Entre dures réalités et promesses des bailleurs
Le président tchadien Idriss Déby Itno garde espoir que les bailleurs respecteront leurs engagements vis-à-vis de son pays
La chute vertigineuse du prix du pétrole a cloué au pilori l’économie tchadienne. Le pays est au bord de la cessation de paiement. L’espoir est permis pourvu que les bailleurs de fonds injectent les 20 milliards de dollars promis pour financer le Plan national de développement (PND) 2017-2021 présenté à Paris début septembre 2017.
A N’Djamena, la capitale, les signes de la conjoncture économique sont visibles. Certains chantiers comme celui du futur siège du ministère des Affaires étrangères ou encore de la Cité internationale des affaires et plusieurs autres travaux de construction sont aux arrêts, faute d’argent. Des entreprises pourraient mettre la clé sous le paillasson si la situation perdure. La raison, le cours de l’or noir qui représente les 95 % des recettes de l’Etat a fondu comme du beurre au soleil. Il a été réduit de moitié au cours de ces deux dernières années. Un manque à gagner que le pays ne peut malheureusement combler avec les recettes du coton et encore moins de la gomme arabique.
Au moment où Français et Européens se détournent des maigres opportunités qu’offre le pays, seuls les Chinois croient encore en la reprise économique avec la remontée du cours du pétrole. Pour témoigner de sa solidarité et de son soutien au Tchad pendant sa traversée du désert, le chef de l’Etat chinois, Xi Jinping, avait dépêché au mois de mai 2017 à N’Djamena son vice-président Li Yuanchao.
Ce dernier, à sa sortie d’audience avec le président Idriss Déby Itno, avait déclaré que son pays s’engageait à financier six projets phares dans les domaines de l’eau et des infrastructures ainsi que la construction d’un stade ultramoderne d’un montant de 200 millions de yuans (25,320 millions d’euros). Dans ses mêmes déclarations de bonnes intentions, le vice-président chinois avait aussi annoncé une aide alimentaire de 60 millions de yuans (7,593 millions d’euros) et l'attribution de davantage de bourses de stages aux jeunes tchadiens.
Mais en attendant que le pays retrouve sa période de vaches grasses d’antan, où des dépenses opulentes se faisaient dans l’insouciance totale grâce aux recettes généreuses du pétrole, le gouvernement doit faire face aux dures réalités du moment. Et, celles-ci sont très nombreuses.
Pour boucler par exemple le budget prévisionnel de l’exercice 2017 qui présentait un solde déficitaire de 244,891 milliards de francs CFA (373,334 millions d’euros) – les recettes s’établissant à 692,206 milliards de francs CFA (1,06 milliards d’euros) alors que les dépenses étaient estimées à 937,097 milliards de francs CFA (1,429 milliards d’euros) – le gouvernement a dû prendre des mesures d’austérité urgentes des plus impopulaires.
La première équation à résoudre était de savoir comment continuer à payer les fonctionnaires quand la masse salariale mensuelle, à elle seule, s’élève à environ 50 milliards de francs CFA (76 millions d’euros) alors que les ressources annuelles actuelles du Tchad ne permettent pas de payer plus de quatre mois de salaires. Comme rappelait le président Idriss Déby Itno, « la masse salariale a été multipliée par six en quinze ans. » Selon lui, la ponction est inévitable si l’Etat doit continuer à fonctionner.
« Au Cameroun, qui a quand même un fondement économique assez solide, pas comme le Tchad, allez donc demander quel est le salaire des fonctionnaires là-bas. Même le SMIC au Cameroun se situe autour de 37 000 francs CFA (56 euros), les Tchadiens sont à 60 000 (90 euros). Les mesures qui devraient suivre seraient de redescendre notre SMIC à 30 000 francs CFA (46 euros) », justifiait-il.
La formule trouvée pour éviter la faillite de l’Etat : le gel du recrutement de nouveaux fonctionnaires, la réduction de moitié des indemnités des fonctionnaires y compris les policiers pendant dix-huit longs mois, la suspension pour la période académique 2016-2017 de la bourse annuelle de 360 000 francs CFA (550 euros) accordées aux étudiants (…)
Autant de mesures qui ont fait grincer les dents sans qu’elles ne débouchent véritablement sur des contestations populaires comme on en voit ailleurs sur le continent. Selon des observateurs, les Tchadiens s’adaptent très vite aux mesures fussent-elles impopulaires. Il n’y a qu’à regarder les nombreux sacrifices consentis par les populations pendant les périodes où le pays était en guerre avec la Libye de Mouammar Kadhafi pour le contrôle de la bande d'Aozou. Le régime d’Hissène Habré avait alors imposé des efforts de guerre à chaque citoyen. Il s’agissait d’un impôt obligatoire prélevé sur toutes les activités salariales et les entreprises en faveur de l’armée.
