Le grand oral de Guillaume Soro à Paris : "Je n’irai demander à personne la permission pour être candidat"
Photo : page Facebook de GKS
Invité ce week-end à une Crush party à Paris par des associations de la diaspora ivoirienne d’Europe, l’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Kigbafori Soro (GKS), a dévoilé ses velléités présidentielles, et réglé ses comptes avec le régime Ouattara dont il fut jadis le numéro deux puis le numéro trois.
Par Clément Yao
Dans le cadre d’une tournée européenne et américaine entamée à Paris, Guillaume Soro s’est exprimé sans filtre le samedi 10 août, en « homme libre », devant près de 600 partisans conquis qui ont payé de leur poche pour venir l’écouter. Une première ! S’inspirant de la campagne de Barack Obama, Guillaume Soro veut changer les mentalités, bousculer les codes et inculquer aux Ivoiriens la politique participative. N’est-ce pas cela le principe même de la Crush party dont l’organisation a été entièrement financée par ses partisans grâce à une campagne de crowdfunding ?
Satisfait de la réussite de ce grand rassemblement populaire de soutien à sa personne – près de onze mille euros recueillis en une semaine de mobilisation – l’invité du jour en a profité pour fustiger les pratiques du pouvoir d’Abidjan. Guillaume Soro se dit choquer par « l’achat de conscience », à coût d’espèces sonnantes et trébuchantes, opérée par le pouvoir, en vue de draîner les foules aux manifestations du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) – coalition recomposée au pouvoir – et démultiplier les adhésions.
"Moi, on ne m’achète pas avec un poste…"
« Je refuse d’être avec ces hommes politiques qui continuent de penser que la dignité de tout un chacun est achetable…Moi, on ne m’achète pas avec un poste…Nous voulons que les Ivoiriens apprennent à faire la politique autrement et que nous ne soyons pas vus comme du bétail électoral… », s’insurge Guillaume Soro.
Entre adhérer, contre son gré, au nouveau parti créé par Ouattara en échange de son maintien à la tête de l’Assemblée nationale lui garantissant tous les conforts et avantages liés à son rang de 3ème personnalité de la République, Guillaume Soro a choisi « la liberté » tout court pour avoir la conscience tranquille.
« Je suis parti de mon propre gré de la tête de l’Assemblée nationale. Vous ne pouvez pas imaginer comment je me sens soulagé…Je n’avais pas envie de faire un bras de fer à cause d’un poste…On ne se bat pas pour un poste, mais pour des causes nobles », a déclaré d’emblée Guillaume Soro pour justifier, une fois de plus, sa démission de la tête de l’hémicycle ivoirien.
Celui qui est désigné par ses partisans comme le leader charismatique de la nouvelle social-démocratie en Côte d’Ivoire dénonce un acharnement du pouvoir d’Abidjan contre sa personne, ses proches et l’opposition. « Je suis un homme libre dans la tête. Je ne pouvais pas accepter ce chantage. Je ne pouvais pas non plus, au nom de mon passé et du combat militant que nous avons mené à l’université, accepter qu’on recule et qu’on aille au parti Etat en Côte d’Ivoire, c’est inacceptable », martèle-t-il devant des partisans chauffés à blanc.
"Je suis solidaire du premier mandat
de Ouattara, mais pas de son second"
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Guillaume Soro a, résolument, décidé de solder, une fois pour toute, ses comptes avec le régime Ouattara. « Je ne comprends pas l’arrogance qui s’est saisie de nos dirigeants. Je suis solidaire du premier mandat de Ouattara, mais le second, je ne suis pas dedans », confesse-t-il. « A partir du moment où certaines ouailles lui ont fait croire qu’il faut faire un 3ème mandat, il a oublié de diriger le pays, et ils ont commencé à penser à la confiscation du pouvoir. C’est ce qui me choque », explique-t-il.
Guillaume Soro s’offusque aussi de la surenchère faite sur la croissance économique ivoirienne de 8 % et de l’autosatisfaction du régime sur les performances de la Côte d’Ivoire alors qu’un pays comme le Niger a réalisé un taux de croissance de 11,8 % en 2012 sans que le président Mahamadou Issouffou ne fanfaronne dans les médias. « C’est du flafla !», ironise-t-il
Selon l’opposant au régime Ouattara, cet embonpoint économique ne reflète pas la réalité parce que les Ivoiriens sont de plus en plus pauvres, et l’écart se serait davantage creusé entre les différentes classes sociales.
