Mandat d’arrêt international et vague d’arrestations arbitraires en Côte d'Ivoire : Les avocats de Guillaume Soro préparent la riposte à Paris

Mandat d’arrêt international et vague d’arrestations arbitraires en Côte d'Ivoire : Les avocats de Guillaume Soro préparent la riposte à Paris

Affichant une étonnante résilience lors de son déjeuner de presse du 28 janvier dernier en dépit d’un mandat d’arrêt international et des rapts qui ont conduit plusieurs de ses partisans derrière les barreaux, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Kigbafori Soro, a commis des avocats français pour organiser sa défense sur le territoire français.

Par Clément Yao 

Deuxième du genre en moins de trois mois, ce nouveau déjeuner de presse de Guillaume Soro a été organisé mardi dernier dans le somptueux Hôtel Bristol de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Et le choix du lieu n’est pas fortuit. Du fait de sa proximité avec le Palais de l’Elysée dont le locataire, Emmanuel Macron, a fait l’objet de nombreux griefs, et de l’Hôtel Beauvau, siège du ministère français de l’Intérieur, lieu des grandes écoutes !   

Le président de Génération et Peuples Solidaires (GPS) était entouré pour la circonstance de quatre avocats français et non des moindres puisque l'on comptait parmi eux Me William Bourdon, fondateur de l'ONG Sherpa, qui traque les « Biens mal acquis » des potentats africains, et de sa conseillère, Me Affoussiata Bamba-Lamine, qui fut son Ministre de la Communication et qui est elle-même avocate au Barreau de Paris. Quelques proches et fidèles collaborateurs ayant réussi à se faire « exfiltrer » d’Abidjan étaient également à ses côtés. 

Les raisons de la plainte contre

le Procureur ivoirien devant le parquet de Paris

Ce collectif d’avocats constitué en France a effectivement confirmé la plainte déposée devant le parquet de Paris contre le Procureur de la République d’Abidjan, Adou Richard. Information qui avait d’ailleurs fuitée quelques jours plus tôt dans la presse. Cette plainte vise notamment à remettre en cause non pas l’authenticité de cet enregistrement qui date déjà de 2017, mais les conditions dans lesquelles il a été réalisé. Le but est de démonter ce fameux enregistrement, constituant la pièce maîtresse de l’accusation, qui a motivé le Procureur ivoirien à déclencher un mandat d’arrêt international contre leur client pour « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national. »

Pour les avocats, le Procureur poursuit leur client non pas pour un crime commis mais pour la tentative de ce crime. « Or, explique un membre de ce collectif, un principe du droit pénal stipule que pour être punissable d’une tentative, celle-ci doit être accompagnée d’un commencement d’exécution et d’une date préparatoire. Je mets quiconque au défi de prouver un seul acte de commencement d’un tel projet de déstabilisation. C’est pourquoi, rechigne-t-il, le Procureur n’a pas fait l’exercice de cette démonstration lors de sa conférence de presse » du 26 décembre 2019.  

Pour la défense, au demeurant, « cet enregistrement obtenu de manière illicite par des barbouzes, transmis sous le manteau et en catimini au service de la DST, et utilisé par le Procureur de la République, est une violation du non-respect du Code pénal. Nous avons déposé plainte pour faire sanctionner ces pratiques en France. » Pourquoi le choix du parquet de Paris au lieu de celui d’Abidjan où l’affaire est pendante ? Pour couper court à la polémique qui enfle dans les différents camps, la défense a tenu à préciser que « Le choix de la juridiction française plutôt qu’ivoirienne peut paraître étonnant. Mais, il faut se rappeler qu’une partie des auteurs de l’enregistrement sont Français, et aussi qu’une partie des faits ont eu lieu sur le territoire français. »

"Donnez-moi une phrase de n’importe qui

et je me charge de le faire pendre"

Bien entendu, pour les avocats, cet enregistrement « truqué, tronqué et trafiqué » a été présenté hors de son contexte par le Procureur de la République d’Abidjan pour laisser penser à « un coup d’Etat » comme cela est de coutume sous les tropiques. En citant la célèbre phrase de l’homme de loi et révolutionnaire français Antoine Quentin Fouquier de Tinville qui disait : « Donnez-moi une phrase de n’importe qui et je me charge de le faire pendre », la défense a voulu montrer « qu’on accuse un candidat à l’élection présidentielle d’un crime absolument fantasme, camouflé sous des artifices juridiques qualifiés de tentative. Ce n’est pas sérieux ! »

La deuxième raison évoquée par la défense sur le choix du parquet de Paris, c’est la question fondamentale de la séparation des pouvoirs en Côte d’Ivoire. Ils ont émis de sérieux doutes sur la crédibilité de la Justice ivoirienne quant à sa capacité à juger, en toute impartialité, une telle affaire dans le contexte politique actuel. Ils se réfèrent notamment à la déclaration du syndicat des avocats et magistrats ivoiriens déplorant l’état de la dégradation de la juridiction de leur pays, et au rapport annuel de l’ONG Amnesty International sur les atteintes aux droits humains en Côte d’Ivoire, classant le pays d’Alassane Ouattara parmi les juridictions les plus corrompues au monde.  « C’est la raison pour laquelle, nous avons choisi le parquet de Paris pour instruire toutes ces infractions commises dans le cadre de cet enregistrement », ont-ils justifié.

