Présidence de la Banque mondiale: Abidjan a-t-il joué contre la nomination de Tidjane Thiam à la tête de l’institution financière ?
L'Ivoirien Tidjane Thiam était à un pas de prendre la tête de la présidence de la Banque mondiale
Après la démission de l’Américain Jim Yong Kim de la présidence de la Banque mondiale en février 2019, de nombreux pays africains souhaitaient que l’Ivoirien Tidjane Thiam soit désigné pour lui succéder. Selon plusieurs sources, les autorités ivoiriennes auraient joué contre sa candidature. Retour sur une affaire longtemps gardée dans le secret des coffres-forts de l’institution financière.
Par Clément Yao
Désormais, on en sait un peu plus sur les raisons pour lesquelles la présidence de la Banque mondiale a échappé, de justesse, à l’Afrique après la démission prématurée de Jim Yong Kim, quatre années avant la fin de son second mandat. Des confidences qui ont fuité des affaires classées de l’institution ont laissé entendre que le nom de l’ancien Directeur général de Crédit Suisse (de 2015 à 2020), l’Ivoirien Tidjane Thiam, aurait fait l’unanimité au sein des représentants africains de la banque pour le remplacer.
Aussitôt, le gouvernement ivoirien aurait été saisi pour informer ce dernier que sa candidature était souhaitée et serait soutenue par les pays africains. Cette demande est restée sans suite et n’a jamais été transmise à Tidjane Thiam. De surcroit, les mêmes autorités ont laissé croire que la proposition avait été transmise à Tidjane Thiam, et qu’il n’était pas…intéressé par cette opportunité.
Il est certain que la candidature de Tidjane Thiam
aurait été soutenue par la France…
Manifestement, Abidjan ne souhaitait pas la candidature de celui qui a été reconnu par Euromoney, Banker of the Year en 2018 et en 2019, et n’a pas hésité, semble-t-il, à utiliser le « mensonge d’Etat » et la dissimulation pour arriver à ses fins.
Il est certain que cette candidature aurait été soutenue par la France dont le Président, Emmanuel Macron, a récemment proposé à Tidjane Thiam le poste de Ministre des Finances dans son gouvernement. Naturellement, la présidence de la Banque mondiale échappa à l’Afrique au profit d’un autre Américain, David Malpass.
Voilà une belle opportunité manquée pour tout le Continent de voir un de ses fils présider pour la première fois cette prestigieuse institution de Bretton Wood.
Une source proche du dossier, a confirmé l’obstruction à la candidature de Tidjane Thiam pour diriger la Banque Mondiale. Lui qui venait d’être promu nouveau président du Comité d’audit et des finances du Groupe Kering, membre du Group of 30, cercle d’économistes prestigieux rassemblant plusieurs prix Nobels et récemment nommé comme l’un des quatre membres de la très influente Commission Finances du Comité International Olympique. « C’est avec stupéfaction que Tidjane Thiam a appris ces informations sur le comportement des actuelles autorités ivoiriennes à son égard. Il ne comprend pas pourquoi des Ivoiriens se seraient conduits d’une manière qui nuise aussi directement aux intérêts de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique », peste la source.
Une affaire similaire a été également exhumée. Il s’agit d’une autre institution financière, tout aussi prestigieuse, qui aurait fait les mêmes démarches auprès des autorités ivoiriennes pour s’arracher les compétences de l’ancien Président du Conseil d’administration de l’Association des Assureurs Britanniques (2012 à 2014). En guise de réponse, Abidjan aurait recommandé à ces personnes de trouver un « autre canal » pour contacter l’intéressé.
Cette attitude suscite, bien évidemment, de nombreuses interrogations. Pour quelles raisons Abidjan n’aurait-il pas proposé la candidature de Tidjane Thiam, figure internationale de premier plan, à la tête de la Banque mondiale ? Qui avait intérêt à torpiller sa candidature ? A qui profite ce mépris à l’égard de l’ancien Directeur général de Crédit Suisse ? Tidjane Thiam dérange-t-il, tout autant, le pouvoir d’Abidjan que les potentiels candidats à l’élection présidentielle ?
« Vraisemblablement, la course à la présidentielle en Côte d’Ivoire y est pour quelque chose », commente notre source qui ne cache pas que « bien que n’étant candidat à rien, Tidjane Thiam fait peur à l’entourage du pouvoir d’Abidjan. Pour ses détracteurs, il n’est pas question de faire la promotion de leur adversaire de demain. Ceci explique cela. »
Nous avons cherché, en vain, à rentrer en contact avec le concerné, lui-même, et les quelques personnes qui lui sont proches pour en savoir davantage sur cette affaire qui pourrait entacher la fin du second mandat du président ivoirien Alassane Ouattara. Si cette affaire est avérée, c’est toute l’Afrique qui aurait perdu l’opportunité de prendre la tête de la Banque mondiale.
En avril dernier, Tidjane Thiam a été coopté par le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, président en exercice de l’Union Africaine, pour faire partie du quatuor des envoyés spéciaux du Continent mandatés pour mobiliser des fonds internationaux en appui à la riposte sanitaire et économique contre le COVID-19. La manière dont il a été recruté sans l’avis des autorités ivoiriennes, aurait déplu au président ivoirien, Alassane Ouattara, qui n’aurait pas caché sa colère. On comprend mieux maintenant pourquoi Abidjan ne fut pas consulté cette fois-ci.
En attendant de faire toute la lumière sur toutes ces affaires embarrassantes pour le régime d’Abidjan, celui qui a fait le bonheur de Crédit Suisse en réalisant ses profits annuels les plus élevés depuis 10 ans quand il en était le patron, et celui du Groupe d’assurance Prudential (2009 – 2015) en triplant sa capitalisation boursière, dépassant les 60 milliards de dollars américains, poursuit sa carrière internationale, loin des querelles de clocher, des clameurs et des petits calculs politiques sur les bords de la lagune Ebrié.
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