Patrice Fonlladosa : "Après la tornade sanitaire en Afrique, l'informel sera nul doute une ressource"

Patrice Fonlladosa :

Patrice Fonlladosa, président Afrique du Centre d'études et de prospective stratégique (CEPS) et ancien président Afrique du MEDEF International


Le secteur « informel » ne cesse de s'accroître en Afrique, où il représente déjà plus de 70 % des emplois en zone urbaine. Face à cette réalité, il convient au secteur privé de mieux s'organiser pour attirer les talents. Pour faire face aussi à la « tornade » sanitaire que va connaître le Continent. Ancien Président Afrique du MEDEF International, Patrice Fonlladosa est aujourd'hui Président Afrique du Centre d'études et de prospective stratégique (CEPS).

Une contribution de Patrice Fonlladosa

Reviennent de façon récurrente ces analyses et les regards croisés sur le sujet qui met mal à l’aise, objet difforme et qu’on n’enseigne pas, qui ne s’illustre dans aucun colloque, aucune réunion, et inspire tant de gène de la part des institutions : le poids écrasant du secteur « informel » en Afrique. J’ai choisi d’y mettre des guillemets, alors que - selon les Classements 2018 du FMI - il représente 70% des emplois en zone urbaine et plus de 90% des nouveaux emplois créés sur la dernière décennie. Aucune discrimination cette fois, ce sont presque autant d’hommes que de femmes qui sont concernés, à quelques poucentages près.

Et pourtant, « informel » ne veut pas dire inorganisé ou chaotique : certains secteurs sont très hiérarchisés, structurés et fonctionnent tout simplement en parallèle des Etats et des systèmes institutionnels, avec leurs propres codes et leurs règles. Ils sont l’héritage des faillites de gouvernance et des politiques publiques molles dans le simple objet le plus souvent de survivre en environnement difficile. Vouloir sanctionner, taxer et contraindre n’a jamais, et dans aucun des cas pratiqués depuis 30 ans par différents Etats sur le Continent, produit le début même d’un résultat positif d’intégration.

Selon l’OIT, en 2018 ce sont plus de 76% des travailleurs africains qui exercent leurs métiers hors législation. Donc, sans couverture sociale, sans assurances, sans retraites... Les groupes privés qui, eux, sont soumis aux règles générales et les appliquent deviennent le socle fiscalisé de plus en plus étroit sur lesquels les Etats interviennent pour boucler leur budget annuel le plus souvent sous-estimé, parfois au point d’en détourner certains du Continent qui préfèrent un peu plus de régulation, si c’est au profit d’une vision à plus long terme.

"De 13 à 17 millions de jeunes arrivent

chaque année sur le marché du travail"

Pourtant, rien d’inéluctable. Le Rwanda par exemple - et pour ne prendre que lui - montre des pistes d’inversion progressive et d’inclusion car ce pays, selon le FMI, a vu reculer notablement le poids de « l’informel ». Refonte du droit commercial, innovation dans les accès au crédit sous différentes formes, mécanismes de micro-assurances pour les entrepreneurs, en quelques années il est devenu plus intéressant et protecteur pour envisager sereinement le moyen long terme d’emprunter les chemins d’une fiscalisation souple et progressive qui permet, étape par étape, d’accéder à de meilleures sources de financement. De se structurer pour attirer les talents.

Nous avions donc, jusqu’à récemment, des raisons de croire. Et dans les conditions actuelles, il revient au secteur privé, vecteur d’innovation par essence, et aux Africains eux-mêmes de réclamer à leurs dirigeants les politiques pragmatiques qu’ils méritent amplement. 

Si cela était il y a moins d’un mois encore atteignable et faisable, je n’oublie pas pour autant que chaque année ce sont de 13 à 17 millions de jeunes Africains qui arrivent sur le marché du travail et plus de 30% d’entre eux ne vont exercer aucune activité. Pas même une activité sporadique. Concentrés sur leurs téléphones portables, ils observent l’activité des autres et les lumières du monde… Et, soyons en sûrs, ils se mettront en marche parce qu’ils veulent vivre eux aussi. Tout simplement. Et que la « tornade » sanitaire qui s’annonce en Afrique va venir remettre en cause des années d’efforts. Nous ne pourrons pas tourner le regard, demain le secteur informel sera nul doute une ressource. 

Patrice Fonlladosa

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