Abshir Aden Ferro : « La Somalie ne doit pas tomber aux mains des Shebabs »
Abshir Aden Ferro, président de l'« Alliance du Futur » (Photo : @Frédéric Reglain)
Ce sera peut-être le prochain Président de la Somalie. A deux mois de l'élection présidentielle prévue le 8 février prochain dans ce pays de la Corne de l'Afrique, Abshir Aden Ferro, président de l' « Alliance du Futur », de passage à Paris, répond en exclusivité à nos questions d'actualité. Et lance ce cri d'alarme à la communauté internationale.
Propos recueillis par Bruno Fanucchi
Le 8 février prochain, les grands électeurs somaliens (constitués des parlementaires et des chefs de tribus) désigneront un nouveau Président de la République pour un mandat de 4 ans. Pourquoi êtes-vous candidat ?
Abshir Aden Ferro :
Je me suis porté candidat parce que, dans ce pays qui fait l'objet de toutes les convoitises et est devenu le terrain de jeu des affrontements et rivalités des grandes puissances, tout est à reconstruire. Il faut y rétablir au plus vite la sécurité, la stabilité et l'Etat de droit pour permettre à l'économie de redémarrer et aux investisseurs de revenir. Mon pays, si mal géré depuis plusieurs décennies, a besoin d'un vrai leader.
Faisons un peu de géopolitique. Tout le monde s'intéresse aujourd'hui à l'Afrique et particulièrement à cette zone stratégique que représente la Corne de l'Afrique : les Turcs, les Qatari soutenus par les Iraniens, mais aussi les Emirati, les Egyptiens, les Saoudiens, les Israéliens. Les Chinois essaient de s'y implanter et les Russes d'y revenir alors que les Américains sont encore très présents dans la région. Mais les Somaliens doivent prendre leur destin en main car la Somalie ne doit pas tomber aux mains des Shebabs. Depuis cet été, j'ai lancé plusieurs mises en garde à l'approche de cette échéance capitale. Dans une contribution officielle pour tenter de dénouer la crise politique, j'ai ainsi proposé à l'automne que le mandat des députés actuels (venant à expiration en ce mois de décembre) soit prorogé de 2 ans pour pouvoir élire sereinement un Président en février prochain.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Si l'on n'y prend pas garde, « les Shebabs sont en passe de prendre le contrôle des élections législatives et présidentielles en Somalie », ai-je publiquement dénoncé dès le 5 octobre dernier dans un communiqué qui disait explicitement : « En voulant imposer un suffrage censitaire exigeant que chaque candidat député qui aura à élire le Président, paye 20.000 $ pour se présenter, le Président somalien Formaajo ouvre la porte aux Shebabs, à la corruption endémique et au chantage dans notre pays ».
Je réaffirme aujourd'hui avec force que la communauté internationale et les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies ne peuvent plus ignorer ce risque vital de voir s'installer le terrorisme à la tête du pays. Les nations qui veulent la paix et la normalisation doivent maintenant assumer leurs responsabilités en refusant ce hold-up électoral.
Le Président fédéral et les présidents des différentes régions du pays se sont finalement mis d'accord pour laisser tomber leur promesse d'organiser un scrutin selon la règle « One man, one vote ». Et plus personne ne sait vraiment comment cela va se passer. C'est un véritable souk de la politique.
Car le Président sortant ne cherche plus qu'une seule chose : se maintenir au pouvoir au moins deux ans de plus. Mais l'opposition ne veut pas en entendre parler. Nous entrons donc dans une période de grande inconnue et incertitude.
Mais ne vous présentez-vous pas aujourd'hui comme un recours, une alternance possible pour la Somalie ?
Mon pays m'appelle et je ferai mon devoir. Je vis depuis 30 ans à Londres, où une partie de ma famille a été contrainte de s'exiler pour fuir la guerre civile et où j'ai fondé une société spécialisée dans la Sécurité et le Développement économique, mais je suis régulièrement en Somalie sur le terrain. Depuis plus de 20 ans je m'active en coulisses pour que mon pays retrouve la paix, la stabilité et la prospérité. Je me suis ainsi investi au quotidien auprès de l'importante diaspora somalienne comme j'ai été bien souvent à la manœuvre dans des sommets internationaux - comme le Sommet de l'Elysée consacré à la Paix et à la Sécurité en Afrique en décembre 2013 - pour défendre avec discrétion et efficacité les intérêts de la Somalie et préparer son retour sur la scène internationale.
Quand on se lance dans un combat politique, il faut d'abord se donner les moyens de son ambition.
En 2019, j'ai donc créé un mouvement politique - « l'Alliance pour le futur » - pour rassembler et fédérer les énergies utiles au changement. En juin dernier, j'ai décidé de me lancer et de me porter candidat à la présidence pour faire bouger les choses car je veux être le « Monsieur Propre de la Somalie ». Le président John Fitzgerald Kennedy ne disait-il pas : « Plutôt que de demander à ton pays ce qu'il peut faire pour toi, demande toi ce que tu peux faire pour lui » ? C'est toute ma philosophie et le sens de mon engagement politique.
Un engagement pour lequel vous êtes même prêt à risquer votre vie ?
