Dogoh Logboh Myss Belmonde, Vice-présidente de l'Assemblée nationale ivoirienne : "Le Président Bédié a toujours sa place au RHDP…"
Classée parmi les vingt femmes les plus influentes de Côte d’Ivoire, Dogo Logboh Myss Belmonde vient d'être réélue à la vice-présidence de l’Assemblée nationale dominée par le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix). Elle nous livre son analyse sur l’actualité politique dans son pays.
Propos recueillis par Clément Yao
L'A.A : Pourquoi êtes-vous à Paris alors que tous les regards sont tournés vers la recomposition du nouveau bureau de l’hémicycle ivoirien, dont vous êtes une des vice-présidentes ?
Je suis à Paris pour assister à Ayo Paris 2019, une soirée de récompenses des meilleurs talents artistiques de la diaspora ivoirienne de France de l’année, à l’invitation d’une association qui a bien voulu associer le politique et la culture, qui peut et doit servir de tremplin pour faire passer des messages. Il ne faut pas l’oublier que la diaspora ivoirienne a également beaucoup souffert de la décennie de crise sociopolitique qu’a connue notre pays. Il était donc de notre devoir de profiter de ces occasions où les Ivoiriens de toute origine et de toute obédience politique sont réunis pour magnifier l’excellence, pour venir faire passer des messages de cohésion et de réconciliation.
"La culture est notre héritage et
notre patrimoine commun"
Comme vous le savez, la culture et la politique sont indissociables. La culture est l'âme même d'un peuple, l'expression d'un « vouloir-vivre ensemble », au-delà des inévitables différences qui peuvent paraître entre les citoyens d’un pays. La culture est notre héritage et notre patrimoine commun.
Tant que la politique restera sur le terrain du jeu démocratique, les Ivoiriens n’ont pas de craintes à se faire. C’est cette assurance que le Président Alassane Ouattara n’a de cesse de répéter qu’« il n’y aura rien en 2020 ». C’est ce message d’apaisement et de sérénité du chef de l’Etat que nous sommes venus partager avec la diaspora ivoirienne. Nous demandons à nos frères et sœurs de cultiver en leur sein la cohésion et l’amour pour leur patrie.
L'A.A : Vous n’êtes donc pas venue seule à cette cérémonie ?
Je fais partie, en effet, d’une forte délégation composée d’élus et de hauts responsables du pays conduite par M. Lanciné Diaby, le Directeur général du Fonds d’entretien routier (FER), parrain de la cérémonie placée sous le haut patronage du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly.
L'A.A : En dépit de l’assurance donnée par le président Ouattara, il n’en demeure pas moins que les Ivoiriens observent avec stupeur l’escalade d’une violence verbale qui fait planer sur le pays le spectre des années de crise ?
Je voudrais à mon tour rassurer les Ivoiriens en général et la diaspora ivoirienne en particulier. En 2010, la Côte d’Ivoire avait deux armées, en 2019, elle a une seule armée républicaine. En 2010, notre pays était divisé, en 2019, le pays est totalement pacifié. Autrement dit, la réalité de 2010 n’est pas celle de 2019 même si certains de nos compatriotes cherchent à se faire peur. Je pense que le Président Alassane Ouattara l’a dit : « n’ayons pas peur de l’année électorale de 2020. » Il est vrai qu’en Afrique, une année électorale rime souvent avec les crises et les guerres. Je reste convaincue que 2020 sera une année de paix. Nous ferons tout pour préserver la stabilité du pays et la paix sociale. C’est le rôle de chaque Ivoirien qui aime sa patrie. A commencer par nous les femmes, nous devons veiller à ce que le pays ne sombre plus. La Côte d’Ivoire doit tourner définitivement la page des crises répétées, et les Ivoiriens doivent se souvenir que la paix fut autrefois notre seconde religion. Notre pays doit redevenir cet havre de paix et l’exemple de la démocratie apaisée. Le Président de la République a promis de garantir la paix sociale en 2020, et je reste convaincue qu’il prendra toutes les mesures pour éviter à notre pays une année électorale de troubles.
