Eddie Komboigo, président du CDP : "Le Burkina connaît une véritable descente aux enfers"

Eddie Komboigo, président du CDP :

L'ancien député burkinabé Eddie Komboigo, président du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) Photo : @Danielle Aspis


Président du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) et ancien député burkinabè, Eddie Komboigo vient de passer à Paris, après avoir été reçu par l'ex-président Blaise Compaoré à Abidjan. Rencontre avec l'un des principaux leaders de l'oppostion burkinabè qui ne mâche pas ses mots : « Sur le plan économique comme sécuritaire, le pays ne cesse de s'enliser dans la crise ».

Propos recueillis par Bruno FANUCCHI

Comme le Niger qui vient d'être cruellement frappé, le Burkina Faso – votre pays - est malheureusement victime du terrorisme. Un Sommet extraordinaire du G5 Sahel vient de se tenir à Niamey le 15 décembre, mais ses résolutions vous semblent-elles à la hauteur des enjeux ?

Eddie Komboigo :

Je voudrais d'abord saluer la mémoire de nos frères nigériens qui ont été victimes de cette attaque meurtrière du camp d'Inates, qui a fait plus de 70 morts le 10 décembre, et dire toute ma compassion au Niger et aux autorités de ce pays meurtri. Je crois que ce Sommet de Niamey a été convoqué pour harmoniser les positions afin de répondre à l'invitation du Président français Emmanuel Macron pour le Sommet de Pau initialement consacré au rôle de l'opération Barkhane dans les cinq pays du G5 Sahel et la zone sahélo-saharienne.

Le Sommet de Pau a, en effet, été reporté au 13 janvier...

En dépit du deuil national décrété au Niger, je crois qu'il n'aurait pas fallu reporter ce Sommet car l'urgence voudrait que les uns et les autres se parlent. Lorsque l'on est des partenaires et que l'on a des problèmes lors d'opérations sur le terrain et que les tensions montent en Afrique comme en France. Quand des intellectuels et des hommes de culture se lèvent pour contester l'engagement militaire de la France, je crois qu'il est préférable que les chefs d'Etat parlent pour asseoir une meilleure coopération et une communication positive afin de pouvoir agir ensemble en totale synergie pour trouver la bonne réponse commune au terrorisme. Je pense que les cinq chefs d'Etat, qui viennent de se rencontrer à Niamey, ont pris de bonnes résolutions pour parler d'une même voix. Nous ne pouvons que les encourager à continuer d'aller dans ce sens.

Quel rôle pourrait jouer un pays comme le Sénégal qui, curieusement, ne fait toujours pas partie du G5 Sahel ?

Je crois que le Président Macky Sall est un grand président assez sage et futé qui a pu – dans le dialogue – asseoir la paix dans son pays. Il a une expérience certaine qu'il aurait pu apporter aux présidents du G5 Sahel et je crois que, si on l'invite au prochain Sommet de Pau ou ailleurs,  il apportera certainement des conseils positifs pour que la paix revienne dans toute la sous-région.

Et son expérience vous semble précieuse dans un pays qui – Dieu merci – a été épargné jusqu'à présent par le terrorisme...

C'est exact parce que le Président Macky Sall a un esprit anticipateur. C'est une qualité qui est nécessaire à nos chefs d'Etat qui bien trop souvent n'anticipent pas et sont uniquement dans la réaction. Dans notre pays particulièrement, le Burkina Faso, le chef d'Etat est malheureusement dans la réaction. Dans une guerre aussi asymétrique que le terrorisme, il faut être dans une vision anticipatrice et donc préventive. Les terroristes ont franchi nos frontières provoquant plus de 600.000 déplacés internes et près de 100.000 déplacés externes ou exilés.

Le problème du terrorisme est transversal aujourd'hui : il touche aussi bien les pays du Sahel que l'Europe car, si le problème n'est pas résolu rapidement, toutes ces populations qui se déplacent seront tentées de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. Il faut donc que l'on ait une vision non plus franco-africaine, mais véritablement euro-africaine.

"Sur la sécurité, le Président Kaboré

a lamentablement échoué"

Cinq ans après la chute du président Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, ne pensez-vous pas que bien des Burkinabè commencent à le regretter ?