Je le dis sans détour dans le livre que je viens d'écrire, un livre au titre évocateur qui dit bien ce qu'il veut dire : « Ma vie pour la Somalie » (*). Le risque du sacrifice suprême, j’en ai bien conscience. Tous les jours j'y pense, mais je suis prêt à sacrifier ma vie pour que renaisse mon pays chéri, la Somalie. Il est nécessaire qu'un homme fort se lève pour défendre le peuple contre la corruption généralisée du pouvoir et la terreur que font régner les Shebabs.
Ce document, qui est à la fois un ouvrage autobiographique pour mieux me faire connaître et un résumé de mon programme politique, est du reste le premier livre jamais écrit par un homme politique candidat à l'élection présidentielle de ce pays à forte tradition orale. J'en suis fier. C 'est une première en Somalie et en Afrique. Je mets ainsi ma peau au bout de mes idées.
« Les Américains peuvent partir,
personne ne les regrettera »
Car le terrorisme frappe toujours cruellement en Somalie ?
Ce malheur n'en finit pas ! Le danger est là et il grandit chaque jour car personne n'a écouté nos alertes... Le vendredi 27 novembre, un nouvel attentat a ensanglanté le centre de Mogadiscio et j'ai perdu ce jour là plusieurs proches et connaissances. Huit jeunes du quartier qui, après avoir joué au foot, prenaient le thé sur une terrasse où un homme âgé entre 70 et 75 ans s'est fait exploser au milieu d'eux ! Je connaissais très bien trois d'entre eux qui étaient brillants, intelligents et courageux et je revois toutes les nuits l'image de leurs corps atrocement déchiquetés. Je ne comprends pas l'objectif d'Al Shabab, qui a aussitôt revendiqué cet attentat, en s'en prenant ainsi à notre propre peuple. Le 16 août dernier, les Shebabs avaient déjà perpétré un attentat sanglant faisant des dizaines de victimes dans un grand hôtel du bord de mer et une question se posait déjà : comment ont-ils pu pénétrer au cœur même de Mogadiscio pour commettre cet attentat entre deux « cheks points » de la police, si ce n'est grâce à d'inquiétantes complicités ?
Et désormais je me pose une autre question essentielle : ces terroristes sont-ils de vrais Somaliens ? Je pense aujourd'hui que non : ce sont des gens certes comme nous – avec la même couleur de peau – mais ce ne sont pas des enfants de la Somalie car aucun homme ne détruit sa propre richesse et son avenir.
Le Président Donald Trump vient d'annoncer le retrait des forces américaines de Somalie. Quelle est votre première réaction ?
Ils peuvent partir immédiatement et cela sera sans regret ! Cela concerne quelque 700 boy's et, si l'on y ajoute le personnel et la sécurité de l'imposante Ambassade américaine à Mogadiscio, cela fait à peu près 900 Américains. Personne ne les regrettera.
Les Américains – comme on me le rappelle souvent – ont été traumatisés par leur intervention en Somalie qui fut un cuisant échec et s'acheva de manière dramatique en octobre 1993 par l'épisode tragique dont Ridley Scott fit un film à succès « La chute du faucon noir ». Mais, dans une guerre, il y a toujours au moins deux adversaires et le traumatisme subi par les Somaliens, par mon peuple, a lui été cruellement oublié ou passé sous silence. C'est pourquoi je vais envoyer une carte postale à Donald Trump pour le féliciter de ce départ et lui dire merci ! La vision géopolitique de Joe Biden, qui va lui succéder le 20 janvier prochain, va être bien sûr différente. Wait and see !
La Somalie n'a plus besoin de mendier une aide quelconque à qui que ce soit. C'est un pays indépendant qui doit être respecté comme un partenaire important et incontournable pour la stabilité et le développement économique dans la Corne de l'Afrique. Ma priorité, c'est de défendre la Somalie, son peuple et ses intérêts bien compris sur la scène internationale, où nous avons un rôle à jouer dans cette région stratégique.
Vous avez la dent dure également à l'encontre des Nations Unies et de leur représentant en Somalie. Selon vous, cette mission a échoué ?
Les Nations unies ont, en effet, échoué en Somalie à ramener la paix et à organiser et superviser sereinement des élections démocratiques. C'est assurément l'un des plus grands et des plus honteux échecs de l'histoire des Nations Unies. En qualité de Président de l'Alliance du Futur et de candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle, j'ai fais contacter le 6 octobre dernier James Swan, représentant officiel du Secrétaire général des Nations Unies pour la Somalie, pour lui transmettre un message le mettant en garde contre les dérives possibles et inquiétantes de ce scrutin très mal préparé, mais il n'a même pas daigné accuser bonne réception de ce courrier électronique.
La guerre, qui se déroule depuis plusieurs mois en Ethiopie, aux frontières de la Somalie, a-t-elle des conséquences et répercussions sur votre pays ?
C'est un problème interne, sur lequel je n'ai pas à me prononcer, mais bien évidemment cette guerre entre le pouvoir central d'Addis Abeba et la région du Tigré nous affecte et a déjà des conséquences douloureuses pour toute la région, du Soudan à la Somalie. Nos économies sont en effet interdépendantes et il est donc urgent de mieux comprendre la situation et de trouver une solution pour ramener la paix. Nos voisins éthiopiens auraient pourtant dû apprendre et tirer les leçons de ce qui s'est passé chez nous comme au Soudan depuis trente ans. Et ne pas faire preuve d'une telle naïveté. Mais je ne veux pas m'ingérer dans les affaires internes de l'Ethiopie.
(*) « Ma vie pour la Somalie », aux Editions AfricaPresse. Paris, 208 pages, 18
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