L'A.A : L’éclatement de la coalition au pouvoir avec le départ de deux alliés importants, Bédié et Soro, n’est-il pas à l’origine de la dégradation de la situation socio-politique ?
Je considère qu’il y a eu le départ d’un seul allié et non deux, en la personne du président Henri Konan Bédié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Je rappelle que le Rassemblement des Républicains (RDR) et le PDCI étaient dans le groupement du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), et les deux mentors, à commencer par le président Bédié, avaient souhaité que le RHDP devienne un parti politique. Malheureusement, le président Bédié est parti du groupement pour des raisons qui lui sont propres. En revanche, je peux vous assurer que le dialogue entre les deux présidents n’a jamais été rompu. Ils se parlent.
"Le dialogue est l’arme des forts et non des faibles"
Comme disait le président Houphouët-Boigny : « le dialogue est l’arme des forts et non des faibles, c’est l’arme de ceux qui font passer leurs problèmes généraux avant les problèmes particuliers, avant les questions d’amour propre ». Je suis certaine qu’ils finiront par trouver un compromis, et le président Henri Konan Bédié reviendra dans la maison RHDP parce qu’il a toute sa place. Personne d’autre ne viendra occuper la place qui est la sienne.
L'A.A : Quelle est la portée de votre voix dans une Assemblée nationale très masculine, où la parité hommes-femmes est loin d’être égale à celle du Rwanda ?
La parité au sein de notre Assemblée nationale n’est certes pas encore atteinte, cependant, nous nourrissons beaucoup d’espoir. En effet, le président Ouattara avait promis d’accorder des postes de responsabilité aux femmes. Eh bien, il a tenu sa promesse après l’adoption le 6 mars dernier en Conseil des ministres du projet de loi instituant des mesures en faveur d’une meilleure représentation de la femme dans les Assemblées élues. Depuis son arrivée au pouvoir, le président Ouattara s’est toujours engagé à valoriser les compétences des femmes et à renforcer leur présence dans la gestion des affaires du pays. Ce projet de loi qui vise à établir une proportion de 30 % de femmes du nombre total de candidats aux élections législatives et locales sera très bientôt présenté à l’Assemblée nationale. C’est le cheminement pour arriver à la parité.
L'A.A : Il y a encore du chemin à faire avec 30 femmes seulement sur 252 députés...
J’aimerais d'abord faire cette petite rétrospective sur la représentation féminine dans l’hémicycle ivoirien. Elle a évolué de façon crescendo. Depuis 1975, c’est la première fois qu’il y a autant de femmes représentées. A l’époque, on en comptait que 10 sur les 117 députés. Ce nombre a augmenté au fil des législatures. A la 11ème législature de 2011-2016, notre Assemblée comptait 23 femmes, et aujourd’hui, elle en compte 30.
"Pour atteindre la parité tant rêvée,
il faut qu’il y ait un vivier de femmes"
Si je prends ma propre expérience, je pense que c’est aux femmes de se manifester et de donner envie de se faire élire. Le plus important pour moi, c’est qu’elles aient la volonté de se battre comme les hommes pour se faire élire à des postes électifs. Pour atteindre la parité tant rêvée, il faut qu’il y ait un vivier de femmes prêtes à entrer dans la vie politique. Autrement, il ne servirait à rien de parler de parité si au moment de faire les choix des candidats, les femmes ne se manifestent pas. L’objectif de cette loi est donc d’encourager les femmes à entrer en politique même si beaucoup d’entre elles considèrent que la politique reste un métier d’homme et un métier à risque qui exposerait leur vie privée.
L'A.A : Qu’en pensez-vous ?