Pour le gouvernement, de telles mesures s’imposaient compte tenu du contexte macroéconomique. Celles-ci ont permis à l’Etat de faire des économies de près de 100 000 milliards de francs CFA (152,449 milliards d’euros).
Pendant cette période difficile, le gouvernement applique aussi la tolérance zéro quant à la gestion des affaires de l’Etat et des deniers publics. C’est ce qui justifie d’ailleurs l’opération « mains propres » qui a permis par exemple d’extirper du fichier de la fonction publique des agents fictifs. Et ce n’est pas tout. Deux ministres du gouvernement en ont fait les frais. Le président tchadien avait mis fin aux fonctions du ministre de l'Aménagement du territoire, Hamid Mahamat Dahalob, et celui des Mines et de la Géologie, David Houdeingar. Une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive quand on sait que le président Déby prend rarement la décision de débarquer des personnalités qui lui sont proches. Le Tchad a également interdit aux sociétés étrangères de rapatrier la totalité de leurs bénéfices sans que celles-ci ne réinvestissement une partie de leur magot au plan local.
Six mois après la table ronde de Paris, les promesses des bailleurs se font toujours attendent
C’est la capitale française que le gouvernement tchadien avait choisie en sseptembre 2017 pour organiser sa table ronde dans le seul but de mobiliser des ressources pour financer son PND (Plan national de développement) 2017-2021. Pendant les trois jours de travaux dont une première journée entière consacrée au forum « Investir au Tchad », près de cinq cent investisseurs publics et privés s'étaient bousculés aux portes de l’Hôtel Méridien Etoile pour s’arracher les trois cents projets étatiques structurants à financer.
Les secteurs porteurs clés avaient été évidemment mis en avant. Le développement rural, l’environnement, l’élevage, l’eau, l’agriculture, les infrastructures, le tourisme, pour ne citer que ceux-ci, ont bénéficié d’une présentation bien soignée.
Pour l’occasion, le chef de l’Etat, Idriss Déby Itno, s’était déplacé à Paris accompagné de son épouse. Le couple présidentiel était à la tête d’une forte délégation composée des membres du gouvernement et des acteurs clés du secteur privé.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette campagne économique de charme avait porté ses fruits au-delà des espérances. En venant à Paris, les autorités tchadiennes venaient justement rechercher auprès des bailleurs les deux tiers du financement du PND. Soit un peu plus de 3 700 milliards de francs CFA (5,7 milliards d’euros). Elles avaient finalement récolté 20 milliards de dollars américains soit trois fois le montant attendu.
Bien évidemment, tous étaient conscients que le pari n’était pas encore gagné d'avance. Toutes les annonces de bonnes intentions n'étaient que des promesses qui restaient à être concrétisées. A ce sujet, le Tchad en sait quelque chose. A la tribune, le président Idriss Déby avait d'ailleurs plaidé pour que celles-ci ne soient pas rangées aux calendres grecques comme les précédentes.
Pour amener les bailleurs à mettre la main à la poche, Idriss Déby – en chef de guerre – a mis en exergue l’engagement et le volontarisme de son pays à lutter contre le terrorisme au sein du G5 Sahel et contre la secte djihadiste Boko Haram qui sévit dans la région.
Autres atouts mis en avant pour séduire les investisseurs étrangers, la volonté du gouvernement d’engager de vraies réformes pour améliorer le climat des affaires, l’unité nationale, la bonne gouvernance et la qualité de vie de la population.
En dépit du retard accusé par les investisseurs pour mettre la main à la poche, les autorités tchadiennes continuent de fonder leur espoir sur le financement du PND 2017-2021 qui devrait permettre, à terme, au Tchad de rentrer à l’horizon 2030 dans la nouvelle ère de l’émergence connue sous le slogan : « Le Tchad que nous voulons ».
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