso au Mali, Bobo Dioulasso au Burkina Faso et Korogho, dans le nord de la Côte d'Ivoire, nous avons en partage la culture du balafon que pratique le peuple sénoufo vivant à cheval sur ces trois pays. Et nos trois gouvernements ont pris l'initiative de créer entre ces trois villes une « zone d'économie spéciale » pour leur permettre de développer de concert leurs activités économiques, touristiques et culturelles et de récréer ainsi l'unité culturelle du « Royaume de Traoré ». Cette convergence culturelle va permettre de favoriser la circulation des hommes et des biens dans cet espace commun qui correspond au « Triangle du balafon », comme s'intitule le Festival se déroulant tous les deux ans à Sikasso.
Vous vous êtes également engagé dans le Salon du Livre de Paris en soutenant le Pavillon des Lettres d'Afrique. Cette initiative originale a-t-elle répondu à toutes vos attentes ?
Le Salon du Livre de Paris est le plus grand Salon de l'espace francophone et tous les écrivains africains rêvent d'être à Paris et invités à ce Salon qui leur apporte une reconnaissance. Cette belle idée du Pavillon des Lettres d'Afrique vise à créer des synergies et à donner une meilleur audience et visibilité à la littérature et aux auteurs africains. Sa créatrice et présidente, Mme Aminata Diop, m'a convaincu avec talent de la nécessité que la Côte d'Ivoire prenne l'initiative de fédérer et de sensibiliser un certain nombre de pays africains à cette cause. Je m'y suis employé le mieux possible et j'ai été comblé par cette belle réussite. L'an dernier, nous étions déjà six ou sept pays présents sur le Pavillon des Lettres d'Afrique et, cette année, près d'une dizaine. Le Salon tient donc ses promesses.
Ecrivain et romancier à succès, vous êtes aussi un homme politique. Avez-vous encore le temps d'écrire et quel est votre prochain ouvrage à paraître ?
Un écrivain né ne peut se passer de l'écriture qui est à la fois un sacerdoce, une manière de concevoir la vie et parfois aussi une thérapie. Je continue donc d'écrire avec plaisir même si je le fais moins souvent en raison de charges ministérielles qui, depuis 2011, sont très lourdes et très prenantes. Je viens de publier mon dernier ouvrage aux Editions Eburnie, que dirige avec un grand professionnalisme Marie-Agathe Amoikon, une pionnière de l'édition dans notre pays. C'est une pièce de théâtre intitulée : « La reine et la montagne ». Et j'ai, bien sûr, un roman en préparation.
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