Sans aucun doute, je pense que la femme peut faire de la politique en préservant sa vie privée. Il n’y a pas d’antinomie. La vie publique et la vie privée sont compatibles. Personnellement, je fais en sorte que ma vie publique n’impacte pas de façon négative ma vie privée. Jusqu’à présent, je pense l’avoir bien réussi. Je sais que ce n’est pas toujours facile dans un monde de misogynes et de machistes où les réseaux sociaux du tout numérique causent souvent beaucoup de torts. Mais on peut y arriver. Je demande donc aux femmes de ne pas avoir peur d'entrer en politique.
L'A.A : Quelle est la place réservée aux femmes dans l’hémicycle ivoirien ?
Les femmes députées ont toute leur place à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Le nouveau bureau, sous la présidence de M. Amadou Soumahoro, compte quatre femmes vice-présidentes et deux femmes secrétaires. Pour la petite histoire, à la fin de la cérémonie de la rentrée parlementaire à laquelle avait assisté le président de la République, il m’avait dit ceci : « Mesdames, je vous confie le président de l’Assemblée nationale. » Cela sous-entend que, si le président Soumahoro réussit son mandat, ce sera la victoire des femmes. Je comprends bien que c’est à nous qu’il a confié le président Soumahoro. N’en déplaise à ceux ou celles de l’opposition qui créent une polémique inutile après la formation du nouveau bureau de l’Assemblée nationale alors que les textes ont été scrupuleusement respectés.
L'A.A : L’opposition n’avait-elle pas droit à plus de postes ?
Contrairement à ce que raconte l’opposition, le nouveau président Amadou Soumahoro n’a violé aucun texte. Le règlement de notre hémicycle est clair. Il n’est pas question de quotas de groupes parlementaires dans le bureau de l’Assemblée nationale. Les textes stipulent que le président forme son bureau après consultation. Et sans plus. Il n’y a aucun calcul géométrique ni arithmétique à faire. Après consultation, le président de l’Assemblée nationale juge librement de l’utilité de choisir qui il veut pour former son bureau. Aucun chiffre et aucun nom ne lui sont imposés. Il ne faudrait pas que nos collègues de l’opposition fassent l’amalgame. En réalité, le premier bureau de l’Assemblée nationale avait été mis en place en 2017 sous la présidence du président Guillaume Soro.
"Je rassure les Ivoiriens, la démocratie n’est
pas foulée au pied à l’Assemblée nationale"
Aujourd’hui, il s’agit du renouvellement du bureau qui n’est pas issu d’une nouvelle législature. Je rassure les Ivoiriens, la démocratie n’est pas foulée au pied à l’Assemblée. Nous sommes le temple de la démocratie et nous n’avons aucun intérêt à fouler au pied nos textes et nos lois dont nous-mêmes en sommes les auteurs. Ces textes, nous les connaissons très bien. Je trouve dommage qu’ils soient mal interprétés par l’opposition à des fins politiques. Je pense que la première des préoccupations d’un élu doit être celle de ses administrés et non des querelles de postes. Ce n’est pas à nous autres, députés, de mettre en péril la stabilité du pays. Nous n’avons aucun intérêt à ouvrir une nouvelle crise. Nous devons revenir à la table de discussions comme l’a rappelé le président Soumahoro.
L'A.A : Grâce à votre politique de proximité et de développement, vous avez réussi à créer un lien fort entre les populations et le pouvoir alors que votre circonscription est supposée être le bastion imprenable du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo ?
Je suis une femme de terrain et je suis en permanence à l’écoute et aux côtés des populations. Je profite pour relever que l’on a tendance à dire que ma circonscription est un bastion du FPI, mais cette réalité a beaucoup changé. Je pense que nous devons revoir la cartographie politique de notre pays. Les régions considérées jadis comme le bastion de telle ou telle formation politique ne le sont certainement plus aujourd’hui. L’offre politique et la volonté de développement proposées par le président Ouattara et le RHDP ont beaucoup changé le paysage politique. Pour en venir à ma circonscription, il est vrai que dans ma région mes parents avaient une idée du rôle de leurs députés. Nous portons certes la voix du peuple, mais nous ne pouvons pas ignorer le volet du développement. Nous n’avons certes pas de budget mais nous pouvons être, en revanche, des agents de développement. Notre rôle est d’attirer l’attention du gouvernement sur les actions de développement à mener dans nos circonscriptions respectives.