Il n'y a pas que les Burkinabè qui le regrettent, mais toute la sous-région. Je m'explique. Quand le président Blaise Compaoré a préféré partir dans les conditions que vous savez, sans qu'il n'y ait d'effusion de sang, face à une contestation de la rue, nous avons constaté qu'après son départ son parti et certain nombre de cadres de celui-ci ont été exclus des élections. Et il a donc fallu tout recommencer. Cinq ans après, nous sommes obligés de faire le constat que le Burkina ne cesse de s'enliser dans la crise. C'est une véritable descente aux enfers. Sur le plan économique, rien ne va plus. Les unités industrielles commencent à fermer et les projets de nouvelles industries n'ont pas vu le jour. Sur le plan social, c'est la catastrophe avec les attaques terroristes. Il y a un grand malentendu avec les travailleurs qui sont en grève en permanence : 250 jours sur 365 ! Je pense que le Président Roch Marc Christian Kaboré – qui prétendait être la solution - aurait dû anticiper pour qu'il n'y ait pas ce genre de grèves qui ne font que fragiliser davantage l'économie du pays. Sur le plan politique, c'est le chaos total parce que la réconciliation nationale tant attendue n'est pas là. D'où des contestations à tout vent...

L'ex-président Blaise Compaoré, que vous avez rencontré tout récemment à Abidjan, avait pourtant fait un geste d'ouverture en écrivant à son succeseur au Palais de Kosyam...

Nous avons salué la profondeur de cette lettre patriotique, qui était une lettre de compassion et une lettre d'invite à la réconciliation nationale pour lui permettre d'apporter sa petite pierre au développement et pour apaiser le pays. Malheureusement, cette lettre là a été mal prise : le chef de l'Etat en a pris acte mais n'en a pas tenu compte puisque nous n'avons pas eu de suite.

Quelle est aujourd'hui votre liberté d'action à Ouagadougou à la tête du CDP, le principal parti d'opposition ?

Depuis mon retour à la tête du Parti en mai 2018, nous nous sommes évertués à reconstruire le CDP, à renforcer la base et les fondamentaux d'un Parti qui était donné pour mort. Nous pensons avoir réussi cette première partie visant à refaire du CDP un Parti fort et conquérant. Nous sommes en train de concevoir un programme de gouvernance, un véritable programme de société pour le Burkina car nous sommes sûrs que les Burkinabè nous redonneront leur confiance. Cela passe d'abord par ces quelques priorités : ramener immédiatement la sécurité dans la sous-région, relancer fortement l'économie, l'industrialisation de certaines zones et l'exploitation de certaines richesses souterraines en sédantarisant les populations locales qui, en situation précaire et en manque d'emplois, sont la proie des terroristes qui passent par là pour les recruter.

La sécurité, n'est-ce pas l'échec principal des gens actuellement au pouvoir ?

C'est leur échec et leur responsabilité. Parce que le Président Kaboré a prêté serment d'assurer la sécurité des Burkinabè et du territoire. Sur ce point là, je peux dire qu'il a échoué lamentablement. Nous comptons aujourd'hui plus de 500 morts et cela continue. Aujourd'hui, c'est le cœur de  l'économie qui est touchée, le secteur minier, et je ne vois pas comment un pays peut se développer sans industrie et avec une telle insécurité qui va durer si l'on ne prend pas les mesures idoines.

L'année 2020 sera riche en élections importantes pour bien des pays d'Afrique et de la sous-région, et notamment le Burkina Faso où l'élection présidentielle est fixée au 23 novembre prochain. Quelle est votre ambition politique et celle de votre parti ?

Je suis le chef du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) et, lors de notre dernier Congrès ordinaire en 2018, nous avons pris l'engagement devant nos militants d'amener le CDP à la victoire en 2020. Nous sommes donc en train d'affûter nos armes et, très bientôt, dès le mois de janvier nous  essairons de constituer un collège électoral et de trouver un consensus autour d'un candidat à l'élection présidentielle. Et, s'il y a plusieurs candidats, nous ferons des primaires. Mais nous sommes déjà avancés dans la conception de notre programme de société pour le Burkina. C'est un programme qui tient compte, bien entendu, de la situation actuelle et de la guerre qui nous est faite.

Mais c'est un programme qui va également propulser notre pays vers la croissance économique et le développement.

D'où votre présence actuelle à Paris pour prendre tous les contacts nécessaires avant cette échéance électorale importante ?

Nous sommes là, en effet, pour rencontrer un certain nombre de personnalités politiques et de personnes ressources ayant une expérience dans le développement des zones sahéliennes dans des domaines aussi différents que l'eau ou l'énergie solaire. Pour assurer demain le développement du Burkina une fois que nous serons au pouvoir. Notre programme se construit maintenant et le jour où les Burkinabè nous feront confiance, nous déroulerons et appliquerons aussitôt notre programme pour changer la vie quotidienne et assurer le bien-être et la sécurité de nos compatriotes.

Bruno Fanucchi

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