Sur la question de la réconciliation, Guillaume Soro émet des doutes sur la volonté du pouvoir à s’y engager réellement. « Vous ne voulez pas la paix, vous refusez qu’on s’asseye pour discuter afin d’aplanir nos différends », relate-t-il. « Quand on dirige un pays, il faut engager la discussion et le dialogue avec l’opposition. Quand on est au pouvoir, ce n’est pas pour écraser l’opposition. Ce n’est pas parce qu’on est président de la République ou Premier ministre qu’on écrase tout le monde, on insulte tout le monde », se plaint-il avant d’inviter ses alliés d’hier à méditer sur la chute vertigineuse de Mouammar Kadhafi ou encore d’Hosni Moubarak qu’il a eu l’occasion de rencontrer au temps où les deux autocrates régnaient, sans partage, d’une main de fer respectivement sur la Lybie et l’Egypte. « Soyons humbles », conseille-t-il
Autre raison évoquée par le conférencier qui, selon lui, ne contribuerait pas à apaiser le climat sociopolitique, c’est le refus du régime de réformer la Commission électorale indépendante (CEI) en dépit de l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. « Il faut une CEI consensuelle. C’est ce que nous avons demandé en son temps à Gbagbo. Pourquoi à votre tour, vous êtes fermés à toute discussion ? », s’interroge-t-il. Non sans avoir salué la récente rencontre entre Bédié et Gbagbo à Bruxelles. Il a promis qu’il leur emboîterait le pas au nom de la réconciliation.
"Quelle est cette histoire de dire
qu’il faut garder le pouvoir au Nord ?"
L’ancien président de l’hémicycle ivoirien combat avec véhémence ce qu’il qualifie d’idées « surannées » voire saugrenue du pouvoir d’Abidjan. « Quelle est cette histoire de dire qu’il faut garder le pouvoir au Nord ? », s’insurge-t-il. « C’est dangereux ! Je ne suis pas dans le sectarisme, le régionalisme, le clanisme. Il nous faut bâtir la nation ivoirienne où les peuples de Côte d’Ivoire vont s’unir…Depuis 1960 jusqu’à ce jour, le régime qui a fait autant de torts aux enfants du Nord, c’est le régime du RHDP », martèle-t-il. En immersion dans la partie septentrionale du pays où il a visité 113 villages en cinquante jours, Guillaume Soro, fils du Nord, dit s’être imprégné du quotidien des populations et du manque criard d’infrastructures de base à l’instar des populations des autres régions du pays.
Autre fait marquant évoqué au cours de cette crush party, le défilé militaire du 7 août dernier au cours duquel l’arsenal militaire des armées a été exposé, à dessein, de façon ostentatoire. L’ancien chef rebelle a retourné cette démonstration de force en auto-dérision. « Détrompez-vous, ces chars ont appartenu hier à Houphouët-Boigny, à Bédié, à Guéi, à Gbagbo et aujourd’hui à Ouattara. Je le remercie d’avoir acheté tout cet armement pour moi. Ces chars seront à nous demain quand nous serons au pouvoir. Il ne lui reste plus que 14 mois de mandat pour qu’un nouveau président soit élu ».
Alors que la soirée de la crush party se prolongeait dans la nuit, Guillaume Soro, a fait cette déclaration, toute somme, surprenante : « D’ici septembre, octobre, quelque chose se passera. Je vous demande de vous mobiliser parce que nous devons rassembler nos forces. Nous devons changer les choses en Côte d’Ivoire. », a-t-il lancé.
Si cette phrase a fait jaser les réseaux sociaux, pour ses partisans le message qui leur est adressé est assez clair. Dans quelques semaines, leur leader fera connaître son agenda politique. A savoir, le lancement de son parti politique, et très certainement, l’annonce officielle de sa candidature. Il est vrai qu’à 14 mois de la présidentielle d’octobre 2020, le président du Comité politique ne cache plus ses velléités à vouloir briguer la magistrature suprême. Quitte à croiser le fer avec son ancien mentor, Alassane Ouattara, au cas où le dernier serait tenté de briguer un troisième mandat. « A 47 ans révolus, a-t-il d'ailleurs lâché l'autre soir, je n'irai demander à personne la persmission pour être candidat ».
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