La sous-préfecture de Galebré par exemple, qui fait partie de ma circonscription, ne disposait pas de château d’eau. Eh bien ! J’ai fait la demande auprès du gouvernement qui nous a accordé la construction d’un château d’eau. A Guibéroua, un pont reliant deux localités s’était écroulé, enclavant ainsi plusieurs villages et empêchant les paysans à se rendre dans leurs plantations voire à écouler les produits agricoles. Aujourd’hui, un nouveau pont est en construction. Idem pour la ville de Guibéroua qui avait un problème d’adduction d’eau potable. Nous avons fait la demande au gouvernement qui nous a accordé deux forages. Je ne vous compte pas les demandes pour la construction d’écoles et d’acquisition de matériels scolaires. Pour moi, le rôle d’un député, au-delà du vote des lois, doit consister à aider les collectivités locales qui ne disposent pas de beaucoup de moyens pour réaliser les projets de développement pour le bien des populations. Dans ma circonscription, j’ai deux sous-préfectures qui ne sont pas érigées en mairie. Pour pallier cette situation, la députée que je suis est contrainte de jouer le rôle de maire.
Je me suis également engagée à encadrer les femmes et à les aider à développer leurs propres activités pour les rendre autonomes afin de contribuer financièrement aux charges ménagères de leurs foyers. Nous avons aussi fait une campagne de sensibilisation auprès des hommes pour leur expliquer que leurs femmes peuvent être indépendantes et autonomes financièrement sans pour autant leur ravir le rôle de chef de famille ou, du moins, porter la culotte dans le foyer. Dans la société africaine, la femme reste le pilier de la famille et généralement, lorsque la femme a de l’argent, son premier réflexe est de subvenir aux besoins de ses enfants et de son foyer. Nous allons poursuivre nos actions pour aider les femmes et la jeunesse.
L'A.A : On a du mal à croire que la région de l’ancien président Laurent Gbagbo n’a pu bénéficier d’infrastructures de base au temps où il était aux affaires ?
Je ne vous le fais pas dire. En tant que fille de la région, je découvre avec stupéfaction que des sous-préfectures comme Galébré, pourtant forte de plusieurs milliers d’âmes, n’a jamais bénéficié de château d’eau, comme je l’ai signalé tantôt. Les exemples sont légion. A l’occasion de la visite de travail du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly à Ouragahio en juin 2018, la sous-préfecture dont est originaire Laurent Gbagbo, le maire avait émis le vœu de bénéficier de quelques kilomètres de bitume. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Ouragahio n’avait jamais bénéficié du moindre centimètre de bitume de son histoire. Eh bien ! Aujourd’hui c’est chose faite. Les travaux sont en cours. Idem pour la ville de Gagnoa qui n’avait jamais bénéficié non plus de bitume de ses rues par le passé. Elle va être bitumée à la grande joie des populations. Et, ce n’est pas tout. Gagnoa qui ne disposait pas de marché digne de ce nom. Aujourd’hui le gouvernement a décidé de doter la ville d’un marché moderne.
Sans vouloir faire de la propagande, vous conviendrez avec moi que c’est bien sous le président Ouattara que la région du Goh, supposée être le bastion de Laurent Gbagbo, est en train de bénéficier d’infrastructures qu’elle aurait dû avoir sous son régime. Je retiens une seule chose, ma région est en train d’être transformée grâce au Président Alassane Ouattara et au Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Quant à la population, elle a compris une chose essentielle, elle sait désormais que la politique telle que nous la pratiquons doit rimer avec le développement.
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