Me Affoussiata Bamba-Lamine, membre de ce collectif d’avocats français et Conseillère de Guillaume Soro, a pointé du doigt les nombreux vices de procédure dans ce dossier jugé « vide ». Elle a fait observer qu’à ce jour, aucune des pièces versées au dossier qui a conduit à l’émission d'un mandat d’arrêt n’a été communiquée à leurs confrères avocats ivoiriens commis à la tâche à Abidjan. « Nous n’avons toujours pas eu connaissance de l’existence de ce mandat d’arrêt international », s’insurge-t-elle.

Evoquant le fond de la procédure pénale, elle a indiqué que l’affaire Guillaume Soro relève en réalité de la compétence de la Haute Cour de Justice et non de celle du doyen des juges d’instruction par défaut. Parce que les magistrats de cette Haute Cour ne seraient toujours pas nommés. Elle explique qu’au moment des faits en 2008, Guillaume Soro était Premier ministre et qu’« en matière pénale, nul ne peut être condamné sans un texte clair et précis. »

Dans la même veine, elle a rappelé qu’au regard de la loi de 2005, une procédure spéciale aurait dû être adoptée et que « l’autorisation du Conseil supérieur de la magistrature aurait dû permettre de faire les poursuites. Ce qui n’a pas été le cas », a-t-elle regretté.

Me Affoussiata a également fait cas de la violation de l’immunité parlementaire institué par l’article 91 de la Constitution ivoirienne sensé protéger les parlementaires, et de la subordination à la délibération spéciale dont devrait bénéficier son client au vu de son statut d’ancien Président de l’Assemblée nationale et de son mandat de député. Pour la Conseillère spéciale, les quatre strates de la procédure ont été malencontreusement violées.

Enfin sur le volet de l’achat de sa résidence de Marcory pour lequel Guillaume Soro est accusé de « recels de détournements de deniers publics » dans le cadre de cette même affaire, ce bien a été acquis - pour ses avocats - sur ses « fonds de souveraineté » au temps où il était Premier ministre de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. Selon la défense, l’usage de cette manne financière serait à l’entière discrétion des bénéficiaires. Cette pratique serait bien connue en Côte d’Ivoire où les présidents d’institutions y compris le Président de la République, seraient cadeautés pour service rendu à la Nation. « L’opération d’acquisition de la maison est tout à fait légale » ont-ils conclu.  

"La chaise électrique est encore utilisée au 21ème

en Côte d’Ivoire pour obtenir des aveux"

Au cours de ce déjeuner de presse, les avocats de la défense ont annoncé qu’ils déposeraient une seconde plainte devant la section C4 du parquet de Paris contre les « arrestations arbitraires » et les conditions de détention des pro-Soro à la DST et dans les différents lieux d’incarcération. Pour eux, « la compétence universelle est un mécanisme juridique qui nous permet de faire punir et de lutter contre les crimes les plus graves commis contre toute personne y compris à l’étranger dans certaines situations. »

Ils soutiennent détenir des preuves irréfutables de traitements inhumains, des actes de barbarie et de torture en détention. « Nous avons reçu des documents et des attestations médicales... La chaise électrique est encore utilisée au 21ème siècle en Côte d’Ivoire pour obtenir des aveux. Ces faits ne peuvent pas restés impunis », ont-ils laissé entendre. La défense de Guillaume Soro s’inquiète également du sort réservé à certains détenus pro-Soro privés de soins et dont l’état de santé serait devenu très préoccupant. Ils s’alarment aussi du cas de certains proches de leur client « portés disparus » depuis leur arrestation et dont ils n’ont plus aucune nouvelle.

Ses avocats ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Outre la voie judiciaire, ils projettent de mettre en place une procédure d’urgence afin d’alerter la communauté internationale sur les conditions inhumaines de détention des pro-Soro. Ils ont annoncé leur intention de saisir le Groupe de travail des Nations Unies pour l’instruire sur « la détention arbitraire et les violations des droits des prisonniers » à l’occasion de sa prochaine session. Le Parlement et le Conseil européen ainsi que le Sénat américain ne seront pas en reste. Les mêmes actions d’alerte de l’opinion internationale seront également menées en Afrique. La Cour de justice africaine ainsi que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) seront saisies à l’effet de dénoncer le « recul démocratique » de la Côte d’Ivoire et « les manœuvres illusoires » pour empêcher Guillaume Soro d’être candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020. 

Clément Yao

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